"Si tu veux tenir en running, c'est la base": le renforcement musculaire, la clé pour progresser et ne pas se blesser en course à pied?

Au moment d'intégrer l'Insep à la fin du mois d'août 2020, Jimmy Gressier s'était confessé sur Facebook: "Il est vrai que je n’ai jamais travaillé les fondamentaux tels que la technique de course, le renforcement musculaire, la musculation." Cinq ans plus tard, deux des 12 sessions d'entraînement hebdomadaires de l'athlète français de 28 ans sont dédiées au renforcement musculaire. Des séances qui, selon les dires de son coach adjoint François Chiron dans le podcast ADN d'athlète, l'esprit sport, "ne font pas toujours plaisir à Jimmy mais qui font aussi ce qu'il est aujourd'hui". Autrement dit, champion du monde du 10.000m et médaillé de bronze sur le 5000m.
Mais le Boulonnais est loin d'être un cas isolé. De la légende du marathon Eliud Kipchoge au recordman du monde du semi-marathon Jacob Kiplimo, en passant par les stars du trail Mathieu Blanchard ou Tom Evans, quasiment tous les coureurs de demi-fond et de fond se sont mis au renforcement musculaire.
"L'arrivée de la musculation sur la course de demi-fond et d'endurance est récente, rappelle Clément Scalliet, kinésithérapeute et préparateur physique spécialisé dans le running, auprès de RMC Sport. Il y a quelques années, cela ne se faisait pas du tout. Il y avait toujours des croyances selon lesquelles prendre de la masse musculaire ralentissait les coureurs sur des efforts un peu plus longs. Or, on s'est depuis aperçu qu'il était intéressant d'avoir de la force pour développer de l'endurance."
Conseillé des débutants aux élites
Les études sont effectivement unanimes. Les différents scientifiques qui se sont penchés sur le sujet ont trouvé un lien entre le renforcement musculaire et l'amélioration de l'économie de course, c'est-à-dire la consommation d'oxygène du corps à une certaine vitesse.
Thomas Lautier, athlète élite et coach sportif de 29 ans, en est un fervent adepte. "Si tu veux progresser et si tu as des ambitions vis-à-vis de tes performances, tu es obligé de te charger. C'est primordial pour moi, nous confie le Lyonnais qui s'est mis à la course à pied en 2017 après une grave blessure au genou. Le problème, c'est que quand tu as des déséquilibres ou que tu ne cours pas depuis très longtemps, tu as cette carrosserie qui n'est pas faite. J'ai utilisé la musculation comme une manière d'accélérer les choses, de prendre un raccourci temporel. Cela m'a beaucoup aidé."
Une expérience personnelle qu'il partage avec les coureurs confirmés qu'il encadre, mais aussi les plus débutants. Idem pour Sébastien Cornette, fondateur de l'École du Trail et auteur du livre Moins courir pour mieux courir. "Le renforcement peut aider à améliorer la performance chronométrique, c'est une certitude, mais il ne faut pas qu'il soit vu comme une option, a-t-il prévenu dans le podcast RMC Running. C'est presque ceux qui vont le moins vite qui en ont le plus besoin car ils sont potentiellement moins forts que les élites." Et d'ajouter en insistant sur les dérives de la sédentarité: "Tous nos contemporains ont tout intérêt à faire du renforcement."
D'après lui, des exercices simples, à la portée de tous, sont à intégrer dans les séances hebdomadaires en fonction des objectifs de chacun. En début de saison ou de préparation, il faut privilégier des contractions isométriques (sans mouvement) comme la chaise, les fentes statiques ou la planche "pour ne pas se blesser". Puis, il faudra ajouter des exercices concentriques comme les squats ou les mountain climbers. "Une fois huit semaines passées, on s'attaque aux exercices plus complexes avec de la pliométrie (squat jumps, montées sur boîte ou banc, etc.)"
Et de poursuivre: "Le public doit entendre que la science démontre qu'on a tous intérêt à faire du travail avec charge additionnelle. Peut-être pas une charge maximale pour les débutants, mais une charge qui permet d'avoir une contrainte."
"L'idée n'est pas de progresser en musculation"
De son côté, Clément Scalliet complète: "Si on est plutôt un coureur récréatif ou amateur, le poids de corps est déjà très bien. On peut ensuite ajouter des charges additionnelles. Pour le coureur un peu plus en recherche de performance, il n'y a aucun souci à aller charger en salle de sport."
Mais attention, "développer la force c’est une chose, la développer pour qu’elle soit transférable à la course à pied en est une autre", alerte Sébastien Cornette. Car, s'il est important de renforcer les différentes parties du corps (jambes, gainage au niveau des cervicales ou des épaules…), "l'idée n'est pas de progresser en musculation", abonde Clément Scalliet. "Le piège du renforcement, c’est finalement de faire des choses qui ne sont pas forcément transférables sur les tissus qui s’exposent à la course à pied", estimait d'ailleurs Florent Allier, kinésithérapeute à Grenoble et membre de la "Clinique des coureurs" dans le podcast RMC Running en septembre.
Et tous les spécialistes s'accordent à dire que le plus important reste de courir. Le renforcement vient ainsi en complément, à raison par exemple d'une séance et trois sorties running par semaine, ou deux séances pour un traileur qui habite dans une région plate.
Être plus fort pour ne plus se blesser?
Outre son lien direct avec l'amélioration des performances, le renforcement musculaire est souvent préconisé aux coureurs pour prévenir les blessures. "Chez le sportif amateur, l'influence de la musculation n'est pas forcément la recherche de la performance mais surtout la prévention des blessures", détaille Clément Scalliet. Car les pépins physiques sont un fléau pour tous les coureurs, certaines études révélant même qu'un coureur sur deux se blesse chaque année.
Cette sur-sollicitation des tissus pourrait être atténuée par leur renforcement en amont. "Le principe de base en course à pied, c'est de s'entraîner très longtemps, sur des années, rappelle Thomas Lautier qui coache désormais en équipe avec Julien Devanne, ancien champion de France du marathon. Et si tu veux tenir en running, le renforcement, c'est la base."
Pour Florent Allié de la Clinique des coureurs, "la littérature scientifique n'est pas encore assez abondante pour être catégorique" sur le lien entre musculation et diminution des blessures. C'est pourquoi, "si quelqu’un a un planning très serré et culpabilise de ne pas faire de renforcement musculaire, il doit d’abord optimiser sa pratique de la course" en faisant attention à la progressivité du volume, sa récupération, son sommeil… Tout est alors une question d'équilibre.