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Transat Jacques-Vabre: ce long chemin vers la féminisation de la voile

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Seize femmes sur 190 marins vont prendre le départ de la transat Jacques-Vabre ce dimanche au Havre. Aucune ne montera à bord d’un Ultim, la classe la plus rapide. Est-ce que la présence féminine progresse dans le milieu de la voile ?

"On a envie de pousser les murs. Je ne pensais pas qu’il fallait repartir aussi loin en arrière. Je croyais qu’on avait franchi certains caps, mais on n’a pas franchi tous les caps qu’on devrait en France en 2023." Isabelle Joschke découpe comme une déferlante. Il y a quelques semaines, l’affaire Kévin Escoffier a explosé. Accusé de violences sexuelles, le skipper a été suspendu 18 mois par la Fédération française de voile. Joschke, 46 ans, à la barre de MACSF sur cette Route du Café, est l’une des plus expérimentées de la flotte. Elle sent bien que quelque chose est remonté à la surface à cause des remous des derniers mois.

Il y a 8% de femmes sur cette Jacques-Vabre. La classe Imoca fait office de bon élève avec sept femmes sur les 40 bateaux. Mais aucun projet 100% féminin. Il y en a trois dans la Class40, la plus petite catégorie de cette transat: Pamela Lee et Tiphaine Ragueneau (Engie), Amélie Grassi et Anne-Claire Le Berre (La Boumangère Bio), Charlotte Cormouls-Houle et Claire-Victoire de Fleurian (Le Bleuet de France). En Ocean Fifty, Erwan Le Roux a embarqué avec Audrey Ogereau. En Ultim, peanuts.

"J’espère que cette dynamique va s’accélérer pour rétablir un peu d’équilibre"

"En termes de chiffres, ce n’est pas encore hyper satisfaisant", relève Amélie Grassi. "On était sept femmes sur 138 marins au départ de la Route du Rhum, et là on est seulement trois équipages 100% féminins. Ce n’est pas une super proportion mais on est dans une bonne dynamique. Pas mal de courses commencent à imposer des quotas de femme à bord ou des courses mixtes. Il y a des partenaires qui se positionnent qui donnent des moyens aux femmes pour réussir dans le sport avec des bateaux performants. J’espère que cette dynamique va s’accélérer pour rétablir un peu d’équilibre."

Paul Meilhat, skipper de Biotherm, sur cette question de discrimination positive: "Je ne suis pas contre les quotas positifs. Ça peut aider mais il ne faut pas que ça reste. On met des quotas pour initier une tendance mais derrière il faut arriver à en sortir." L’argument physique est souvent avancé. Tient-il encore ? Gabarits micros, cerveau turbo-compressé, malice de Sioux des cartes météo, Ellen MacArthur et Florence Arthaud ont, en leur temps, rabattu la grand-voile sur le caquet des machos de la marine. En 2023, Samantha Davies est un skipper d’Imoca ultra-chevronnée. Les bateaux sont devenus plus compliqués. Les Ultim, avec leur surface de voile gigantesque, n’ont pas encore de pilote féminin.

La faute au physique ? "Ce n’est pas seulement le poids", pense Mariana Lobato, co-skipper de Meilhat sur Biotherm. "Il faut utiliser la tête, trouver des solutions." "On ne bouge pas beaucoup la voilure. Physiquement les bateaux peuvent être accessibles. Tout s’adapte il faut réfléchir un peu", lui emboîte Amélie Grassi. "Une skipper d’Ultim serait un message fort pour franchir ce dernier Rubicon. Le seul frein est personnel", rappelle Isabelle Joschke. Au-dessus, il y a "l’organisation de la société, l’éducation, des raisons sociétales."

De plus en plus de CV féminins

Si sur les bateaux, la question progresse un peu, cela semble plus net à quai. L’équipe autour de l’Imoca Biotherm compte trois femmes à des postes stratégiques. Mariana Lobato est co-skipper, Marine Legendre est team manager et Alizée Vauquelin directrice technique. Sportif, gestion et ingénierie. Les trois poles d’un projet sont tenus par ces trois femmes, qui partagent un grand logement avec le reste du team, à un jet de pierre du bassin Paul-Vatine.

Lors de The Ocean Race, course en équipage autour du monde, il y a parfois eu 50% de femmes à bord de la coque. "Ça bouge bien car il y a des gens comme Paul qui sont assez intelligents pour laisser leur chance à une femme", avance Marine Legendre. "Il y a encore des réticences. Ça m’arrive encore qu’on m’enlève un bout des mains sur un ponton. Même si ça change il y a encore des progrès à faire."

Les CV féminins arrivent davantage sur son bureau ainsi que sur celui d'Alizée Vauquelin. Les femmes ne sont pas aussi nombreuses dans ces métiers que dans les bureaux d’étude. Ce sont des jeunes navigantes, souvent issues de la Mini-Transat, qui écrivent pour mettre un premier pied dans une équipe afin d’apprendre le métier, le fonctionnement d’un team. Ce sont les formations, la promotion de ces chemins vers la voile qu’il faut booster pour attirer les femmes.

À en croire Alizée Vauquelin, l’ambiance course au large n’est pas la moins bonne. "Dans la course au large, il n’y a pas de dogme, pas autant qu’en chantier où l’on voit des choses à l’ancienne, la course au large c’est plus ouvert que l’esprit chantier. Je n’ai jamais entendu une seule remarque." L’an passé, le divorce de Clarisse Crémer avec son sponsor après sa grossesse avait fait beaucoup causer sur les pontons. Depuis, elle a retrouvé un projet avec l’Occitane en Provence. Comme le rappelle Isabelle Joschke, "si on veut voir plus de femmes il faut qu’elles se sentent en sécurité. Il y a un peu de mieux mais le chemin est très long".

Morgan Maury avec Pierre-Yves Leroux, au Havre