La voix de la natation aux Etats-Unis, Rowdy Gaines, voit en Léon Marchand "le meilleur nageur de la planète"

Que vous inspirent les performances de Léon Marchand à Indianapolis cette semaine?
C’est le meilleur nageur de la planète actuellement, sans discussion. Il sait absolument tout faire, et pas seulement en individuel, il peut aussi apporter sa contribution dans les relais. La France possède déjà de supers relais mais avec Léon, ils peuvent les consolider pour aller jouer la médaille. Il y en a un comme lui par génération : il y a eu Johnny Weissmuller, Mark Spitz, peut-être Ian Thorpe, puis Michael Phelps, et aujourd’hui donc, c'est la génération Léon Marchand.
Qu'est-ce qui le rend si spécial?
Déjà, il a reçu de bons gènes, son père était un athlète incroyable. Ensuite, de ce que j’ai vu de Léon jusqu’ici, c’est un nageur très humble. Bien sûr qu’il est affamé mais il n’essaie pas d’impressionner qui que ce soit. Il fait juste ce qu’il a à faire. Et je pense que s’il garde cette humilité et cette élégance, il ira loin. J’espère que ça ne lui montera pas à la tête, pour le moment ce n’est pas le cas. Et quand bien même, s’il prenait la grosse tête, je ne lui jetterais pas la pierre, il le mérite presque. Et puis au-delà de son éthique de travail, il est incroyablement aquatique. En 2002-2003, je disais la même chose de Michael Phelps, c’était quelque chose que je n’avais encore jamais vu. Et Léon a cette qualité aussi, à sa manière.
Est-il aujourd'hui l'un des meilleurs nageur de l'histoire?
Aujourd’hui, il mérite la comparaison avec les meilleurs nageurs de l’histoire. Enfin, il n’est pas encore tout à fait sur le mont Rushmore. Pour y figurer selon moi, il faut avoir gagné des médailles d’or [olympiques] en individuel. C’est le juge de paix pour intégrer la caste des tout meilleurs, des plus grands. Les médailles d’or, les records du monde, les titres mondiaux et la longévité dans son sport. C’est pour ça que (Michael) Phelps, (Katie) Ledecky… Ce sont les meilleurs. Parce qu’ils ont gagné des médailles d’or en individuel, ils ont battu des records du monde et aussi grâce à la longévité de leur carrière. Léon a désormais un record du monde, ça fait déjà un critère de rempli, mais le critère ultime, ce sont les médailles d’or olympiques. Si on y pense, ce n’est pas “juste”, on ne devrait pas raisonner ainsi, mais c’est comme ça, c’est la loi du sport. C’est pareil chez nous avec le Superbowl. Si vous ne remportez pas le Superbowl, vous n’êtes pas considérés comme les meilleurs, pas vrai ? Idem avec une Coupe du monde en football : vous pouvez être le meilleur footballeur que ce sport n'aie jamais eu, mais si vous n’avez pas remporté la Coupe du monde, vous êtes très bon mais pas LE meilleur.

Vous serez à Paris pour commenter les Jeux olympiques. Combien de médailles d’or Léon Marchand peut-il remporter?
Les changements du calendrier l’ont aidé concernant les finales du 200m papillon et du 200m brasse). Malheureusement, ça va dépendre de qui s’alignera sur ces distances. Nous connaissons tous le détenteur du record du monde sur 200m brasse, ce gamin chinois (Qin Haiyang) ou sur le 200m papillon (Kristof Milak, mais qui est resté éloigné de longs mois des bassins suite à des soucis de santé mentale). Si les deux sont là, ce sera difficile de battre l’un ou l’autre. Léon Marchand sera bien sûr le grandissime favori pour les 200m 4 nages et 400m 4 nages. Sur le papier, il n’a aucun rival. Si je dois parier, si tu me pousses du haut de la falaise pour que je donne un pronostic maintenant, je dirai qu’il va gagner 4 médailles d’or.
Est-ce un risque pour lui de disputer ces deux courses, le 200m brasse et le 200m papillon puisque les finales ont lieu le même jour?
Pas pour lui parce qu’il est taillé pour ça. Il est comme Michael Phelps. Il faut se rappeler: Phelps a nagé 17 fois en 8 jours aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. Et en 2004 aussi. Et Marchand nage avec l’entraîneur qui a formé Phelps pour ça (l’Américain Bob Bowman). Je pense donc que cet entraîneur, sur la base de son histoire avec Phelps, sait comment procéder avec lui. A Pékin, Phelps savait où il devait être à chaque minute. Laissez-moi vous raconter une anecdote : il était assis autour du bassin d’échauffement, il est resté là pendant 5 minutes. Bob vient le voir et lui demande ce qu’il fait là, pourquoi il n’est pas dans l’eau. Et il lui répond: "il me reste encore 1 minute et 30 secondes avant de me jeter à l’eau." Tout était minuté. Et ce sera la même chose pour Léon Marchand. Croyez-moi: il n’y a aucun risque pour lui de doubler ce genre de courses.
C’est vrai que ça saute aux yeux, cette façon de Bob Bowman de compter chaque seconde et chaque minute, chronomètre en main...
La montre et l’horloge doivent être nos meilleures amies dans notre sport. Pas seulement dans l’eau, mais aussi dans la gestion du temps hors de l’eau. Et notamment pour ces champions-là! J’ai nagé quatre fois en huit jours et je pensais que j’allais mourir (rires). J’ai dormi pendant deux jours après les Jeux olympiques où j’ai nagé. C’était une époque complètement différente d’aujourd’hui. Ils savent ce qu’ils ont à faire. Bob est un maître dans cette gestion et ce sera le cas cet été avec Léon. Je ne m’inquiète pas. La seule chose qui pourrait être préoccupante, ce sont les cérémonies de remise de prix et de médailles. Ce sont des passages obligés. Ils vont devoir gérer ces moments-là, ce sera intéressant de voir ça. Mais ils savent le faire.
Sur quels points avez-vous noté des progrès depuis l'an dernier?
Il est devenu plus fort physiquement il n'y a pas de doute. Sa force est bien meilleure. Il a énormément amélioré ses coulées et je ne pensais pas que ce soit possible à ce point. Mais ses parties sous-marines sont meilleures. Et son crawl s'est automatiquement amélioré ce qui va fortement l'aider sur la fin de son 400 4n. Le dernier 100m de son 400m 4n à Paris sera incroyable. C'est quelque chose que Bob va devoir préparer avec lui, sa deuxième moitié de course. Sa première partie est si bonne donc il n'est pas question de la remettre en question. Son dos s'est beaucoup amélioré grâce à sa force et son endurance. Il travaille dur pour ça. Je sais à quel point ils travaillent dur. Et avec son don il a tellement de chance, il sera dur à battre cet été.
Pensez-vous qu'il est capable de supporter la pression de JO à la maison?
C'est une des choses qu'il n'a pas encore montrés. Je pense que même sur les derniers championnats du monde à Fukuoka, il n'y avait pas ce niveau de pression. Tout le monde se doutait qu'il allait être le gars de ces mondiaux, mais je pense qu'il était encore chasseur et que lui-même se sentait encore le chasseur, pas le chassé. Il était encore en train de chasser. De chasser le record de Michael Phelps, chasser telle ou telle course. Mais maintenant il est le roi. C'est un sentiment différent. J'ai connu ce sentiment et ce n'est pas amusant. J'adorais être le chasseur, je n'aimais pas être le chassé. J'ai détesté être au-dessus. C'est marrant d'y arriver mais une fois que vous y êtes... Et il sera en plus numéro un sur la plus grosse compétition de l'histoire de son sport, dans son propre pays. La pression sera incroyable. Ça pourrait être un poids énorme mais ça ne l'est pas. Il reste lui-même, il est très calme, très gentil, très humble. Tout ce que je recherche chez un nageur hors de l'eau il coche les cases. On peut dire un million de choses sur ce qu'il fait dans l'eau. Mais hors de l'eau il est aussi spécial.
Vous avez connu ça, disputer les JO à domicile à Los Angeles en 1984 où vous avez décrochez trois titres olympiques dont celui du 100m nl...
J'ai adoré chaque seconde. Au lieu de la pression, j'ai ressenti l'énergie de l'Amérique. Ca va vous sembler bizarre, mais quand je marchais sur au bord de la piscine, avec 20 000 personnes dans les tribunes, j'ai senti leur énergie, je l'ai sentie traverser mon corps. Il va ressentir ça et je pense que ça va juste l'aider, je ne pense pas que ça va le bloquer ou autre chose. J'ai vécu cette éxpérience de la sorte.
Vous étiez à côté de Michael Phelps à Fukuoka quand Léon a battu son record du monde du 400m 4n. Que vous reste-t-il de ce moment?
On commentait ensemble cette course mais je n'ai pas beaucoup parlé. C'est sa course! Il était vraiment heureux et fier. Je pense que Michael est aussi fier que son entraîneur soit l'homme qui entraîne Léon. Et il a aussi compris les capacités de travail de Léon. Michael n'aime pas les nageurs qui n'ont pas une éthique de travail. Il avoir ça pour qu'il soit impressionné. Et je pense qu'il sait que Léon a ça, ce qui rend les choes magnifique pour Léon et Michael parce qu'ils savent l'un et l'autre ce qu'ils ressentent. Même si Michael n'a jamais disputé de Jeux à domicile, il a nagé à de multiples reprises dans des environnements avec énormément de pression sur lui. Particulièrement après Athènes et avant Pékin en 2008. Donc il y a une sorte de filliation entre lui et Léon. Ils sont connecté spirituellement.