Mondiaux de Judo: l'interview complète de Teddy Riner dans Bartoli Time après son 11e titre

Teddy, quel est le sentiment en sortant de cette journée?
Heureux et bien mâché! Je crois que le positif là-dedans, c'est de repartir avec un 11e titre mondial, c'est une grande fierté pour moi. Quand je m'étais arrêté en 2017 et que j'avais dit m'arrêter à 10 titres, je ne pensais pas gagner une 11e fois ni que le retour allait être aussi difficile. Je sais pourquoi je le fais, pourquoi il y a tous ces sacrifices. L'objectif est tout simple: ce sont les Jeux olympiques de Paris 2024 avec l'idée de gagner une troisième médaille d'or olympique, en individuel. On va se battre pour ça. Samedi, je me suis battu pour être bien préparé et aller au bout de la journée, qui a été très, très difficile.
>>> Teddy Riner champion du monde pour la 11e fois
Depuis les tribunes, cela semblait votre plus grande journée de compétition en plus de 15 ans de carrière au plus haut niveau avec le numéro 4 mondial puis le numéro 1 japonais, le numéro 1 mondial et un Russe en finale. C'était une journée de titan...
Bien sûr, il y en a eu des journées difficiles mais celle-là, avec l'enchaînement, je crois que je me suis tapé un beau tableau (rires). Je suis content d'être allé au bout, ça fait beaucoup de bien au moral, pour moi et mon staff. On est tout le temps à l'entraînement pour chercher ce qui fera la différence, dans le but d'avoir la médaille d'or aux JO. Quand on arrive à s'imposer avec peu de moyens, c'est une grande fierté, c'est plus que positif et c'est cool.
Il y a trois combats qui ont dépassé les sept minutes, vous disiez que votre judo n'était pas forcément là mais que votre mental était en titane...
En résumé, avec peu de choses, on peut faire beaucoup de choses! Je crois que je résume bien la journée. Le mental a répondu présent: ça se bosse tous les jours avec la psychologue, ça se bosse tous les jours à l'entraînement et il a répondu présent ce samedi donc je suis vraiment content de moi et de mon cerveau.
Comment ça marche quand c'est dur pour l'autre et qu'on arrive à le faire craquer?
C'est simple: il faut croire en soi, ne pas laisser la place au doute et ne rien lâcher. Foncer, tête baissée.
C'est un coup psychologique infligé aux autres à un an des JO de Paris... Vous revenez après des années à peu de compétitions, vous avez 34 ans et vous êtes à 70% de votre niveau et vous gagnez avec la manière. Cela doit faire mal aux rivaux?
J'espère que ça leur fait mal, pour que les prochains jours soient plus faciles pour moi. Si ça a marqué mes adversaires, tant mieux, comme ça je serai encore mieux à Paris. Parce que je veux être mieux, encore meilleur et gagner ces Jeux!
On va trahir un secret mais lors de votre dernier entraînement avant le départ pour Doha, dernier randori, vous vous faîtes mal à la cheville et finalement vous prenez le pari de venir. Racontez-nous ces jours et les doutes...
C'était horrible. Je me blesse déjà en Hongrie trois ou quatre semaines avant, où le ligament saute sur un doigt. Donc pas de kumikata pendant un moment parce que c'était gonflé et ensuite quand j'ai eu l'autorisation pour revenir, sur le dernier entraînement de la première semaine de reprise, je me blesse au pied et impossible de faire des combats. Donc je faisais que de la musculation et du sol. Cela a été compliqué, on a optimisé les soins pour monter sur cette compétition et au final, je suis content d'être encore allé chercher, avec la douleur, une belle victoire.
Le judo n'était pas trop là ce samedi, avec un manque de rythme... Qu'est-ce que vous avez ressenti?
Manque de rythme et de tout sauf de mental, mais ça a été cool. C'est bien d'avoir des journées comme ça avant les JO de Paris, ça permet de répéter. Cela permet de savoir que même sans avoir grand-chose, on peut y arriver. Il y a eu peu de judo lors du dernier mois donc j'avais un manque de sensations. Quand on ne peut pas continuer à s'entraîner correctement, ça laisse un peu de place aux doutes parce que tout ce qu'on a bossé et où on se sentait super bien, ça part en fumée. Mais on s'est accroché.
Où est-ce qu'ils sont à aller chercher, les 30% restants pour les JO de Paris?
On va voir avec le staff. Il va falloir aller les chercher dans le judo, la préparation physique et le mental (il insiste sur le mental, NDLR). Un sportif de haut niveau, c'est surtout ça, être bon partout.
Comment va s'organiser l'année? Est-ce que vous avez déjà pensé à la programmation?
Le staff a déjà bossé sur une programmation mais je vais d'abord penser à récupérer. Cela a été une journée éprouvante, comme la préparation. On va prendre le temps de se reposer et de soigner les bobos. Ensuite, on va se remettre très vite au boulot pour aller continuer cette préparation des JO.
Un mot sur cette finale contre le Russe Tasoev. Vous l'aviez déjà battu deux fois, il vous fait tomber sur le dos dans la prolongation mais l'arbitre ne dit rien, et le combat repart. Qu'est-ce que vous avez pensé à ce moment? Est-ce que vous avez pensé perdre?
Non, je ne me suis pas vu perdre car avec le nouveau règlement, on n'a pas le droit de contrer quand on n'a pas créé l'action. Je suis allé le voir après et l'arbitrage m'a confirmé qu'il n'y avait pas d'injustice, que c'était le nouveau règlement. J'ai dit à Tasoev dans les yeux: 'je t'aurais donné la médaille s'il y avait eu une injustice mais c'est le nouveau règlement et je ne l'ai pas volée.' Il m'a répondu qu'il savait. Mais c'était une belle finale, on s'est arraché tous les deux. A la fin, il y a un gagnant et un perdant.
A quoi vous avez pensé quand vous êtes monté sur le podium avec cette Marseillaise? Cela fait longtemps qu'il n'y en avait pas eu...
C'est de la fierté, cela fait tellement longtemps que je n'étais pas monté sur le podium d'un championnat du monde. Je savais qu'on m'attendait, pourquoi j'étais là et pourquoi je le faisais mais tant qu'on n'a pas vécu la chose, on ne peut pas la décrire. Cela a été compliqué et difficile mais c'est fait.
Est-ce que c'est une réponse à ceux qui disent "Teddy RIner, à 34 ans, le meilleur est derrière lui" et de leur dire "la retraite, ce n'est pas pour tout de suite"?
Je les emmerde (rires). Je suis encore là et content d'être là!
C'est un levier de continuer à repousser vos limites, de faire fonctionner votre corps qui est blessé?
Oui et je prends beaucoup de plaisir sur les tapis. Tous les stages où je vais, je prends beaucoup de plaisir et tant qu'il est là, je continue. C'est pour ça que je dis s'il est là jusqu'à Los Angeles (pour les JO 2028, NDLR), il sera là. Mais avant, c'est pareil.
Rendez-vous à Paris dans un an...
Quinze mois! Quinze mois qui peuvent passer vite, à moi de bien m'occuper et de peaufiner les dernières choses à règler.