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Boxe: Mossely, Oumiha, Bauderlique... La "Team Solide" de Rio reprend le chemin des JO

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Médaillés à Rio en 2016, Estelle Mossely, Sofiane Oumiha et Mathieu Bauderlique participent à partir de ce vendredi à un tournoi français de préqualification dans la perspective des Jeux de Paris en 2024. Un retour des pros chez les amateurs qui ne plaît pas à tout le monde et qui se révèle être un défi pas facile. Parole aux intéressés.

Impossible de les oublier. En 2016, à Rio, la "Team Solide" marquait l’histoire de la boxe olympique française en ramenant six médailles du Brésil, avec en points d’exclamation les sacres du couple doré Tony Yoka-Estelle Mossely. Et certains comptent remettre ça huit ans plus tard à la maison. Pour trois médaillés de Rio passés dans le camp des combats professionnels, Mossely, Sofiane Oumiha et Mathieu Bauderlique, la route du rêve olympique reprend de ce vendredi à dimanche avec le tournoi de préqualification pour Paris 2024 organisé par la Fédération française de boxe à Saint-Quentin (Aisne).

Trois jours qui définiront les meilleurs représentants tricolores dans chaque catégorie et leur ouvriront la voie des échéances qualificatives pour les prochains JO des prochains mois. Le trio, qui aurait dû être un quatuor avant de voir Souleymane Cissokho (en bronze en 2016) se retirer du tournoi en raison d’une opération à la main, profite de la règle qui a ouvert les JO aux boxeurs professionnels depuis deux éditions. Ils écoutent surtout leur envie. Quand on a connu la magie des Jeux et qu’on y a brillé, impossible de ne pas penser à revivre la chose devant son public, à Paris.

"Pourquoi revenir? Déjà parce que les Jeux sont en France, confirme Estelle Mossely, en or à Rio et pro depuis 2018 (10-0, championne du monde IBO). Si ça avait été à l’étranger, je ne l’aurais pas fait. La deuxième raison, c’est par rapport à ce que j’ai vécu dans ce sport. Mes plus belles victoires, je les ai vécues à travers les Jeux olympiques. J’ai trente ans, je ne vais pas faire de la boxe pendant encore dix ans, je suis plus proche de la fin que du début, et je me suis dit que j’aimerais revivre les émotions ressenties à Rio."

Mossely, qui a eu deux enfants avec Yoka depuis les Jeux (les deux sont aujourd’hui séparés), le fait aussi pour eux. "Ça a du sens par rapport à l’exemple que je veux donner à mes enfants, celui d’une femme qui reste femme, qui a mené sa vie et fait ses enfants et qui assume complétement ses choix de carrière sportive. J’ai vraiment envie de leur donner cette image." Pour Mathieu Bauderlique, pro depuis 2011 (21-2, ancien champion d’Europe EBU et champion WBA Inter-Continental chez les mi-lourds) et qui l’était donc déjà à Rio, la motivation vient surtout du défi sportif. Après le zéro pointé de Tokyo, aucune médaille pour la boxe tricolore, la Fédération l’a contacté pour faire grandir le groupe en qualité dans la perspective de Paris 2024.

"Ils se disent qu'on n'a rien à faire là"

Mis KO par le Britannique Callum Smith en août dernier dans une demi-finale mondiale WBC, Bauderlique avoue avoir été "prêt à arrêter (s)a carrière". Mais cette proposition a ravivé la flamme. "On a été interpellé par la Fédération car ils ont un groupe jeune mais pas forcément efficace, du moins dans ma catégorie, pour pouvoir performer aux Jeux. Ils ne les sentent pas immatures mais en manque d’expérience. C’était loin de mes pensées. Je voulais laisser la chance aux jeunes. Mais ça manque d’expérience et le but est d’aller chercher un maximum de médailles." "Pas trop partant" au départ tant "revenir dans le monde amateur est difficile", le médaillé de bronze de Rio s’est finalement "laissé prendre par l’enjeu".

"C’est ce qui me plaît. Et puis c’est à Paris, complète-t-il. La dernière fois, c’était en 1924, il y a cent ans. Vivre une olympiade est déjà extraordinaire. Et chez soi, c’est magnifique. Finir sur une bonne note là-bas, ce serait bien." Un peu esseulé chez les pros, Bauderlique apprécie également de revenir dans des structures plus carrées. "En France, professionnellement, c’est très compliqué. Les promoteurs investissent très peu, on n’assure pas les camps d’entraînement et les préparations physiques, tout sort de votre poche. L’avantage en équipe de France, c’est que vous n’avez à penser à rien. Ils financent tout, ils programment. On peut se concentrer pleinement sur la performance et sur la progression."

Une question se pose vite. La situation est-elle juste pour les amateurs qui risquent de voir les pros prendre les places olympiques? Le débat peut s’entendre. Mais il ne faut pas oublier que la règle leur permet de le faire. Alors pourquoi se gêner… "La plupart des gens ne veulent pas des pros car ils se disent qu’on n’a rien à faire là, explique Sofiane Oumiha, en argent à Rio et pro depuis début 2022 (3-0). Je comprends oui et non car il y a des des pros qui sont meilleurs en amateurs et des amateurs qui sont bien meilleurs que des pros. On verra bien si le pro peut battre l’amateur. Je pense que oui. Tous ceux qui sont là veulent participer aux Jeux. On a déjà eu cette chance et l’envie de nous battre sera dans les têtes de tout le monde. C’est normal. A nous de relever le défi."

"Je ne suis pas là pour prendre la place à quelqu’un, rappelle Bauderlique. Si je mérite de remporter ce tournoi, ce sera juste le meilleur qui aura gagné. Les anciens vont aussi un peu pousser les jeunes et leur expliquer que tout est possible quand on a l’envie, qu’on travaille dur et qu’on est sérieux." Avec un format différent (trois rounds chez les amateurs, de quatre à douze chez les pros), l’approche d’un combat comme sa préparation épousent d’autres logiques. "Même si je ne suis passé pro que depuis un an, ce n’est pas du tout la même façon de travailler ou les mêmes attentes, appuie Oumiha. Je n’ai pas tout perdu non plus mais… Faire la transition amateur-pro était compliqué mais j’ai quand même réussi à le faire. Le refaire dans l’autre sens, c’est compliqué. Mais ce n’est que du plaisir."

"J'avais perdu ces habitudes"

Même son de cloche du côté de Bauderlique, qui a mis la boxe pro "de côté" en raison du manque de moyens en France et de son manque d’envie de s’expatrier "à (s)on âge" (33 ans) pour aller trouver à l’étranger ce qui lui manque dans son pays. "Les gens pensent que ça va être facile pour les pros mais vraiment pas, pointe le boxeur du Pas-de-Calais. C’est une réadaptation à faire, un autre foncier, un autre cardio. Les amateurs, c’est comme du sprint, on commence directement à 300 à l’heure. En pro, on a le temps d’observer, de patienter pour préparer son combat. Le rythme est complétement différent. En amateur, le cœur monte très vite. J’avais perdu ces habitudes. Vous avez l’impression d’être asphyxié dès les premières minutes. Il y a un plus gros volume de coups, les déplacements… Il n’y a pas trop le temps de réfléchir. Il faut y aller tête baissée mais être intelligent pour ne pas prendre de coups."

Bauderlique poursuit: "La boxe pro, c’est abattre l’adversaire, lui faire mal. Là, c’est plus du toucher sans se faire toucher, laisser partir les coups, être fluide et relâché au maximum. Mais même si on dit amateurs, ce sont des professionnels. Ils s’entraînent deux fois par jour toute l’année, ils font des compétitions majeures. C’est leur métier à plein temps." Bref, tout sauf joué d’avance, comme l'avait appris l'ancienne championne du monde pro Maïva Hamadouche à Tokyo en 2021 (éliminée dès son entrée en lice dans le tournoi olympique). "J’ai une grosse expérience, qui joue en ma faveur, mais les jeunes ont les dents longues, conclut Bauderlique. Et on vieillit donc on récupère moins bien. C’est une réadaptation, autre chose. Le foot sur pelouse et le foot en salle sont très différents, par exemple. Personne n’est à prendre à la légère car tout peut arriver. Il faut juste prendre combat comme une finale."

Seul médaillé de la petite dizaine de professionnels présents aux Jeux de Rio, il peut en témoigner mieux que quiconque: "C’est dire la difficulté de la chose. Rien n’est gagné d’avance, surtout en amateur. Revenir dans ce monde plusieurs années, c’est vraiment complexe." Avec ses potes de la "Team Solide", où "on se soutient avant chaque combat et on prend régulièrement des nouvelles des autres", Bauderlique ne revient pas chez les amateurs juste pour participer à Paris 2024. Le retour se conjugue à l’ambition. "On n’y va pas pour la figuration ou pour se faire voir. On veut tous être médaillé. On doit se fixer d’être champion olympique."

Oumiha dit ne pas stresser avant ce week-end et ce tournoi de préqualification un peu couperet à l’issue duquel il prendra la décision de se tourner à fond vers les JO ou de mixer avec sa carrière pro. Qui l’attend toujours en cas d’échec, tout comme pour Mossely qui avoue que la boxe pro n’est "pas ce qui (lui) a le plus plu" mais qui peut prétendre à un énorme choc contre la championne unifiée WBC-WBA-IBF-WBO des légères, l’Irlandaise Katie Taylor. "Je pars dans cette aventure avec le sentiment que j’ai tout à gagner, confie-t-elle. Mais je garde mon challenge professionnel et je compte faire ce fameux combat contre Taylor bien avant d’aborder les JO l’année prochaine."

Alexandre Herbinet avec Morgan Maury et Valentin Jamin