Liverpool-Real: UEFA, Darmanin, supporters et journalistes... les versions divergent sur les incidents

Que s’est-il réellement passé, samedi soir autour du stade de France, pour que des centaines de supporters avec des billets valides soient bloqués à l’extérieur de l’enceinte? Le coup d’envoi de la finale de Ligue des champions retardé de plus de trente minutes n’a pas permis de faire entrer tout le monde et certains fans, notamment du côté de Liverpool, n’ont atteint les tribunes que quelques minutes avant la mi-temps.
D’autres personnes ont escaladé les grilles du stade pour pénétrer à l’intérieur sans passer par les entrées prévues à cet effet, alors que des gaz lacrymogènes ont été utilisés par les forces de l’ordre pour disperser les supporters. Pendant près de quatre heures, le chaos a été total autour de l’enceinte mais il reste à faire la lumière sur ce qui a provoqué ces incidents: le comportement des supporters ou une organisation défaillante?
Des "milliers de fans" munis de faux billets
Une fois le match débuté, l’UEFA a livré sa version des faits, samedi soir. "Les tourniquets aux entrées de Liverpool ont été bloqués par des milliers de fans munis de faux billets qui ne fonctionnaient pas, a expliqué l’instance européenne organisatrice de la Ligue des champions. Cela a créé une accumulation de fans tentant d’entrer."
"Comme le nombre de personnes à l’extérieur a continué à s’accumuler après le coup d’envoi, la police a dispersé les fans avec du gaz lacrymogène et les a forcés à s’éloigner du stade", a ajouté l’UEFA. Une version confirmée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, présent au stade de France, qui a évoqué "des milliers de ‘supporters’ britanniques, sans billet ou avec des faux billets", qui "ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers."
L’ensemble du gouvernement était alors sur la même ligne et samedi soir, la ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, a elle aussi pointé du doigt les supporters. "Les tentatives d’intrusion et de fraude de milliers de supporters anglais ont compliqué le travail des stadiers et des forces de police, a-t-elle écrit. La violence n’a pas sa place dans les stades."
Les perturbateurs expulsés
La préfecture de police a développé, indiquant que ce sont ces supporters sans billets valides qui "ont retardé l’accès des spectateurs munis de billets" et ajoutant que "l’intervention rapide des forces de l’ordre a permis le retour au calme et l’évacuation des perturbateurs hors du parvis du stade de France."
Ce dimanche, la porte-parole de la préfecture de police de Paris s’est exprimée au micro de BFMTV. "On avait dit aux supporters sans billet de rester sur la fan zone pour qu’ils puissent profiter du match, a-t-elle expliqué. Certains ont tenté de rejoindre le stade de France et ce sont notamment ces supporters qui ont créé des débordements et des mouvements de foule en faisant pression à l’entrée sur le premier barrage, et en exerçant une pression sur des supporters qui avaient des billets."
Des Anglais qui assurent avoir été calmes et disciplinés
Les supporters, eux, encore traumatisés par les mensonges du gouvernement britannique du temps de la tragédie de Hillsborough en 1989, racontent une histoire bien différente. Ils assurent qu’ils n’étaient pas en retard et qu'ils avaient leurs billets. Ils rejettent la faute sur l’organisation de l’UEFA et des autorités françaises.
"J’ai été à Milan, à Kiev, je suis allé partout et je n’ai jamais rien vu de tel", a expliqué un fan de Liverpool à Rob Harris, journaliste d’Associated Press. The Times, la BBC, Sky Sports, The Telegraph, ESPN, Associated Press, le Daily Mail, tous ces médias ont livré samedi et dimanche des éléments qui corroborent davantage une mauvaise organisation en marge du match.
La chaîne britannique Sky a notamment montré dans la soirée le petit passage de deux mètres de large, formé grâce à des cars de CRS, par lequel ont dû passer les 20 000 supporters de Liverpool avant d’accéder au parvis du stade de France. Le Telegraph raconte qu’à cet endroit, les individus refoulés n’avaient aucune échappatoire et étaient seulement invités à revenir sur le pas, ajoutant au chaos général.
Les journalistes anglais présents sur place ont aussi assuré à l’unanimité que les fans des Reds n’étaient pas arrivés en retard mais bien deux voire trois heures avant le coup d’envoi initial de la rencontre. D’après Henry Winter, du Times, certaines personnes apeurées par la situation ont même fini par abandonner et retourner en ville, alors qu’elles avaient leurs billets pour le match.
Un journaliste britannique censuré
Dans le chaos, des centaines de supporters ont reçu du gaz lacrymogène alors qu’ils attendaient patiemment et sans heurt de pouvoir entrer dans le stade. Une vidéo captée par TNT Sports montre même un fan en train de scanner son billet et gazé sans raison par un policier. Les visiteurs anglais et les journalistes indiquent n’avoir vu aucun supporter de Liverpool escalader les grilles. Il s’agissait selon eux de jeunes français qui ne portaient aucun signe d’appartenance à un club.
Des journalistes qui travaillaient au stade de France ont même été gazés et menacés par certaines personnes censées assurer la sécurité. "J’ai été emmené dans un coin par un agent de sécurité, on m’a dit de retirer mon accréditation, puis j’ai été forcé de supprimer des séquences vidéo des problèmes de foule, sinon je ne pouvais pas rentrer", a témoigné Steve Douglas, d’Associated Press.
Liverpool a demandé dès samedi soir une enquête officielle, imité par la secrétaire d’Etat britannique en charge de la Culture et des Sports, Nadine Dorries. Pour Ronan Evain, directeur exécutif du réseau Football Supporters Europe interrogé par l’AFP, ce raté "pose la question de la capacité de la France à organiser des événements de cette taille-là."
Une réunion ministérielle ce lundi
Dimanche dans la journée, la ministre Amélie Oudéa-Castéra a indiqué vouloir "analyser les incidents" et "en tirer tous les enseignements" grâce à une réunion ministérielle prévue lundi à 11 heures. L’UEFA, la FFF, les responsables du stade de France, la préfecture de police de Paris, le préfet de Seine-Saint-Denis et la ville de Saint-Denis sont conviés.
Tariq Panja, journaliste pour le New York Times, a soulevé sur les réseaux sociaux la question des économies qu’auraient pu vouloir faire l’UEFA et les autorités en réduisant les effectifs supposés assurer le bon déroulement de la rencontre. A un an de la Coupe du monde de rugby dans l’Hexagone et deux des Jeux olympiques de 2024 à Paris, l’image de la France a été sérieusement écornée samedi soir. Il y a du boulot pour la rétablir.