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UFC Paris: Ciryl Gane, questions sur un champion

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Talent extraordinaire, météorite dans son parcours, Ciryl Gane reprend le fil de sa carrière ce samedi à l’UFC Paris, premier événement en France de l’histoire de la grande organisation de MMA, dans un choc face à Tai Tuivasa un peu plus de sept mois après sa défaite contre Francis Ngannou. L’occasion de s’interroger sur son discours: "Bon Gamin" a-t-il en lui le feu intérieur pour aller conquérir le titre incontesté des lourds? Analyse.

Le sujet est sensible alors posons les bases d’entrée. Ciryl Gane, qui revient dans la cage ce samedi soir face à Tai Tuivasa en tête d’affiche du premier événement de l’histoire de l’UFC en France, est un combattant rare. Une météorite du MMA. Trois ans après ses débuts professionnels, "Bon Gamin" raflait la ceinture intérimaire des lourds de la plus grande organisation de la discipline, une performance jamais réussie par un représentant tricolore à l’UFC. S’il a ensuite échoué à conquérir le titre incontesté face au champion Francis Ngannou, subissant sa première défaite en carrière, le combattant du MMA Factory a déjà marqué l’histoire de son sport dans notre pays.

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Il sera le premier à avoir connu cet or autour de la taille. A jamais. L’homme au centre du poster du premier UFC Paris, aussi. Le talent est indéniable, rare, unique ou presque dans sa catégorie, et le spécialiste du striking (combat debout) venu du muay thaï – après le foot et le basket dans l’enfance – au fabuleuses qualités de déplacement a su l’exploiter. Mais on va maintenant parler mental. Avec une question provoc’ qu’il faut prendre le temps d’expliquer: Ciryl Gane a-t-il l’étoffe d’un champion? Le si sympa gars de la Roche-sur-Yon le répète depuis son entrée dans ce milieu. Il ne s’est jamais imaginé en combat ou à l’UFC pendant son enfance. Il se serait plutôt vu sur une pelouse, crampons aux pieds, ou sur un parquet, grosse balle orange en mains. "Je n’ai jamais rêvé d’être champion de l’UFC", confirmait-il à notre micro fin juin.

Mais il était trop doué pour ne pas en faire une profession, et les zéros sur son compte en banque prouvent qu’il a eu raison. Il fait ça pour sa famille, ses deux petites filles, pour les mettre à l’abri. Mais dans un sport où les rois et reines viennent très souvent du bas de l’échelle sociale, où le feu intérieur peut vous apporter l’étincelle supplémentaire nécessaire quand vous êtes plongé en eaux troubles, une telle approche peut-elle être un frein à l’ambition? "A très haut niveau, on ne peut pas faire ça que pour gagner sa vie, estime Francis Ngannou. Il faut aussi avoir de la passion pour son sport."

Gane a toujours évoqué son légendaire détachement des choses du MMA comme "une force": "Le gars qui rêve de ça depuis tout petit, voilà comme il doit se mettre la pression…" "Bon Gamin" n’est pas fait du même métal que certains des plus grands noms de l’histoire du sport. "Quand je regarde les reportages sur Netflix sur des grands champions, je ne m'y retrouve pas du tout. Que ce soit un Michael Jordan ou un Tony Parker, c'est un mental bien différent. C’est pour ça que Ciryl, on l’aime bien: il s’en bat un peu les reins de ce qu'il peut se passer. Mais ça peut être une force d'être différent de ces gars-là. C’est quelque chose qui me protège."

Mais d’autres sorties oratoires interrogent. En juin, il avouait s’être remis à fond à l’entraînement après sa première défaite seulement après avoir vu le nom de son adversaire et la date de leur combat officialisés. "J’ai souvent besoin de ma carotte, c’est vrai. » Quelques jours avant, sur sa chaîne Twitch, alors qu’il raconte une discussion avec son coach-manager Fernand Lopez sur cette personnalité "je-m’en-foutiste" (c’est lui qui le dit) qui peut jouer des tours à sa carrière, un fan l’interpelle dans le tchat et lui demande s’il ne ressemble pas à Hatem Ben Arfa, un des plus gros talents gâchés du foot français ces dernières années. Réponse? "Ma parole, j’avoue, je suis Ben Arfa!"

La phrase est lâchée dans une ambiance bon enfant mais elle dit peut-être plus qu’il n’y paraît. A-t-il peur de suivre une trajectoire similaire, même s’il a déjà plus accompli dans son sport que "HBA" dans le sien? "Complétement. Mais ma réponse est: je ne pense pas. Car je suis bien entouré, car je suis compétiteur, et car ce n’est pas exactement le même schéma sportif. Je ne pense pas être dans ce format-là. C’est une bonne comparaison dans le sens où ce n’est pas bête. Mais si vous regardez bien, je l’ai dit de travers, juste en regardant le commentaire mais sans vraiment y réfléchir. Même si j’ai un grand respect pour Hatem, je ne compte pas faire la même chose."

Ces dernières semaines, dans une interview au site La Sueur, alors que son clan avait expliqué qu’il avait touché son premier million grâce au combat contre Ngannou, on lui demande s’il pourrait être victime du "syndrome Conor McGregor" s’il gagnait encore d’autres millions. "Je l’ai déjà, sourit-il. C’est un métier! Je kiffe mon métier mais parfois, tu as envie de vacances. Là, en août, quand tout le monde part… Quand tu commences ta semaine par un sparring le lundi matin, ce n’est pas facile." On sent que le discours oscille des deux côtés du fil de sa carrière.

Après avoir conquis la ceinture intérimaire, Gane a commencé à profiter de sa notoriété. On l’a vu dans différents médias grand public, dans des soirées ou des événements comme des matches de football entre stars pour des œuvres caritatives. Rien de plus normal: on l’aurait tous fait à sa place, ou presque. "Est-ce qu’on peut le blâmer pour ça? Si demain ma vie change comme la sienne a changé, je vais peut-être m’embourgeoiser, juge Taylor Lapilus, combattant UFC, consultant RMC Sport et partenaire de salle de Gane au MMA Factory. Ce sera peut-être même pire." Dans Rocky III, Mickey, coach du boxeur héros, lui lance une phrase devenue mythique: "Il t’est arrivé ce qui peut arriver de pire à un boxeur. Tu t’es embourgeoisé!"

Il faut savoir se faire mal, encore plus que d’habitude, pour sortir de ça. Mais ce n’est surtout pas facile. Dans le milieu, et même chez des gens qui le connaissent bien, certains vont jusqu’à penser qu’il pourrait arrêter sa carrière en cas de deuxième défaite de rang face à Tuivasa. Il a déjà balayé l’hypothèse d’un revers de main. Mais perdre face à l’Australien lui ferait descendre plusieurs étages dans la course pour le titre. Et quand on entend celui qui s’intéresse déjà et logiquement à sa facette businessman, avec par exemple un investissement dans l’organisation française de MMA Ares fondée par Lopez, on se demande ce que ça lui ferait…

"A un moment donné, assez rapidement, j’essaierai de faire autre chose, annonce-t-il. Je veux d’abord faire de belles choses dans ce sport. Et il y a les sous qui viennent avec. Mais quand j’aurai accompli mon but ou que je verrai que je ne pourrai pas pour X raisons, j’arrêterai… J’arrêterai le jour où je n’en aurai plus envie. C’est important aussi de sentir quand on est encore en capacité de réaliser des choses. Si tu retournes dans la cage et que les gens savent que tu vas encore perdre, c’est relou, à part si tu es en galère d’argent car tu as fait n’importe quoi. Je ne suis pas trop dépensier donc je ne pense pas que je serai comme ça."

Dans sa dernière interview à RMC Sport, il y a quelques semaines, on a tenté de la titiller sur ce thème. Et il a beaucoup plus lâché les chevaux. "Je suis un compétiteur et je veux gagner. Et je veux aller au plus haut. J’ai envie de marquer l’histoire et mon sport et de ressentir que je suis allé jusqu’au bout. Ne pas se dire que j’en avais encore sous le pied. Maximiser son potentiel. Et on va encore travailler là-dessus et faire les choses encore mieux. (…) Je veux être champion du monde! Je veux être le meilleur de mon sport! J’ai envie de battre tout le monde, qu’on dise que je suis l’homme le plus fort au monde. Sur le papier, c’est beau. Dans la rue, personnellement, ça ne changera rien. Jamais. Mais on pourra dire que. J’aimerais qu’il y ait un reportage à la fin de ma carrière avec des belles images que je pourrais montrer à mes enfants pour qu’ils se disent : 'C’est lourd ce qu’il a fait mon daron'."

Le discours a changé, plus volontaire dans les mots. Les conséquences aussi de cette première défaite qui lui a arraché un "désolé" adressé aux siens à la caméra juste après le combat et des larmes peu après. "Il y a eu un déclic, analyse Alpha Cissokho, combattant MMA et sparring-partner de Gane. C’est la défaite contre Ngannou qui lui a donné encore plus faim. Juste avant Ngannou, j’étais avec lui à Los Angeles, et il le voyait comme le boss final de son jeu vidéo. Le fait d’avoir perdu lui a donné envie de retenter sa chance et d’aller jusqu’au bout. La défaite peut être bonne pour lui dans ce sens et je pense que c’est ce déclic-là qui lui a annoncé ça. Il ne l’avait pas avant mais maintenant, il l’a. C’est en train de venir. Et on le verra samedi avec ce qu’il dira à la fin après sa victoire."

Ces derniers temps, Gane a expliqué qu’il ne voulait plus autant sa revanche contre le Camerounais – dont l’avenir à l’UFC reste flou – car il était "passé à autre chose". Mais ces derniers jours, en conférence de presse, il a rappelé vouloir une nouvelle chance pour le titre au plus vite. Ira-t-il jusqu’à défier Ngannou (qui sera dans la salle) au micro s’il bat Tuivasa? Ce n’est pas sa spécialité mais le "Bon Gamin" nouveau sait mieux que nous ce qu’il doit faire. A trente-deux ans, et avec à peine quatre années de professionnalisme dans le MMA, Gane en a encore beaucoup sous la semelle. Surtout dans une catégorie où l’âge est moins un facteur freinant. Mais a-t-il vraiment envie de se faire mal pour aller chercher le Graal de la ceinture incontestée de l’UFC? Début de réponse samedi. Où il jouera très gros à plein de niveaux. "S'il y a nouvelle défaite, j'ai peur que ça le asse reculer encore dans l'amour de ce sport, pointe Lapilus. Il peut y avoir une contre-performance mais pas deux. Et la hype autour de lui qui a un peu ralenti depuis la défaite contre Ngannou ralentirerait encore plus."

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport