UFC: pourquoi Tom Aspinall est un symbole des poids lourd nouvelle génération

La description, signée Darren Till, laisse un doute. "Il est tellement rapide pour un lourd, il danse dans la cage comme je n’ai jamais vu personne le faire pour son gabarit." Ciryl Gane? Raté. Le combattant britannique poids moyen parle de Tom Aspinall, compatriote et compagnon d’entraînement de la Team Kaobon du côté de Liverpool, opposé ce samedi soir à l’expérimenté Alexander Volkov en main event (combat principal) d’une Fight Night qui marque le retour de l’UFC en Europe plus de deux ans après. Une caractéristique qui fait penser à "Bon Gamin" et raconte l’arrivée dans "une nouvelle ère", comme le Français l’avait souligné en août dernier en évoquant son cas mais aussi celui du Britannique.
Une bascule des gros castagneurs qui misaient tout sur la puissance vers des mastodontes plus multi-facettes et capables de bouger comme des combattants bien plus légers. Encore plus que Gane, ovni surdoué qui a commencé sur le tard, Aspinall en est un symbole éclatant. Il peut boxer et faire très mal avec ses poings, à l’image des trois KO au premier round infligés sur ses quatre premiers combats à l’UFC. Il peut aussi régaler au sol, à l’image de la soumission par étranglement sur l’ancien champion Andrei Arlovski pour son autre victoire dans la grande organisation de MMA. Il bouge vite et bien, maîtrise la gestion de la distance. Le tout avec un physique de colosse, près de deux mètres et plus de 110 kilos. Un mix comme une ode à sa trajectoire.
Le natif de Salford, dans la banlieue de Manchester, a découvert les arts martiaux traditionnels "vers sept ans", porté par un père tombé en pamoison devant la technique de la légende brésilienne Royce Gracie lors des premiers événements UFC des années 90. "Mon père a été une des premières ceintures noires de jiu-jitsu brésilien en Grande-Bretagne, un pionnier", raconte le fiston. Papa Andy ouvre le club Aspinall BJJ – qui compte aujourd’hui plusieurs centres dans le nord-ouest de l’Angleterre – à Bolton. Dans les pas de son père, Tom va bien sûr s’essayer à cette discipline. Avant ça, il pratique la boxe, la boxe thaï et la lutte, passant chaque fois par la case compétition. Il tâte aussi un peu de judo.
"Vers 17-18 ans, j’avais pratiqué tout ça et je me débrouillais bien dans tout, se souvient-il, donc c’était une progression naturelle de mixer tout ça pour faire du MMA." Le garçon se lance dans des combats amateurs, tous remportés. Fin 2014, il bascule chez les pros et signe en un an et demi un bilan de 5-2 dans des organisations locales comme le BAMMA avec plusieurs KO, tous au premier round, malgré un striking (combat debout) "terrible". Il obtient aussi sa ceinture noire de jiu-jitsu brésilien des mains de papa mais décide de basculer vers la boxe, où il dispute un combat pro en 2017 pour une victoire par KO après 84 secondes.
Sparring de Fury avant Klitschko
Une belle rencontre l’a incité à se tourner vers le noble art. "Vers (s)es 22 ans", Tyson Fury l’embauche comme sparring-partner avant d’affronter Wladimir Klitschko, dont il épouse les caractéristiques physiques. "Passer du temps avec lui a complétement changé mon état d’esprit, raconte-t-il. Il ne prend pas trop les choses au sérieux. Quand il monte dans le ring, même à l’entraînement, il s’amuse. Grâce à lui, je ne vois plus la compétition comme une question de vie ou de mort mais comme du plaisir." Il a encore remercié Fury ces derniers jours pour "avoir changé (s)a vie". Mais la politique des coulisses de la boxe et son amour des arts martiaux le ramènent vers un MMA tout sauf oublié grâce au vieil amour familial. "J’ai toujours fait du jiu-jitsu en parallèle."
Sa carrière pro reprend début 2019, au Cage Warriors, principale organisation européenne, où il brise la jambe de Sofiane Boukichou avant de battre un autre Français, Michael Ben Hamouda, chaque fois au premier round. L’UFC lui fait les yeux doux mais Aspinall hésite à signer car il pense avoir besoin de plus de temps pour progresser. Le manque d’opportunités chez les lourds sur le circuit européen va finir par le décider. Résultat? Deux victoires en moins de trois mois et au premier round en 2020, dont une sur le Français Alan Baudot qui faisait ses débuts à l’UFC, et deux autres succès en 2021, la soumission sur Arlovski à la deuxième reprise en février et un TKO tonitruant sur Sergey Spivak au premier round en septembre pour un total de trois bonus "performance de la soirée".
De quoi grimper au onzième rang de la catégorie et s’offrir un choc dans son pays – "Un putain de rêve!" – contre Volkov, sixième chez les lourds, qui peut le rapprocher des sommets. "Humble et discret", c’est lui qui le dit, au point de pleurer devant les caméras quand on lui apprend qu’il touche un bonus, honnête face au micro jusqu'à avouer "ne pas bien performer à l'entraînement" quand tant d'autres ne le diraient pas, le combattant de 28 ans a souvent répété vouloir "prendre (s)on temps pour grimper". "Je ne suis pas un idiot, explique-t-il. Je suis fan de l’UFC et j’ai vu beaucoup de gens monter vite et redescendre encore plus vite. Je ne veux pas être comme ça."
Il pourait bien croiser Gane...
Comme Gane, qu’il pourrait croiser dans le futur et dont il semble partager les valeurs humaines et l’envie de mettre les siens à l’abri avec le combat ("J’ai trois enfants et tout ce que je veux, c’est leur offrir une maison"), le plan se voit plutôt à long terme. "Beaucoup de poids lourds se développent tard et je suis du genre à éclore tardivement donc je pense que je serai vraiment bon au milieu de ma trentaine. Je ne suis pas pressé et les gens doivent s’habituer à moi car je ne suis pas près de partir. J’ai encore dix ans devant moi." Alors, trop tôt pour affronter Volkov et son excellent striking? Certains le pensent. Mais il faut savoir battre le fer du talent et de la hype quand il est chaud. Pour Aspinall, à qui certains président une année 2022 météorite comme 2021 l’a été pour Gane, il est bouillant.
"Il veut devenir la prochaine grosse star des lourds et il est sur le bon chemin", juge Daniel Cormier, ancien champion de la catégorie (et des lourds-légers) à l’UFC devenu commentateur télé. Explosif avec une seule victoire au-delà du premier round et une moyenne de 64 secondes dans la cage pour ses onze succès en carrière (!), précis dans ses frappes, auteur des KO puissants qui font aimer les lourds tout en maîtrisant la technique au sol avec son jiu-jitsu brésilien (qu’il souhaitait cacher le plus longtemps possible à l’UFC car beaucoup le pensaient pur striker à cause des entraînements avec Fury), sympa, le garçon a tout pour plaire et pour grimper dans une catégorie en pleine transition de générations.
Depuis le combat contre Arlovski, devenu champion de l’UFC quand Aspinall avait… 12 ans, il a aussi changé son régime et son style de vie pour les adapter à sa conquête des sommets. "Avant, je ne vivais pas comme un athlète. Je m’entraînais dur mais juste deux-trois heures et je vivais le reste de ma journée comme une personne normale. Je mangeais mal, je buvais, je dormais peu, détaille-t-il. Désormais, je me soucie de toutes ces choses et je me sens mieux. J’ai vu des changements dans mon corps et dans mon mental. Et je suis correctement payé à l'UFC désormais, je n'ai plus d'excuse!" Selon Colin Heron, son coach chez la Team Kaobon, il continue aussi de progresser constamment. Effrayant quand on voit déjà l’efficacité de son combo vitesse-puissance-gabarit.
"Ma vitesse, c’est du jamais-vu pour un gars de ma taille et de mon poids, appuie-t-il. J’ai fait du sparring avec beaucoup de gens et regardé beaucoup de combats de poids lourds et personne ne possède ma vitesse. Je ne dis pas ça pour me la raconter, je suis juste honnête." Il apprend aussi à gérer la pression, qui va augmenter à chaque étape: "Avec la peur, on a une relation géniale. Plus j’ai peur, plus je suis dangereux. Avant, je la voyais comme l’ennemi. Je disputais deux combats, un contre mon adversaire, un contre la peur. Mais maintenant, je l’utilise. J’ai une femme mais la peur est ma maîtresse."
Celui qui n’a encore jamais connu un troisième round, ce qui explique peut-être pourquoi on n’a pas encore vu de grosses failles chez lui, aura sans doute besoin de plus d’expérience pour atteindre son Graal. Mais il le sait. "J’ai l’impression d’être au-dessus de beaucoup de lourds sur les qualités techniques mais je suis en-dessous sur le niveau d’expérience, et ça compte. J’ai encore beaucoup à apprendre. Beaucoup des meilleurs lourds sont dans la fin de leur trentaine. Parfois, j’oublie combien je suis jeune." Mais il n’oublie jamais l’objectif. "Je sais que je porterai la ceinture de champion un jour." Tout en haut de la montagne, Francis Ngannou ne craint pas encore Tom Aspinall. De passage dans les locaux de RMC Sport cette semaine, le champion camerounais voit plutôt Volkov s’imposer à l’expérience ce samedi même si "c’est du 50-50". Au Britannique de le faire mentir pour continuer de grimper dans le grand escalier des lourds.