Martin Scelzo: "Le maillot argentin est gravé dans notre peau"

Martin, les confrontations entre la France et l’Argentine, en 2007, ont-elles beaucoup compté dans votre carrière?
Oui, les matchs d’ouverture et pour la 3e place en 2007 sont bien sûr de bons souvenirs. C’était compliqué car on affrontait une équipe de France très compétitive. On savait qu’ils voulaient être champions dans leur pays. Mais quand on est rentré dans le couloir de la sortie du stade, on savait qu’on avait un gros coup à jouer. On n’avait rien à perdre. Cela se voyait dans nos regards et on a senti qu’on pouvait faire quelque chose. Les joueurs français, eux étaient crispés. Il y avait un enjeu énorme et nous on était alors la bête noire des Français.
Vous étiez alors nombreux à évoluer dans le championnat français…
Oui, on les connaissait par cœur et eux aussi. Trois quarts de l’équipe évoluait dans le championnat français. C’était simple de savoir ce qu’ils allaient faire et inversement. La tactique mise en place par nos entraîneurs a payé cash. Entre la France et l’Argentine, c’est un match à part. Je me prenais un très grand plaisir à jouer contre la France.
L’Argentine possédait alors une superbe génération…
Oui, c’est vrai, à tous les postes. Même si nous avons eu des problèmes internes entre les dirigeants et nous, on était dans la maturité. C’était la dernière Coupe du monde pour certains joueurs. Des jeunes montaient aussi. L’équipe était très performante.
Est-ce un des plus grands exploits du rugby argentin?
Oui, peut-être mais je pense surtout que c’est la meilleure Coupe du monde que nous avons disputée, même si en 2015 ils sont aussi arrivés en demi-finale. Cela aurait été mieux si nous avions été champions du monde… C’est en tout cas un des matchs qui a marqué le rugby argentin, notre rugby a explosé après cette Coupe du monde. Il a été reconnu tel qu’il était. Avant cette époque, nous n’avions pas de tournois fixes, c’était quasiment impossible pour nous de jouer contre les Blacks. Jouer contre l’Argentine n’était pas intéressant pour les autres avant, on nous considérait comme une petite équipe. Avec cette Coupe du monde, les choses ont changé.
Vous souvenez-vous de l’émotion que vous avez ressentie au coup de sifflet final du premier match?
On croyait déjà en nous avant. Une fois que les 30 joueurs avaient été annoncés, on s’était mis dans la tête que nous pouvions aller très loin. Mais il fallait le montrer à chaque fois. C’était un soulagement pour nous d’avoir battu la France d’entrée, surtout qu’il y avait également l’Irlande dans la poule. On a maîtrisé pas mal ce match dans tous les secteurs.
Les Français avaient-ils peur?
Oui, comme je vous disais, la pression était très forte pour l’équipe de France. Ils étaient champions du monde avant d’avoir joué la compétition. Ils s’attendaient à être champions devant leur public. C’était un gros coup dur pour eux. Ils ne s’attendaient pas à cette défaite.
Quelle était la force de votre équipe?
On partageait tout entre nous, sur le terrain ou en costume. On ne jouait pas à 15, on avait le sentiment d’être 30 sur le terrain. Et ça ne je l’oublierai jamais. J’en ai encore la chair de poule là. Je me rappelle des premiers mots d’Agustin Pichot, notre capitaine, jusqu’à ce match. On était tous comme des gamins, on pleurait car on sentait qu’on allait faire quelque chose.
Qu’est-ce que la grinta dont on parle beaucoup au sujet des Pumas?
C’est l’amour pour le maillot. Pour tous les internationaux argentins, ce maillot est gravé dans notre peau. On essaye de ne pas trahir les traditions de l’Argentine. C’est un peu comme les Italiens, on a un surplus pour ce maillot. Ce qui me fait plaisir c’est les joueurs actuels font ce que nous faisions et ceux avant nous. On continue de respecter et de valoriser le maillot argentin, jouer avec les tripes durant 80 minutes.
"Ce serait magique de gagner la Coupe du monde"
Vous êtes fiers de porter ce maillot?
Oui, très fiers. J’ai même les larmes aux yeux aujourd’hui en vous racontant ça. Pour moi, le maillot argentin est le meilleur du monde. C’est ma vie. Il y a mes enfants et le maillot de l’Argentine. Ce maillot fait partie de notre peau.
Etes-vous impatient de voir ce match samedi?
Je suis pressé de voir la Coupe du monde des Argentins. A la dernière Coupe du monde, ils sont allés en demi-finale avec une équipe très jeune mais avec beaucoup de qualités. Aujourd’hui, c’est quasiment la même équipe avec une maturité plus importante. Je pense que ça va calmer beaucoup de monde! Mais ça reste un match compliqué contre la France, on l’avait vu encore en novembre 2018. On doit imposer notre façon de jouer. Les Français sont capables de gagner contre les meilleurs, comme en 2007. Ils étaient quasiment morts avant de battre les Blacks.
Ce premier match doit bien lancer les deux équipe au Japon…
Oui, c’est exactement comme en 2007 avec la poule de la mort. L’Angleterre est très performante aussi. L’équipe qui va gagner samedi sera surmotivée. Ça me ferait plaisir qu’on aille le plus loin possible, c’est-à-dire gagner la Coupe du monde. Ce serait magique, le rêve de tout un peuple et d’une génération qui n’a pas pu le réaliser.
Est-ce possible dès cette année?
Pourquoi pas. C’est envisageable même s’il faut rester humble. On peut faire quelque chose. Le seul point qui peut nous faire dire que c’est compliqué, c’est que nous n’avons jamais battu les Blacks. Est-ce qu’on peut le faire dans une Coupe du monde? J’espère.
Soutiendrez-vous la France si l’Argentine ne sortait pas des poules?
Bien sûr. La France est aujourd’hui mon deuxième pays. Mes enfants sont tous les quatre Français et j’en suis fier. Si l’Argentine ne passe pas, je serai le premier supporter des Bleus.