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Philippe Auclair: "La leçon de City-Monaco ? Le plaisir ne se boude pas"

La joie monégasque

La joie monégasque - AFP

Observateur avisé de la Premier League, chroniqueur pour SFR Sport et pilier de l'After Foot, Philippe Auclair revient cette semaine sur le match fou entre Manchester City et Monaco (5-3), en 8e de finale de Ligue des Champions.

On se méprend quand on parle du ‘verdict’ d’un match. Un terrain de football n’est pas un tribunal; les arbitres font office de forces de l’ordre, mais il n’y a, en définitive, ni juge ni jurés; et les seules lois en vigueur sont celles de l’IFAB, qui ne sanctionnent que des faits de jeu, pas le jeu lui-même. C’est d’ailleurs là une raison des plus profondes de la viscéralité de notre attachement au football; tous, nous aimons le fair-play, en principe, mais nous accommodons des plus aisément avec l’injustice quand cela nous arrange, pour perdre toute mesure lorsque nous, notre club, notre sélection, en sommes les victimes. S’il y avait vraiment une justice dans ce sport, on aurait cousu depuis longtemps une étoile sur la tunique Orange, l’Algérie n’aurait pas été victime du renouveau de l’amitié germano-autrichienne à Gijón en 1982, Barcelone aurait connu quelques problèmes à Stamford Bridge en 2009, Harald Schumacher…bref, et peut-être que l’AS Monaco serait repartie de l’Etihad Stadium avec mieux qu’une défaite par deux buts d’écart. Et peut-être que Manchester City sera éliminé au Stade Louis-II, sans l’avoir ‘mérité’.

“Mon travail est de rendre les gens heureux”

Ce ‘verdict’-là, celui rendu à Manchester, est resté en travers de la gorge de quelques-uns en France, ce qui est compréhensible, vu la qualité de ce que les jeunes et les moins jeunes de Jardim ont eu le culot de proposer devant les caméras du monde entier. Mais qu’on ne cherche pas de coupable, au singulier ou au pluriel, car aucun crime ne fut commis ce soir-là. Aucun attentat à déplorer. Aucune vraie bavure de la police en maillot noir à signaler non plus, si l’on veut bien y regarder d’un peu plus près. Les hors-jeu qu’on a regrettés du côté monégasque (Sterling, Sané) n’en étaient pas, le carton jaune d’Agüero, plus discutable, n’a tout compte fait pas fait ‘basculer’ le match, un match qui n’a d’ailleurs jamais trouvé son équilibre que dans vingt dernières minutes écrasées par la supériorité physique de City, qui était un ressac permanent, vague après vague, les marées se succédant à un rythme donnant le vertige. Pour notre plus grand plaisir. Mieux, pour notre plus grand bonheur. “Mon travail est de rendre les gens heureux”, dit Bill Shankly, et c’est exactement ce que Guardiola et Jardim ont fait, et feront encore dans quinze jours, espérons-le. Bénis soient-ils, tous les deux.

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N’accablez pas les défenseurs de City et de Monaco

Ce qui me sidère, dans tout cela, est l’incapacité croissante du supporter de football à dévorer sa tranche de tarte à la joie, y compris quand on lui en offre une qui est plus savoureuse, plus goûteuse et plus croustifondante que 99% des viennoiseries dégelées qu’on lui vend à l’hypermarché du coin. Cette méfiance vis-à-vis du spectacle, cette aigreur à faire cailler une laiterie me sont incompréhensibles. Si vous voulez une ‘vérité’ du jeu, retournez à vos algorithmes et à vos cheats de console vidéo. N’accablez pas les défenseurs de City et de Monaco. Un gardien a le droit de faire une boulette. Il est arrivé à Buffon, Zoff, Barthez, Banks, Casillas – Yachine, peut-être pas – de faire piéger comme Subasic, comme il est arrivé à Baresi de se retrouver les fesses en l’air comme John Stones et l’hôtesse de Jacques Dutronc. Subasic n’est pas ‘nul’, pas plus que Stones, pas plus qu’Otamendi (élu meilleur défenseur central de la Liga avant d’arriver à City), pas plus que la défense de Monaco n’est ‘nulle’ sur les coups de pied arrêtés. Ce n’est pas toutes les semaines que Glik et cie doivent se frotter à des kickers comme David Silva ou Kevin De Bruyne, ou que Mendy et Sidibé sont face à des rentre-dedans du calibre de Sané et de Sterling. Ceci vaut tout autant pour les Citizens, dont le manager savait pertinemment qu’ils seraient opposés à un adversaire inhabituel, létal dans la surface, totalement confiant dans sa capacité de presser dans les trente mètres adverses. Au lieu de jouer la sécurité, Guardiola, comme toujours, fit le pari du jeu – comme Jardim le fit aussi, avec encore plus de crânerie, au vu des moyens dont il dispose, et qui ne sont pas ceux du manager employé par la famille royale d’Abou Dhabi.

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Un match comme celui-là ne meurt jamais tout à fait

Au lieu de chercher la petite bête, si l’on admirait la magnifique créature qu’on a vu se mouvoir sur la pelouse de Manchester, et qui ressemblait au football qu’on rêve de jouer, et de voir jouer?

L’analyse ‘à plat’ a son rôle à remplir. A La Turbie comme à Carrington, on va disséquer l’organisme (pas le cadavre – un match comme celui-là ne meurt jamais tout à fait) de la folle soirée, tâcher de comprendre ce qui peut l’être et préparer au mieux le choc à venir. Nous serons peut-être déçus, ce qui n’aurait rien d’étonnant après ce que nous avons vécu. En attendons, ne faisons pas la fine gueule. Soyons des gourmets, qui sachons apprécier ce qui est devant nous, ‘juste’ ou pas, dans le football comme dans nos vies.

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Philippe Auclair