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Top 14: Toulouse vise le doublé coupe d'Europe-championnat, fait rare dans le rugby français

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En finale face à La Rochelle, le Stade Toulousain a l’occasion de réaliser un doublé coupe d’Europe - Top 14, très rare dans le rugby moderne. Deux fois seulement dans l’histoire, des clubs français ont réussi à atteindre ce double objectif : le club haut-garonnais déjà, en 1996, dans des circonstances toutefois différentes, et le grand Toulon du duo Boudjellal-Laporte en 2014. Les hommes qui l’ont vécu en parlent.

"Excusez-moi de vous dire ça, mais je vous trouve ridicule avec votre question. Et vous n’arriverez pas à mettre une pression supplémentaire sur le Stade Toulousain". Au bout de plusieurs années, Guy Novès ne voulait plus en entendre parler et réservait cette réponse au journaliste qui lui demandait si le doublé était possible. Nous étions à ce moment-là entre la fin des années 2000 et le début des années 2010. Car bien auparavant, Novès avait déjà fait ce doublé. En 1996, lorsque Toulouse remporta la première édition de cette toute nouvelle compétition européenne.

Il y a 25 ans, Toulouse ouvrait la voie

Mais les clubs anglais avaient choisi de ne pas y participer et la finale, remportée après prolongations face à Cardiff à l’Arms Park, avait eu lieu au mois de janvier. De quoi laisser du temps pour se régénérer en vue de la fin de la saison en France. "La période était facilitante", avoue Franck Belot, alors 2e ligne de l’équipe. "Parce que tu finissais la Coupe d’Europe mi-janvier, tu avais quand même du temps. Le championnat n’était pas fait pareil tu pouvais jouer les mains en haut du guidon et être prêt pour les phases finales, ça suffisait". Toulouse remportera même une sorte de triplé cette année-là, avec le Challenge Yves Du Manoir.

Mais c’est chatouiller les Toulousains que de leur demander si leur exploit avait la même saveur que celui des Toulonnais, 18 ans plus tard. "Dire que la Coupe d’Europe était moins relevée, c’est une évidence", poursuit Belot. "Affirmer que j’ai fait le doublé, oui, je l’ai fait. Avec les éléments du moment. C’est factuel. Certainement que la performance de Toulon était plus appréciable. Mais on ne peut pas comparer deux évènements à 20 ans d’intervalle. Ça ne rime à rien. Est-ce que Béziers était plus fort que Toulon ? Est-ce que machin… on ne sait pas". Pourtant, de l’autre côté, en bord de Méditerranée, on n’est pas du même avis.

"Le doublé, c’est le début de la baisse de libido"

"Sans les Anglais ce n’est pas pareil, ça n’a rien à voir", lâche Mourad Boudjellal, président du RCT lors du doublé (et des trois coupes d’Europe de rang entre 2013 et 2015). "D’abord, l’année où on fait le doublé, on bat des Anglais en finale, les Saracens. C’était costaud. Non, sans les Anglais, c’est comme si tu gagnes une médaille d’or en athlétisme aux Jeux Olympiques quand les Américains boycottent les JO. C’est une médaille d’or, mais ça n’a pas la même saveur". A l’époque, un an après avoir été si proches, les Toulonnais prenaient leur revanche sur Castres au Stade de France et entraient dans la légende. Un triomphe qui marquait d’ailleurs la fin de l’immense carrière de Jonny Wilkinson, qui avait été l’architecte de tout ça. La clé du doublé.

"Oui, en 2014, c’était signé Jonny Wilkinson", ajoute Mourad Boudjellal. "C’était sa dernière saison, il avait annoncé au groupe deux ou trois mois avant qu’il voulait s’arrêter. Et quand tu es en demi-finale, à Lille, contre le Racing, et que tu as Jonny, dont on sait que ça peut être le dernier match, qui dit à la mi-temps : "les gars, je ne veux pas m’arrêter ce soir. Je veux aller à Paris, pas m’arrêter aujourd’hui". Et qu’il demande aux joueurs, "s’il vous plaît"… tu es obligé de gagner". L’Anglais renverra l’ascenseur en réalisant une grande finale, avec un drop décisif en fin de rencontre, avant de faire chavirer de bonheur le peuple toulonnais. Ce qui restera comme une sorte d’accomplissement pour son président.

"Dans ma tête, le jour où j’ai fait le doublé, mon histoire avec le RCT était terminée", confie Boudjellal. "On a regagné une coupe d’Europe l’année suivante mais je me suis dit : "qu’est-ce que je peux faire de plus que ça ?" Après, ça a été le début de la baisse de libido". Le graal des clubs qui, soumis à une concurrence dingue tout au long de la saison, courent déjà après un seul titre. Alors deux ! Pas de quoi pourtant effrayer Emile Ntamack, trois Coupes d’Europe et six Boucliers de Brennus au compteur. "Oui ça paraît énorme mais ce n’est pas impossible", pour l’ancien international du Stade Toulousain. "Donc pourquoi pas le faire. Je pense que l’histoire de ce club c’est ça aussi. Ne pas se poser de limite, de réfléchir en terme de "ça fait beaucoup"".

Entrer dans l’histoire une énième fois

Un challenge fait pour cette institution rouge et noire, qui aime pousser les murs quand ces situations se présentent. "Le Stade Toulousain, c’est cela, c’est toujours repousser les limites, faire plus, confirme "Milou". La mission de l’année qui était la cinquième étoile, elle est remplie. C’est extraordinaire, il fallait le faire. On se nourrit de ces challenges-là, de se dire "mais là, ça va être trop dur, trop difficile". Le rouge et noir a toujours montré qu’il trouvait des solutions pour avancer, gagner un, deux, trois, quatre titres d’affilée. Ça a été fait, pourquoi pas le refaire".

Malgré les blessés, malgré la fatigue, l’effectif toulousain, bien que différent concernant l’origine des joueurs, réglementation des jeunes issus de la formation française (JIFF) oblige, est, comme celui de Toulon à l’époque, certainement taillé pour cette aventure. Bernard Laporte, actuel président de la FFR et ancien manager du RCT "grande époque", pense que la densité des groupes est la clé du chemin vers le doublé : "c'est compliqué parce que les saisons sont longues", explique-il. "Cela demande beaucoup d'énergie, il y a des matchs éliminatoires, la saison est très longue. Et il faut donc 35, 38 joueurs disponibles en permanence. C'est pour cela que les doublés sont si compliqués à faire. Pour être tranquille, il faudrait 45 très gros joueurs."

Toulouse, malgré ses vingt Boucliers de Brennus et ses cinq coupes d’Europe, peut entrer dans l’histoire une nouvelle fois. Se placer de manière unique sur l’échiquier du rugby français. Et encore bluffer, au sein même de ses glorieux anciens. "Cela va être très compliqué quand même", avoue Franck Belot. "Mais bon, comme les joueurs du Stade Toulousain sont toujours surprenants de rencontres en rencontres…". L’ancien 2e ligne avoue même penser au revers de l’image, entre adoration chez soi et détestation chez les autres. "Cela va commencer à gonfler les mecs", poursuit-il. "Tu es champion, le titre de champion d’Europe qui passe tu le prends, tu peux être de nouveau champion… Je l’ai vécu à une période où on a été quatre fois champion de France d’affilée, tu es détesté. Et c’est normal. Tout le monde veut sa part du gâteau". Un gâteau que les Toulousains adorent dévorer. Et sur lequel ils se verraient bien apposer la cerise du doublé.

Wilfried Templier