UFC: Pourquoi l’insouciance de Gane est une de ses grandes armes

La phrase est un marronnier des rings et autres aires de combat. Dans ces sports qui mettent en danger son intégrité physique, on ne joue pas. Mais Ciryl Gane, qui défie Francis Ngannou ce week-end en Californie pour la couronne des lourds de l’UFC, Graal de sa discipline, n’est pas un combattant comme les autres. "C’est un vrai jeu pour moi, lance le Vendéen au micro de RMC Sport. Que du plaisir. C’est peut-être mon subconscient qui fait les choses, qui essaie d’inhiber tout ce qui est négatif. Si tu prends l’entrainement, il y a des fous rires et c’est tous les jours comme ça. C’est toujours de l’amusement." "Certains ont besoin d’être sérieux pour pouvoir apprendre, ajoute son coach Fernand Lopez. Lui, sa pédagogie passe par le jeu."
"Bon Gamin" peut devenir le premier Français champion incontesté de la plus grande organisation de MMA à travers la planète – il a déjà le titre intérimaire depuis sa victoire sur Derrick Lewis en août – moins de quatre ans après avoir débuté chez les pros, symbole d’une trajectoire météorite. Aux portes d’un exploit XXL pour lui comme pour le sport français, qui en ferait une des plus grandes stars de ce dernier à l’international, Gane pourrait commencer à trembler sur ses fondations. Pas le genre de la maison. La pression? Connaît pas. "Elle est dans la bière", répète-t-il souvent dans une formule qui fait toujours mouche. La semaine du combat et toutes ses obligations médiatiques? Il en parle comme de "vacances rémunérées".
L’approche finale du combat, à quelques minutes de s’enfermer pour se battre avec un autre mastodonte? "A l’entrée dans la cage, souvent, je fais un petit dernier sourire à mes gars car je sais qu’ils sont stressés pour moi, racontait-il il y a quelques mois dans le podcast RMC Fighter Club. A chaque fois, ça me fait rire, je les checke en mode tout va bien, c’est cool." Insouciant, "presque inconscient de ce qui va arriver" comme l’explique Lopez, qui a parfois fait face à des demandes inattendues. Désormais connue, l’anecdote dit tout sur son rapport particulier à la pression: Ciryl qui demande à son entraîneur de sortir l’application Shazam pour savoir quel son accompagne l’entrée de son adversaire alors qu’il attend pour pénétrer dans l’arène.
"Le son est bon donc je le demande", sourit l’intéressé. "On est dans ce qu’on appelle le 'couloir de la mort', complète son coach. Quand tu rentres là-dedans, trois minutes après, tu marches pour combattre un mec qui veut t’arracher la vie. Et lui me demande ça. Là tu te dis: j’ai un fou avec moi, ce n’est pas un mec normal." Un doux dingue à la décontraction contagieuse. "Parfois, Fernand est en train de donner les consignes et il te parle, raconte Taylor Lapilus, son pote et partenaire d’entraînement au MMA Factory, consultant pour RMC Sport. Fernand nous interrompt pour dire: 'Oh les gars, je suis en train de parler'. Trente secondes après, si un mec dit un mot, il lâche bien fort: 'Oh les gars, Fernand est en train de parler là!' Il fait un peu le fayot pour se marrer et chambrer. Il est toujours en train de plaisanter."
Lapilus se souvient d’une autre anecdote: "Une fois, la veille d’un combat dans l’organisation canadienne TKO, où il a fait ses débuts pros en MMA, il nous dit: 'Venez les gars, on loue des vélos, on va faire le tour de Montréal'. On lui a dit qu’il était fou mais on l’a fait." Pour son premier main event (combat principal) à l’UFC, en février 2021 face à Jairzinho Rozenstruik, gros test sur la route d’une chance pour le titre, il trouvait ça "dingue de voir (s)a tête sur les posters". Pour le reste… "Ça ne me fait rien du tout, c’est un combat lambda pour moi, un combat comme un autre", tranchait-il. A chaque fois qu’on lui a parlé avant un rendez-vous dans la cage, peu importe son importance, il a répété cette phrase sous une forme ou une autre. Sans minimiser "l’impact que cela pouvait avoir sur (s)a carrière" mais sans se faire une montagne du défi à relever.
Pas de prise de tête, quoi, à l'image de ce moment où il oublie qu'on doit lui remettre une ceinture après être devenu champion intérimaire de l'UFC et en rigole, mais le garçon sait très bien ce qu’il fait et où il va. "Je suis là pour gagner de l’argent et prendre soin de ma famille derrière, martèle-t-il chaque fois qu’on l’interroge sur ce thème. Ce n’est pas la pression d’un combat qui va faire que je vais arrêter de rigoler. Il y a des gens qui en ont besoin. Moi, vraiment pas." "La pression vient car tu as des incertitudes, car tu ne sais pas où tu vas et ce qui va t’arriver, pointe Lopez. Lui est très conscient de ce qui peut et de ce qui va se passer. Il se pose moins de questions. C’est vraiment lié à sa personnalité." L'absence de son coach pour un problème de visa pour son combat contre Junior Dos Santos en décembre 2020, après un an d'absence de la cage entre blessure et conséquences de la pandémie de Covid-19, ne l'avait pas perturbé (victoire sur TKO au deuxième round).
Tout comme les critiques de Dana White, patron exécutif de l’UFC qu’il vaut mieux séduire pour la suite de sa carrière, sur son style pas assez spectaculaire après sa victoire à la décision sur Rozenstruik en février dernier. "Je comprends sa position mais ils ont intérêt à s’habituer car je ne vais pas changer", répondait-il quelques jours plus tard dans un sourire. "Il joue sa vie sur certains combats mais il sait gérer tout ça et prendre du recul, confirme Lapilus. Avec le succès qu’il a, plus d’un combattant aurait pris la grosse tête. Lui, c’est le même mec." Qui ne s’est pas interrogé sur un choix trop précoce quand il a fallu rejoindre l’UFC après à peine trois combats professionnels au TKO. "Certains disent qu’ils ne veulent pas aller tout de suite à l’UFC. Pour moi, c’est une erreur, estime-t-il. Signe avec l’UFC, casse-toi les dents avec ces mecs et tu vas apprendre deux fois plus qu’ailleurs. Je ne comprends pas cet état d’esprit. J’ai toujours été un fonceur." Une approche décontractée qui colle à son surnom de "Bon Gamin" et qui fait en partie la force de ce striker de très haut niveau qui reconnaît être "un gars qui s’en fout de tout". "Peut-être que ça m’aide", reconnaît-il à demi-mot. "
"C’est effrayant d’affronter un mec aussi détaché", glisse son coach. La preuve avec le combat à venir. "Francis Ngannou profite de ce qu’on appelle l’effet Mike Tyson, poursuit Lopez. Tyson arrivait pour combattre contre toi, t’étais déjà battu à 50% parce que c’était Tyson. Mais cet effet-là n’a pas d’effet sur Ciryl." Ce choc historique contre Ngannou peut "changer (s)a vie". Il le sait. Mais elle ne changera pas le bonhomme, foi de Gane. L’ancien footballeur et basketteur dans sa jeunesse qui n’a "jamais rêvé d’être un combattant" et a débuté le muay-thaï sur le tard avant sa transition au MMA avoue ne pas connaître l’histoire de son sport, qu’il "ne connaissai(t) même pas il y a quatre ans". Il ne réalise sans doute pas vraiment, donc, ce qu’il est en train d’accomplir. Et il n’y a rien de mieux pour y arriver. "Les gens pensent qu’il est motivé parce qu’il aime le combat et qu’il peut gagner une ceinture, explique son coach, mais je vous garantis qu’il n’en a rien à tamponner. Ce qui motive Ciryl Gane, c’est l’envie que sa famille soit fière de lui, que les Français soient fiers de lui, l’envie de me faire plaisir. Quand je suis en larmes et qu’il me pose la ceinture de champion intérimaire de l’UFC sur l’épaule, à Houston, je sens qu’il y a de la joie dans ses yeux. Je les vois pétiller."
Cette décontraction face à l’événement, qu’on retrouve aussi dans sa faculté à être à l’aise face aux médias même quand il faut utiliser cet anglais qu’il ne maîtrise pas sur le bout des doigts, a une autre conséquence: celui que son papa Romain, conducteur de cars à la retraite, décrit comme "peureux" dans sa jeunesse – "Il a eu peur de l’eau jusqu’à cinq-six ans, il voulait toujours être dans les jupons de sa maman", se souvient ce conducteur de cars à la retraite pour RMC Sport – ne craint personne dans la cage comme ailleurs. "Quand tu as des craintes, tu es sûr de perdre, rappelle-t-il. Je suis prêt à combattre n’importe qui, peu importe le style, et n’importe où! Je ne dis pas ça pour faire le pitre!" Et de compléter comme pour mieux expliquer: "Ce n’est pas que je n’ai pas de pression car il y a quand même un enjeu. Mais si je perds, ce n’est pas grave. J’ai le droit de perdre. Ça ne peut que m’apprendre et me rendre encore plus fort."
Il doit aussi cette personnalité à ses racines, cette famille modeste où on ne pouvait pas lui acheter la dernière console ou les plus belles baskets mais où il n’a manqué ni d’amour ni de bonnes valeurs. Et qui ne lui a jamais mis la pression, même pour les études. "Papa n’a pratiquement pas été à l’école, il n’allait pas me dire ce que je devais faire", appuie-t-il. Il la doit à son propre parcours, enfin, qui lui a ancré la tête sur les épaules plus facilement que quand les lumières du sport pro arrivent trop vite. "J’ai fait mon BTS, rappelle-t-il, et j’ai travaillé dans pleins de trucs : la téléphonie, la literie, éboueur, à l’usine pour mettre des beurres dans des cartons. Quand tu côtoies la vraie vie… Là, c’est du bonus." Ciryl Gane sait qui il est et n’a pas besoin de se créer un personnage.
Mais rester lui-même jusqu’au bout pourrait aussi lui jouer des tours. La gentillesse, une des marques de fabrique de ce colosse qui avoue que seules des attaques verbales sur sa famille proche pourraient le faire craquer, n’est pas toujours payante quand on rentre dans une cage. "Quand il s’arrête car Rozenstruik dit qu’il a mal à l’œil ou qu’il a pris un coup dans les parties, ce n’est pas normal, explique Lopez. Je pète un plomb et je lui dis: 'Tant que l’arbitre n’a pas annoncé que ton adversaire était blessé, ne t’arrête pas et ne lui tape pas dans la main'. Ce sont des réflexes que j’ai envie de lui faire sauter car s’il tombe sur quelqu’un de vicieux ou de malhonnête, le gars peut profiter de la gentillesse de Ciryl qui lui tend la main car il veut s’enquérir de sa santé pour lui mettre un mauvais coup et c’est la fin du combat."
Dans quelques jours, l’UFC aura peut-être un champion des lourds presque trop gentil par rapport à ce qu’on attend de celui qui tient ce rôle. Mais c’est aussi ce qui peut faire exploser son aura et sa discipline en France. Il fallait une star accessible abordable, sympa, pour démocratiser le MMA, discipline trop longtemps vue comme des combats de coqs par ses détracteurs mais aussi une partie du grand public. Bonne pioche. "S’il devient champion, il peut enflammer la France pour le MMA comme Conor McGregor l’a fait en Europe", estimait White en août dernier. Il n’y a plus qu’à, Ciryl.