JO 2020: Les coups de cœur de nos envoyés spéciaux

Romain Cannone (Maureen Lehoux)
Tous les athlètes que l’on peut rencontrer, décrivent les Jeux olympiques comme le graal, comme un truc à part qui prend aux tripes… Et pour avoir eu la chance de vivre ces Jeux de Tokyo, mes premiers Jeux d’été, c’est vraiment ça… Tout est plus grand, plus beau que nulle part ailleurs… Et c’est là, en quelques heures qu’un destin bascule… ! Il est arrivé sur cette piste d’escrime dans la peau d’un inconnu… par un trou de souris… Romain Cannone, 24 ans, benjamin de la troupe, 47e mondial … n’aurait pas dû être là… mais ce dimanche de juillet, il était écrit quelque part, que le champion, ce serait lui…
Sa fine silhouette dénote au milieu des colosses… Il sautille et touche plus vite que les autres… Dès le premier assaut, il domine le champion olympique de Londres…. Et lorsqu’il tombe le masque, ses yeux pétillent…mais il semble tellement serein… Ses assauts se suivent et se ressemblent… il est intouchable même face aux meilleurs... Les numéros 1, 2 et 3 mondiaux tombent dans le « Pano »… Pano, c’est comme ça que ses copains de l’équipe de France le surnomment… Pourquoi ? Pour Peter Pan… parce que Romain, c’est un grand enfant, un naïf, qui croit à tout… ! Et ce jour-là, justement, c’est en lui qu’il a cru… en son talent, en son étoile et surement aussi en la magie des Jeux.
Romain Cannone est devenu le premier champion olympique d’Epée depuis Eric Srecki aux Jeux de Barcelone… 30 ans de disette stoppé par un minot... Au micro, il avait du mal à réaliser ce qu’il venait d’accomplir, du mal à réaliser que son rêve d’enfant était devenu réalité… Et ce jour-là, à un tout autre niveau, c’est un sentiment que j’ai partagé avec lui…
Richard Carapaz (Arnaud Souque)
Mon coup de cœur va tout droit vers un petit gars venu de la Cordière des Andes et qui a réussi au terme d’une course de vélo d’anthologie à s’offrir la plus belle distinction de sa carrière. Il est un tout petit peu moins de 17h à Oyama le 24 juillet quand je comprends dans l'insoutenable touffeur de l'été subtropical japonais que Richard Carapaz va devenir champion olympique de cyclisme sur route. L’histoire est belle, émouvante pour ce garçon issu d’un milieu extrêmement modeste qui petit avait un jour demandé à son papa agriculteur de planter des épinards dans le jardin familial. Mais pourquoi donc lui avait demandé son père? Parce que je veux devenir aussi fort que Popeye répondit alors "Pequeño Richard"!
Et, fort, intelligent, tacticien, audacieux et malicieux, il fallait l’être pour s’extraire du paquet de star qui allait se jouer la couronne olympique version 2021 ce jour-là sur le Fuji speedway. Pogacar, Van Aert, Kwiatkowski, Gaudu, Woods, McNulty. Un plateau hors norme au pied d'une montagne sacrée et un Équatorien élevé au rang de demi-Dieu parmi les vivants. La Locomotive du Carchi, devenu d'un coup insaisissable Shinkansen (*TGV japonais) au Pays du soleil levant ... Je garderai toujours en mémoire ce dernier kilomètre où Carapaz comprend peu à peu que rien ne pourra plus entraver son chemin vers le titre suprême. À 100 m de la ligne, il claque de rage et de joie le guidon de son vélo avec sa main droite.
Un rêve de gamin partagé ! Lui deuxième sportif équatorien à devenir champion olympique. Moi en train de commenter cet exploit. Le bonheur est d'autant plus grand que nous le savons tous les deux, à nos échelles respectives. Nous venons de vivre l'une des courses de vélo les plus folle, les plus belle, et les plus relevée de ces dernières années.
Simone Biles (Nicolas Jamain)
La personnalité qui m’a marqué dans ces Jeux olympiques, c’est une personnalité qui a changé son sport avant les JO et qui a, à mon sens, changé le sport pendant les JO. Simone Biles a exprimé dans cette quinzaine tokyoïte des sentiments que peu d’athlètes de très haut niveau sont encore prêts à raconter. Le doute, la peur et ces fameux démons qui hantent sa tête. Comment ouvrir ses sentiments les plus profonds quand vous êtes une légende devant le monde qui vous regarde…Il faut du courage.
Biles a été frappée par un mal connu et craint des gymnastes. Un mal que je ne connaissais pas: "la perte de figure". Perdue dans l’espace. Subitement incapable de réaliser des mouvements si simples pour elle... Comme si vous vous leviez un matin en ne sachant plus lire ou compter…Sauf qu’elle, elle risque de se briser la jambe ou la nuque…vous vous ne risquez rien. Et pourtant, après avoir renoncé à 4 finales, elle a décidé de revenir le dernier jour. Je n’oublierai pas sa réapparition dans l’Ariake Gymnastics Center ce mardi 3 août à 18H… L’émotion et l’ovation qui accompagne son arrivée. Et quelques minutes plus tard, après son passage sur la poutre, le soulagement sur son visage, celui d’avoir vaincu sa peur. Elle n’a pas gagné mais l’essentiel n’était pas là.
Simone Biles est de la dimension des Michaël Jordan, Roger Federer ou Michaël Phelps parce-qu’elle a réinventé son sport. Et désormais plus encore, parce-qu’elle a libéré une parole, trop souvent étouffée. On peut être une championne et dire sa fragilité. Simone Biles a dépassé le sport…en étant encore différente.
Shohei Ono et Clarisse Agbegnenou (Morgan Maury)
Le tournoi de judo a sacré deux géants et un autre résultat aurait été une catastrophe. Deux monstres: un chez les garçons, Shohei Ono, le Japonais, et Clarisse Agbegnenou chez les filles. Dans deux styles très différents. Ono dans toute sa martialité, un visage qui ne trahit rien sinon l’envie de l’emporter sur une technique. "C’est le plus fort que j’ai cotôyé, peut-être l'un des plus forts de l'histoire" explique son coach Kosei Inoue.
Il s'agit de son deuxième titre olympique consécutif en moins de 73 kilos, c'est une telle domination dans cette catégorie l’une des plus chargées et c'est peut-être ce qu’il y a de plus impressionnant. Il est entouré d’une aura d’invincibilité. C’est la même chose qui suit Clarisse Agbegnenou dans son style en puissance, en sourire, en empathie, sans pitié pour ses adversaires pendant les quatre minutes du combat puis pleine d’amour pour ces filles qu’elle vient de jeter sur le dos. Elle emporte le public avec elle. On est chanceux de les avoir sous les yeux et tous les deux viseront un nouveau titre à Paris en 2024. Après la compétition de judo je me retrouve sur le site de canoë avec un collègue d’Asahi shimbun, un grand quotidien japonais et on refait le tournoi de judo. Je lui demande alors qui est la star du judo. Il me répond Clarisse, avant d’ajouter qu’il faudrait marier Clarisse et Ono. Problème, Clarisse n’est plus célibataire, comme le Japonais !
La joie du binôme Androdias/Boucheron en aviron et la détresse de Belocian (Aurélien Tiercin)
Mon coup de cœur c’est d’avoir pu constater à 50 cm des visages des athlètes le poids infini de cette médaille olympique. On le sait, on l’entend à travers les interviews, on le voit à la télé, mais le visage des athlètes change en profondeur en fonction qu’ils aient remporté la médaille d’or pour deux dixièmes ou qu’ils soient éliminés et retournent dans l’anonymat encore trois ans, pour une erreur insiginifiante.
Le premier cas de figure, c’est en aviron, sous le soleil du Sea Forest Waterway dans la baie de Tokyo. Les rameurs du deux de couple Mathieu Androdias et Hugo Boucheron, deux golgoths d’1m95, taciturne, timide, presque froid tout au long de la semaine. Quand ils ont passé la ligne d’arrivée de la finale avec deux dixièmes d’avance sur les néerlandais, la pression et les doutes accumulés en sept ans à ramer ensemble dans les sens du terme ont disparu et l’euphorie monte. Parce qu’en réalité, Hugo et Mathieu sont hyper drôles, se lâchent aux micros et leur regard a complètement changé. Ils rentrent dans la légende de leur sport à jamais, leurs noms feront partis du paysage, tout ça pour deux dixièmes.
La deuxième grosse émotion de mes Jeux sont les larmes de Wilhem Belocian après une premier obstacle mal franchi sur le 110m haies. Cinq ans de boulot, pour un des favoris, pour le champion d’europe en salle, s’écrase sur la piste de Tokyo. Cinq ans à galérer à l’INSEP, à contrôler sa vie, ses envies de sorties, de resto… pour une seconde aux Jeux et le désarroi éternel d’un rendez vous manqué. Les Jeux, c’est au dessus de tout, tu peux aller très haut, et tout en bas.
Laurent Tillie (Nicolas Baillou)
Mon coup de cœur de ces JO est Laurent Tillie, l’entraineur de l’équipe de France de Volley. Son image restera son plongeon incroyable contre la Pologne, dans un tie break décisif en quart de finale dans l’Ariake Arena de Tokyo. Ça m’a fait mourir de rire sur le coup à l’antenne, comme des milliers de personnes qui ont vu sur les réseaux sociaux cette image du coach français plonger pour sauver une balle. C’est un réflexe de jeu pour un coach en fusion avec ses joueurs.
Un plongeon symbole de l’union avec son équipe, qu’il dirige depuis 9 ans. Un moment de folie d’insouciance qui ramène au racine du volley : un jeu de main entre copains dont les joueurs français en ont fait un art. Laurent Tillie m’a touché, j’ai vu la souffrance d’un entraineur stressé, tendu en début de tournoi, puis un homme heureux et enfin libéré. C’est la fin de neuf ans de travail d’une quête olympique incessante commencée en 2012. Alors Laurent, merci pour ce plongeon vers le bonheur avec ce titre de champion olympique. Tu as bien mérité de plonger désormais chez toi dans les eaux de la méditerranée à Cagnes sur mer. Plonger et enfin savourer.
La finale du 100m homme (Louis Amar)
C'était le 1er août et c'était une première depuis 2004. Un 100m allait se disputer sans Usain Bolt. La première fois, aussi, que j'allais assister à cette épreuve mythique. Le stade est presque vide alors on entend tout, les journalistes commenter, les entraîneurs encourager, les athlètes souffler. Mais cette étrange ambiance n'atténue rien : la tension est bien celle d'un grand soir des Jeux. Le temps est chargé, lourd, mais la fourdre Bolt a disparu et la guerre de succession va commencer. Ils sont huit et nous sommes peu à connaître leurs noms. Un seul à déjà été médaillé olympique, aucun n'a déjà remporté de 100m mondial.
Dix minutes avant le départ, le stade est soudain plongé dans le noir, on est inquiet un quart de seconde avant de comprendre que tout cela était prévu et que l'électricité n'est pas partie. Les finalistes s'avancent et toute l'enceinte se fige. Plus un son, plus un bruit, le son est suspendu. Moins de dix secondes plus tard, le roi est couronné. L'improbable Lamont Marcell Jacobs, un Italien né au Texas, s'enroule dans son drapeau tricolore et n'y croit pas beaucoup plus que nous. Son chrono le soustrait au scepticisme, il a couru plus vite que Bolt en 2016. C'était historique et mémorable. Mémorable, comme une première fois.
Florent Manaudou et les conditions sans public (Julien Richard)
Je repars avec pas mal de frustation de ces Jeux olympiques, liées au contexte sanitaire. Il a vraiment manqué une chose: du public. Les Japonais auraient pu s'imprégner de leurs Jeux alors que tout était formidable ici, les installations étaient incroyables. J'ai passé la première semaine à la piscine olympique et tous les jours, j'ouvrais grand les yeux car elle est splendide. L'organisation était parfaite, les défis relevés par le Comité d'organisation étaient colossaux, il y a eu beaucoup de négatif avant ces Jeux, notamment le supposé cluster géant qu'allaient former ces JO, l'hostilité de la population japonaise. Au final, il y a eu 0,02% de cas positifs sur la population olympique. Ce n'est évidemment pas significatif mais tous les Japonais qu'on a pu rencontrer après notre quatorzaine étaient ravis de nous accueillir dans leur pays. Ils n'étaient pas ultra concernés par les Jeux, mais ils étaient fiers, curieux et vraiment chaleureux. C'est d'autant plus frustrant car les JO sont la compétition, mais c'est aussi ce partage dont on a été un peu privé. Je n'imagine même pas la frustation des athlètes japonais qui ont été privés de leur public.
Sur le plan sportif, je retiens aussi le sourire de Florent Manaudou, à son entrée derrière les plots de la piscine avant sa finale. Ce switch mental entre les tonnes de questions qui ont embrumé ces derniers mois de préparation, les doutes et ce lâcher-prise pour mettre de côté les attentes et se faire plaisir, profiter. J'en reviens à la frustration où après avoir échangé avec Florent Manaudou après sa médaille, il était frustré de ne pas avoir eu ce public. Et la bonne nouvelle, en tout cas on l'espère, c'est que ce sera effacé dans trois ans à Paris.
Le basket français (Arnaud Valadon)
Mon coup de coeur est pour les équipes de France féminine et masculine de basket. D'abord les hommes, avec ce premier match magnifique, une victoire contre les Etats-Unis, la première aux JO, et puis ce parcours invaincu, la Slovénie puis les Etats-Unis. Aujourd'hui, ce qu'on retient de cette aventure est que oui, le basket français peut jouer face aux Américains les yeux dans les yeux lors d'une finale pour la médaille d'or. Nous ne sommes pas si loin parce que les coéquipiers d'Evan Fournier sont tombés à peu de choses près (les lancers-franc, les balles perdues). Des détails qui ont fait la différence mais dans trois ans, ils sont tous déterminés à aller chercher la médaille d'or. C'est une possibilité. Les filles finissent sur une médaille de bronze incroyable après cette désillution en demi-finale contre le Japon. Elles vont se ressaisir à peine 24 heures plus tard, elles ont montré des ressources mentales incroyables pour aller battre la Serbie, qui les avait battues il y a un peu plus d'un mois en finale du Championnat d'Europe. Aujourd'hui, elles récoltent une belle médaille de bronze, après l'argent des Braqueuses en 2012 à Londres. Un tournoi de basket très intense, qui restera à jamais dans l'histoire du basket français avec deux médailles récoltées.