Tennis: "On ne sait plus ce qui se passe à la Fédération", tacle Thierry Ascione

Tennis - Thierry Ascione - Icon Sport
Qu’est-ce qui vous motive à accueillir cette réunion de présentation de projet ce jeudi de Germain Roesch, candidat à l’élection de la présidence de la Fédération française et opposant au président sortant Gilles Moretton?
Aujourd’hui, c’est dans mon rôle de propriétaire de club de tennis d’accueillir des gens qui veulent parler de tennis et proposer quelque chose. Je ne me mets derrière aucun candidat. Aujourd’hui, Germain Roesch me propose de discuter avec moi et de me parler de sa vision de la Fédération. Je vais être en totale écoute et totale humilité. Et s’il veut mon avis sur ce que l’on voit dans notre quotidien dans les clubs, les centres de padel, les tournois, on échangera. Les personnes qui accompagnent Germain Roesch, je les connais depuis trente ans. Cela m’intéresse d’entendre leur vision car on est un chouilla investi dans tout ça avec Jo (Wilfried-Tsonga). Les seules choses que j’ai entendues ce sont les dissensions au comité exécutif et les différentes réunions, mais ce sont des problèmes humains. J’ai une très forte envie de comprendre leur vision, où ils veulent aller, pourquoi, comment. Comme on est un club, je ne vois pas pourquoi je dirais non. Si demain, le président de la Fédération, Gilles Moretton, me dit "j’aimerais faire une réunion pour parler à tous les gens du comité" je lui dis "vous êtes chez vous".
Quel est votre regard sur le mandat qui vient de s’écouler?
On ne sait plus ce qu’il se passe à la Fédération depuis trois ans. On n’a pas eu un DTN, on n’a pas eu Ljubicic. J’ai encore beaucoup d’amis à la Fédération. Très factuellement, Roland-Garros marche très très bien. Mais aujourd’hui notre ADN ce sont les clubs et le haut niveau. On ne sait rien. On suit par presse interposée, ou par des ouï-dire. J’ai envie de savoir. J’y crois ou pas. Ce qui est triste c’est de parler de la Fédération comme c’est le cas depuis un moment. Mais il faut bien dissocier les choses: les trois, quatre personnes qui décident et la Fédération. On est tous des produits de la Fédération. Avec Jo (Wilfried-Tsonga), on a décidé d’être indépendants et entrepreneurs. Il n’y a pas de raisons qu’on nous le reproche. Mais je trouve que ce n’est pas jugé à sa juste valeur. On ne sait pas ce qui se passe.
Vous regrettez cette absence d’informations, de liant avec la Fédération?
En tant que président de club, on est invité à des réunions. Soit on a le temps ou pas. Mais en tant que formateur de haut niveau, on ne nous présente pas les choses. On ne connaît pas les stratégies de la Fédération, on ne nous les présente pas. Est-ce qu’ils ont un devoir de les présenter? Je ne sais pas. Mais on est quand même trois, quatre acteurs en France qui mettons beaucoup d’énergie dans le tennis. Je pense que l’on a un champion comme Jo, et un ancien joueur, entraîneur qui a une vision 360 degrés comme moi, je me dis juste que de temps en temps on a des choses intéressantes à dire avec Jo (Wilfried-Tsonga). Ivan Ljubicic, cela fait trois ans qu’il est là mais on n’a jamais eu de nouvelles. Le DTN il n’y en a pas depuis deux ans, mais cela n’empêche pas de discuter avec un Laurent Raymond ou un Paul-Henri Mathieu. Des personnes que l’on apprécie. Aujourd’hui, il faut bien dissocier la Fédération et les trois, quatre personnes qui décident. On fait notre partie du job pour essayer de promouvoir notre sport.
Pourtant lors des premiers mois du mandat de Gilles Moretton, il y avait l’ambition de créer le lien avec les académies privées. Mais que s’est-il passé depuis cette déclaration de bonnes intentions à Roland-Garros?
J’étais présent à cette réunion, je me souviens très bien. On n’a dû faire que deux réunions peut-être maximum. Mais aujourd’hui, cela fait trois ans que l’on n’a plus aucun contact avec personne. Moi je croise des interlocuteurs sur le circuit parce que j’accompagne des joueurs. Entre trois couloirs et un dîner on discute, mais il n’y a pas de démarche informelle. La DTN vient régulièrement dans nos structures parce que des gamins jouent bien. A la fin le discours c’est "le gamin joue bien, venez à Poitiers". Si le gamin veut rester chez nous ou chez ses parents, c’est dommage, non? Les gens de la DTN qui viennent sans que je sois au courant dans mon club, c’est dommage. Car je pourrais mieux les accueillir, échanger, leur poser des questions et eux aussi. Cela serait sympa de discuter pour tout le monde.
La fédération s’est-elle transformée en tour d’ivoire?
C’est le constat qu’on lit. Les directions qui sont prises sont assez régulières et radicales en termes d’orientation, et d’obligation de changement. Mais encore une fois, ils ont mis un directeur du haut niveau qu’est Ivan Ljubicic. C’est super! Mais il devrait peut-être passer trois, quatre minutes avec Gilles Simon, Richard Gasquet et Jo-Wilfried Tsonga. Pour comprendre ce qui a marché par le passé, pourquoi on a eu cette génération dorée. J’étais à l’US Open, on avait près de 30 Français dans les qualifications. Est-ce que ce n’est pas le rôle de la Fédération de leur demander s’ils ont besoin d’aide, si tout va bien. Nous à l’époque, on avait un groupe fabuleux avec Jérôme Pottier. Cela créait de l’émulation, et comme par hasard on a été 10 ou 15 à entrer dans les 100. C’était exceptionnel! Pourquoi certains joueurs? Pourquoi pas d’autres? Cela se passe super bien avec les Ligues, mais à Paris c’est un peu plus compliqué. Pas beaucoup d’informations. Je pense que Ljubicic a plein de bonnes volontés. Il a de l’expérience, il a entraîné Federer. Mais de l’autre côté, il est agent, il a une académie.
La direction prise sur le haut niveau français est notamment incarnée par la nomination d’Ivan Ljubicic. On a l’impression qu’il cristallise beaucoup de critiques?
Qu’il ne soit pas beaucoup là, c’est factuel. Après les JO, qu’il ne soit pas à New York, il a sûrement des bonnes raisons. Il doit respecter son contrat à la lettre certainement. Mais s’il n’est pas là, beaucoup de personnes sont là. Jo-Wilfried (Tsonga) est là, Amélie Mauresmo était présente en tant que directrice du tournoi de Roland-Garros, Mary Pierce, Marion Bartoli également. Il y a des gens où on peut partir du principe de croire qu’ils ont de bonnes idées. Moi aujourd’hui quand on me dit "tu as un problème avec la Fédération?" Bien sûr que non, j’avais 40 personnes de la fédération à mon mariage, 20 m’ont entraîné. Mais que l’on ne nous en veuille pas d’avoir développé le tennis par un autre moyen que celui de la Fédération. On veut être libres, excusez-nous d’avoir envie d’être libres.
Quelle est votre analyse du fiasco aux Jeux olympiques?
Le fiasco des Jeux olympiques, c’est une responsabilité collective. Après que la fédération n’ait pas su trouver les mots pour mettre tout le monde dans un objectif commun, c’est un fait. Mais à un moment donné Humbert et Fils sont éliminés tôt dans le tournoi. Il y a la responsabilité des joueurs individuellement et de leur staff qui les entoure. On en fait partie. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de communication. Cette espèce d’énergie positive il n’y en a pas. Même si Paul-Henri Mathieu se déplace en Grand Chelem mais est-ce qu’il a vraiment le temps, l’envie, les mains libres pour le faire? Je ne sais pas. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi ce n’est pas fait? Aujourd’hui qu’Ivan Ljubicic attende des résultats aux JO alors qu’il a croisé certains joueurs dix minutes, non ce n’est pas comme ça. Je ne crois pas.
Vous partagez le sentiment de Jo-Wilfried Tsonga et cette impression de déranger?
J’ai vu une lettre ouverte d’un élu. C’est facile d’aller chercher trois, quatre phrases. Oui Jo (Wilfried-Tsonga) nous a fait rêver pendant 20 ans avec ses copains. A un moment donné, il a le droit de l’ouvrir après tous ses investissements dans le tennis. Il a rendu un tout petit peu à son sport. Il a le droit de dire qu’il a mal à son tennis car il y a encore eu une histoire il y a trois jours. Evidemment on en dort la nuit, mais cela "fait chier". Le foot ça a pété, le rugby ça a pété, ce serait dommage que le tennis ça pète aussi. Cela impacte tout le monde. Qu’ils aient l’humilité d’écouter les gens et ceux qui veulent s’investir.
Plus globalement, comment jugez-vous le tennis français?
La zone médium est très bonne, mais il faut que nos meilleurs gagnent des places au classement. Et ils ont tout ce qu’il faut pour aller chercher ça. Mais encore une fois, l’atmosphère globale et générale ne leur permet pas de s’ouvrir. Jérémy Chardy entraîne Ugo (Humbert), cela marche très bien. Sébastien (Grosjean) aide Arthur (Fils). Lucas (Van Assche) est entraîné par des étrangers. C’est génial, les étrangers entraînent les Français, et Gilles Simon entraîne Medvedev. J’adorerais entendre Gilles Simon me parler de Daniil (Medvedev), avec Gilles Cervara un coach français.
Vous êtes lassé d’entendre parler de tennis pour de mauvaises raisons?
Le tennis c’est une fédération puissante, avec une personnalité puissante à sa tête. C’est quelqu’un qui était très investi dans le tennis. Aujourd’hui, on a un produit exceptionnel qu’est Roland-Garros. Certainement le produit le plus rentable en Europe. C’est normal qu’on soit jugé. Mais il faut avoir une vision commune sur: comment on fait progresser un gamin, arrêter de scinder les gens qui sont en pôle et les gens qui ne le sont pas. Communiquer. J’adorerais que Paul-Henri Matthieu viennne dans nos clubs. Quand on a inauguré le All-In Académy, personne de la Fédération n’était présent. Quand Paul-Henri Mathieu est venu nous rendre visite, il a trouvé nos structures géniales. Je lui ai dit "vous venez quand vous voulez! Vous êtes chez vous!". On est des passionnés. Jo-Wilfried jouait encore ce matin avec des enfants. Aujourd’hui c’est compliqué de m’investir directement à la Fédération car on a plus de 300 salariés, on a deux tournois ATP 250, trois Challengers, deux tournois Futures, dix clubs de Padel, quatre clubs de tennis. Qu’est-ce qu’on peut de faire de plus?