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UFC Paris: mythologie, forces spéciales et MMA, la vie de guerrier de Benoît Saint-Denis

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Ancien des forces spéciales, façonné par la lecture de romans épiques, Benoît Saint-Denis cultive "une vie de guerrier" qui l’a mené à l’UFC, où il sera ce samedi (en direct sur RMC Sport) le premier combattant français en lice pour le premier événement de la grande organisation de MMA dans notre pays. Portrait d’un homme qui combat comme il mène sa vie.

Le CV affiche vingt-six ans. Mais son visage dessine des contours qui semblent plus âgés. On vieillit plus vite, quand on fait face à la mort à peine sorti de l’adolescence. Dans le MMA, discipline légalisée en France il y a deux ans qui explose en pleine lumière ce samedi avec la première soirée de l’UFC (sa plus grande organisation) dans notre pays, ils sont beaucoup à promettre la guerre à l’adversaire. Benoît Saint-Denis sourit: "Je suis plus proche de la réalité qu’ils ne le seront jamais. Je n’avais pas vingt ans que j’avais déjà vu des vrais morts sur le terrain. La vraie guerre, je l’ai vécue."

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Le parcours du premier représentant tricolore en action à l’UFC Paris ce samedi, face au Brésilien Gabriel Miranda, débute par un incessant tournis, papa militaire oblige. "Il a été pas mal muté, tous les trois-quatre ans, raconte-t-il dans un entretien accordé à RMC Sport. On a fait les quatre coins de la France mais aussi l’Allemagne. Ça m’a permis de découvrir un nouveau peuple et une nouvelle langue." Le gamin né à Nîmes est "plutôt réservé" mais un peu bagarreur. "Je détestais l’injustice. Quand il y avait un tyran dans la cour, c’était souvent moi qui me battais avec."

Il va vite libérer son énergie sur un tatami. "Mon père était ceinture noire de judo et il m’a mis à ce sport quand j’étais jeune. J’en ai fait de huit à seize ans. J’ai fait des bons résultats mais je n’étais pas pleinement impliqué." En compétition, on sent les prémices du futur "BSD". "J’avais cette rage, je ne lâchais rien. Mais les arbitres relevaient trop vite dès que ça allait au sol. Je gagnais beaucoup au sol, car j’allais contrôler les mecs, mais quelque chose me manquait que j’ai trouvé plus tard dans le MMA." Il termine son aventure dans le judo avec la ceinture noire.

Adolescence sportive mais aussi studieuse à Lille, où sa famille s’installe plus longtemps et d’où il tirera des amitiés fortes, conclue avec un Bac S. Mais pas envie de pousser plus loin. "La majorité de mes amis sont devenus ingénieurs, certains ont fait des grandes écoles. Mais je rêvais d’une vie de guerrier et le meilleur moyen d’y arriver était de s’engager." Une volonté en partie forgée à tourner les pages d’aventures mythologiques. "La lecture m’a beaucoup apporté. La quête du Graal ou les aventures de Lancelot sont des livres qui m’ont passionné et qui m’ont forgé car l’état d’esprit de ces personnages est pour moi un guide de vie."

L’envie de rejoindre les rangs de l’armée le titille vite. "Ce sont les forces spéciales qui m’intéressaient. A partir de quatorze-quinze ans, je savais que je voulais faire ça." Son adieu au judo vient en partie de son rêve. "Je m’étais cassé la clavicule, et comme je voulais rentrer à l’armée deux ans plus tard, je me suis dit que j’arrêtais car c’est un sport où tu te blesses énormément." Son père, qui a "longtemps servi à la Légion étrangère", n’a "jamais imposé une autorité militaire très stricte à la maison" (où c’est plutôt maman qui donnait les règles) et "jamais cherché à (lui) faire suivre son chemin". Le jeune adulte va l’emprunter quand même.

A dix-huit ans, direction les forces spéciales de l’armée de terre et le 1er RPIMa, "un des seuls régiments qui permet de s’engager en venant du civil et aussi jeune parmi les forces spéciales", où il sert comme opérateur SAS. "Pour moi, ils représentent un peu les chevaliers français modernes. Ce sont eux qui vont libérer les otages français à l’étranger, au même titre que le RAID ou le GIGN en France. Je voulais découvrir la vie en communauté, les opérations extérieures, avoir des missions prestigieuses comme la garde présidentielle ou l’élimination de cibles terroristes à haute valeur ajoutée."

Benoît Saint-Denis lors de ses années de militaire chez les forces spéciales
Benoît Saint-Denis lors de ses années de militaire chez les forces spéciales © DR

Son poste va le mener en Afrique. "J’ai fait essentiellement toute la bande subsaharienne, le Mali, le Burkina Faso, tout le Sahel. On s’est déplacé dans les différentes bases d’opérations avancées pour lutter contre des poseurs d’IED terroristes ou des personnages importants de leur filière." Avec des situations entre la vie et la mort. "Ce sont des détails dans lesquels on ne rentre pas mais il y a eu des actions de feu, oui. Parfois, on se fait même tirer dessus non par des terroristes mais par des forces alliées car la situation en Afrique est assez instable sur le plan géopolitique." Mais aucun regret. "C’était une partie de ma vie passionnante, qui m’a permis de m’épanouir." Qui va aussi mener au MMA.

Seules quelques séances de sport de combat sont obligatoires dans son cursus militaire. "Tu fais plus la guerre avec des fusils qu’avec tes bras. Quand un mec te tire dessus à la Kalachnikov, tu ne vas pas essayer de lui faire un double leg à 250 mètres…" Mais Benoît Saint-Denis aime ça et se met à pratiquer le jiu-jitsu brésilien en 2017. Ceinture blanche puis bleue (catégorie dans laquelle il devient champion de France), le jeune homme accroche. En parallèle, il se lance dans la boxe pieds-poings. "J’aimais bien les deux alors je me suis orienté vers le MMA. En septembre 2018, juste avec mon entraînement de sol et de pieds-poings, je suis allé faire un tournoi amateur à San Sebastian, en Espagne. J’ai soumis tout le monde et j’ai dominé un pro en finale pour le remporter. Je me suis dit que c’est ce que je voulais faire."

Quelques semaines plus tard, Daniel Woirin organise une détection nationale pour son équipe pro du Venum Training Camp, à Rungis, aujourd’hui camp de base du MMA Factory de Fernand Lopez. Christophe Savoca, son coach de sol qui sera encore dans son coin à l’UFC Paris, lui en parle et lui montre un article sur Daniel Woirin, ancien membre du staff de légendes de l’UFC comme Anderson Silva, Lyoto Machida ou Dan Henderson. Il tente sa chance. "Je l’ai mis avec des combattants assez durs, raconte le coach à RMC Sport. J’ai été surpris par son niveau technique, physique et mental. Il ne lâchait pas. Il avait passé l’examen des forces spéciales à dix-huit ans. Il faut être au top pour faire ça. La guerre et le MMA, ce n’est pas pareil, mais il y a des similitudes mentales. Dans sa tête, c’est tuer ou mourir. Mais il fallait voir comment il réagissait en combat. Je ne l’ai pas sélectionné mais je l’ai appelé quelques jours plus tard."

"Il m’a dit: 'Quand tu finiras ton contrat avec l’armée, si tu veux rejoindre notre équipe, il y a une place pour toi', reprend Benoît Saint-Denis. Si ce gars misait sur moi, c’est que ça valait le coup. On a commencé à s’entraîner ensemble en janvier 2019. Après cinq ans, je n’ai pas signé de nouveau avec l’armée, où j’avais un peu fait le tour aussi, et je leur ai dit que je m’en allais. J’étais encore sous contrat jusqu’en mars, j’ai fait mes deux premiers combats professionnels en étant toujours militaire." Le garçon a vingt-quatre mois de chômage devant lui. Pas de temps à perdre. "J’avais deux ans pour atteindre une organisation qui me permettrait d’en vivre. Dans ma tête, je visais l’UFC."

"BSD" prend tout ce qui vient. Il combat dans des petites organisations en Suisse, en Belgique, en Roumanie, en Slovénie. Quatre victoires (plus un no contest) en quelques mois, toutes par soumission avant la limite, lancent la danse. En mode on ne lâchera rien. "Dans son deuxième combat, contre le Polonais Artur Szczepaniak, qui était à 4-0, raconte Daniel Woirin, l'adversaire l’ouvre à la tête avec des coups de coude. Sa mère était dans les tribunes, première fois qu’elle venait. Il a retourné la situation et il l’a soumis au troisième. J’ai vu que c’était un vrai guerrier." Il rejoint alors le Brave FC. "Dans son premier combat là-bas contre Ivica Truscek, un mec très solide, il prend un coupde tête, se souvient son coach. Franchement, il ne pouvait plus continuer le combat. Mais il a supplié le médecin de poursuivre… C’est à partir de là que j’ai senti qu’il pouvait aller loin."

Le Covid freine son rythme mais l’organisation du Moyen-Orient lui permet de combattre trois fois en un an malgré la pandémie, pour trois autres victoires en terminant l’adversaire. Un combat à Roubaix ne se fait pas en raison des règles fédérales françaises sur les combattants à moins de dix sorties pro. Pas grave, l’UFC le surveillait et l’appelle. Après "deux ans et demi de MMA professionnel, et trois ans de pratique" seulement. Mais à peine trois semaines avant et pour une mission casse-gueule: le Brésilien Elizeu Zaleski Dos Santos, craint et évité par beaucoup, et pas dans la catégorie où il se sent le mieux. "Mais tu ne refuses pas une entrée à l’UFC. Il y avait cette opportunité, on l’a saisie."

Benoît Saint-Denis (visage découvert) avec son régiment des forces spéciales sur le terrain militaire
Benoît Saint-Denis (visage découvert) avec son régiment des forces spéciales sur le terrain militaire © DR

Des débuts UFC en octobre 2021 où il sera battu à la décision, la première défaite de sa carrière, et surtout très malmené, poussant à de virulentes critiques sur l’arbitre qui aurait dû arrêter les frais ou sur son coach qui aurait dû jeter l’éponge mais aussi à des louanges du public sur sa capacité de résistance. "J’ai gagné l’appellation dur au mal. J’en aurais voulu à Daniel s’il avait jeté l’éponge. A aucun moment, je n’ai fait l’ascenseur. Il n’y a pas un coup qui m’a fait mettre le cul au sol. Mes appuis et mon équilibre étaient juste un peu troublés donc je n’avais pas d’impact et il a arrêté de me respecter deux minutes. Mais j’avais les mains hautes, une bonne attitude. J’avais encore du cœur et de l’énergie." Son coach se rit des critiques sur ce combat: "On est à l’UFC et on va abandonner? Jamais. Je n’y ai pas pensé une seconde. Benoît a montré au monde du MMA qu’il ne lâchait pas."

Sa deuxième sortie à l’UFC, début juin 2022, dans sa catégorie des légers contre l’Allemand Niklas Stolze, lui permet de reprendre les bonnes habitudes: victoire par soumission au deuxième round. "C’était important de montrer à tout le monde que j’avais le niveau pour aller chercher des victoires avant la limite à l’UFC." Il espère alors un combat à l’UFC Londres, le 23 juillet, car il se marie… le week-end avant l’UFC Paris. "C’est pour moi le plus important des deux événements." Impossible à décaler, question logistique et car il l’avait déjà été, mais la grande organisation américaine ne le lâche pas pour sa première en France. "Un combattant français qui sort d’une belle victoire, ne pas le voir à Paris était inconcevable pour eux." Il devra attendre ce rendez-vous avant de partir en lune de miel.

Sur le papier, Gabriel Miranda ne semble pas un obstacle compliqué à écarter. Il sera ensuite temps de viser plus haut: "Je défierai des gars du top 15". Benoît Saint-Denis veut "les mecs que personne ne veut affronter": "Je ne suis pas là pour l’argent mais pour combattre les meilleurs. Je veux devenir champion et ça passe par là." "Je dois parfois un peu le freiner, il veut tout le monde tout de suite", sourit son coach. Ce dernier le trouve encore "trop généreux": "Il se jette beaucoup. Il va à la bagarre car il veut finir le combat mais il faut qu’il soit un peu plus patient." Le garçon est pressé, à tous les niveaux.

Peut-être aussi car il se sent de mieux en mieux dans la cage. "Au début, la pression de bien faire est assez importante mais j’arrive maintenant à être de plus en plus relâché et à m’exprimer pleinement." Pas adapte du trashtalking, même s’il a conscience qu’il faut apporter une part de show pour réussir à l’UFC (à l'opposé de la discrétion recherchée chez les militaires), "BSD" veut s’exprimer dans la cage, où il aime "mettre la pression". "Ils veulent du spectacle et mon atout est d’être un finisseur. L’UFC m’apprécie pour ça et car je suis guerrier." Qui a terminé toutes ses victoires avant la limite. Fidèle à sa philosophie, toujours. "Je n’ai absolument aucune peur du KO et de la soumission. Je ne pourrai jamais me faire finir mentalement. Je ne serai jamais le premier à lâcher. On devra m’éteindre…"

"Il est né comme ça, complète Daniel Woirin. C’est comme les gars qui frappent très fort. L’armée et le MMA ont juste accentué les choses." Un mental qui se retrouve dans son surnom, "God of War", choisi par ses frères pour le jeu vidéo du même nom, sa personnalité et son parcours, et dans ses tatouages qui laissent lieu à de nombreuses interprétations sur le web. "Il y en a un qui représente un des symboles de mon ancien régiment. J’ai aussi le casque de samouraï cerclé qui est le symbole du club de jiu-jitsu brésilien qui m’a lancé en sol, le Masterless, dont je suis fraîchement ceinture marron."

Il poursuit: "J’ai la Croix de Malte rouge, qui représente la croix des croisés avec le sigle des templiers autour et écrit dessus en latin 'le sceau des soldats du Christ' car le fait d’être garde du corps de personnalités importantes comme pouvait l’être le président François Hollande, protection qui a été réalisée par le groupe auquel j’appartenais même si ne n’étais pas dans cette mission, m’a fait penser à l’histoire des Templiers, un ordre créé pour protéger les pèlerins en période de paix, avant les croisades. Ce qui fait polémique, c’est que les gens les associent aux croisades. Mais être athée, ça n’existait pas à l’époque en Europe. Tout le monde faisait la croisade si tu étais un homme en bonne santé. Il faut connaître l’histoire. Je suis fier de mes tatouages car ça représente beaucoup pour moi."

Même pas fâché quand les interprétations de certains touchent aux idées politiques? "Honnêtement, je m’en fous. J’ai une famille qui m’aime, des amis et je travaille avec certains des meilleurs combattants français." S’il fait une longue carrière à l’UFC, Benoît Saint-Denis, qui ne s’imagine pas encore coach mais qui gardera "peut-être un pied dans le MMA" qui le passionne, aimerait ouvrir des business à côté. "Peut-être un cognac français, une bonne bière française, quelque chose comme ça. On réfléchit à des choses pour pérenniser dans le temps mon nom et ma notoriété."

Avant tout cela, pour celui qui sait écouter son staff mais "aime donner des ordres" dixit son coach, sans doute des restes du passé militaire, il faut commencer par Gabriel Miranda, préparé au Fitness Park de Vitry-sur-Seine (il profite aussi parfois des structures du club de rugby du Racing 92), où il trouve "l’essentiel" et "une qualité de sparring avec des gars solides comme Salahdine Parnasse, Ramzan Jembiev, Mickaël Lebout, ou Farès Ziam qui passent régulièrement". Il devait d’abord affronter l’Américain Christos Giagos, forfait sur blessure à la main, mais le changement ne l’affecte pas. "J’ai la chance d’être un athlète assez complet donc les adaptations ne sont pas trop difficiles à mettre en place." Après une préparation pas facilitée par un pépin physique évoqué dans l’émission Micka & AB Show, cet adversaire lui donne une belle occasion de briller.

"C’est un profil piège car c’est un spécialiste du grappling avec quinze soumissions sur seize victoires mais en lutte et debout, il n’est pas techniquement ni physiquement supérieur à ce que je sais faire." Il compte bien se nourrir du public français, "une énergie positive". Il aimerait un KO, il n’en compte qu’un seul dans sa carrière pro, mais prendrait tout autant une soumission. Il promet une seule chose. "J’ai une envie de domination, de combat violent. 'God of War' vient pour la guerre." On y revient encore. "J’ai toujours voulu vivre du combat, que ce soit dans la cage avec des mitaines ou avec un fusil pour faire la guerre aux ennemis de la France. Mais je suis bien plus heureux comme combattant car c’est mon aventure et celle de ma famille, de mon staff, beaucoup plus autonome et indépendante." Qui l'a mené à Bercy pour la première de l'UFC dans son pays.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport