Volley, LAM: agents, instabilité des joueurs… le marché des transferts en crise de croissance

La problématique des agents dans le milieu du football est bien connue. Des multiples dérives aux rémunérations opaques, les pratiques abusives qui ont entaché, et continuent de salir, l’image controversée du sport le plus populaire et le plus joué dans le monde, ont été largement documentées ces dernières années. Dans le milieu du volley, une discipline encore en cours de structuration professionnelle, les agents sont apparus sur le tard. Au début des années 2000, ils étaient peu nombreux sur le marché, une poignée, à voyager pour mettre en relation les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive.
Auparavant, le temps de préparer les contrats et de les envoyer par la poste, le joueur pouvait ne plus donner de nouvelles et s’évaporer dans la nature. Parce qu’il avait trouvé son compte ailleurs entretemps. Les relations entre les parties prenantes sont beaucoup plus encadrées désormais. L’agent sportif intervient dans la quasi-totalité des échanges de joueurs à clubs ou de clubs à clubs, en volley comme dans la plupart des sports collectifs professionnels, à commencer par le football.
"Les dynamiques dans le volley sont les mêmes qu’au foot, sauf que c’est à une échelle plus réduite, il y a parfois des dossiers qui sont beaucoup plus médiocres pour des sommes très anecdotiques par rapport au foot", rapporte un agent bien implanté dans le milieu du volley. Le salaire moyen d’un joueur en Ligue AM se situerait entre 30.000 et 70.000 euros bruts par an (3626 euros bruts par mois pour la saison 2018-2019, selon un rapport de la DNACG), soit plus ou moins l’équivalent du salaire MENSUEL d’un footballeur professionnel en Ligue 1. Une autre dimension. Il n'en reste pas moins vrai que le facteur de dérégulation demeure l'argent.
"Dès qu’il y a des sommes importantes, les pratiques se durcissent", ajoute notre agent. Jusqu’ici, rien de surprenant. Mais comme le fait remarquer un président de club dont nous tairons le nom, "le sujet est vaste". Et délicat. Ce dont atteste un ancien joueur qui a, un temps, envisagé de se lancer dans l’aventure, avant de se rétracter. Par peur d’évoluer en eaux troubles dans ce qu’il dépeint comme étant un "un milieu de requins". Dans le volley moderne, le talent d’un joueur est découvert de plus en plus tôt. Tout est bon pour subtiliser la pépite ou la star logée dans l’écurie adverse. Il n’est pas rare que deux agents se réclament d’une même commission ou qu’un agent sorte de nulle part, "alors que six mois plus tôt, le mec n’avait pas d’agent", nous dit-on.
"Le monde change", observe un dirigeant. "Les joueurs qui changent d’agent dans l’année, c’est compliqué, on est de plus en plus confronté à ça. Ce sont les joueurs qui choisissent leur agent, les clubs ne font que subir ce que les joueurs nous proposent comme intermédiaires. On ne décide pas des personnes avec lesquelles on traite."
Qui est agent, qui ne l’est pas ?
Les personnes en question, justement, parlons-en. Pour pratiquer le métier d’agent dans le milieu du volley, il est nécessaire d’avoir obtenu la licence FIVB. Sauf en France, où la licence internationale à elle seule ne suffit pas. La loi exige des agents qu’ils détiennent également la licence que la Fédération française de volley-ball (FFVB)* délivre en tant que fédération délégataire à l’issue d’un examen. Or, la plupart des agents étrangers, parfois même français, qui ont échoué à obtenir le précieux sésame, n’ont pas la licence française. Ce qui ne les empêche pas de passer en direct par les clubs - alors qu’ils n’en ont théoriquement pas le droit - lorsque ces derniers savent à qui ils ont affaire, ce qui n’est pas toujours le cas.
Se pose alors la problématique posée par les individus qui démarchent sans la moindre reconnaissance, les hors-la-loi : "Je ne le vois pas dans le volley. En pratique, cela m’est déjà arrivé, mais j’ai vu ça en trois secondes. Je connais bien le marché, je connais beaucoup de monde, je vois bien quand quelqu’un se revendique agent, rapporte Bruno Soirfeck, le président de Chaumont. Je suis moi capable de lui dire passe ton chemin, il n’y a rien à voir. D’ailleurs, on peut retrouver ce même phénomène chez des clubs étrangers qui vont revendiquer un billet parce qu’ils sont clubs formateurs, ça n’arrive pas tous les quatre matins, mais il faut être vigilant."
Une flopée de prétendus agents peu scrupuleux n'hésite cependant pas toujours à forcer la porte des clubs français, quand bien même ils exerceraient dans l’illégalité la plus totale : "Ils estiment qu’ils ont fait le travail pour toi parce qu’ils ont passé un coup de téléphone, s’agace-t-on du côté de la direction d’un club de LAM. Des jeunes joueurs se sont fait choper par des inconnus. Les jeunes ont besoin d’être rassurés et puis les agents arrivent, ils réclament un mandat d’un coup, demandent à être payés (la rémunération de l’agent assermenté est calculée en pourcentage de la rémunération brute du joueur). Il faut faire attention, surtout quand on est jeune, ça fait toujours bien d’avoir un agent, ça rassure d’un côté, et ça en jette pour les copains qui sont autour."
"Certains agences sont des boîtes aux lettres"
En France, l’agence LZ Sport de Georges Matijasevic exerce une mainmise quasi monopolistique sur le championnat. Et pour cause, elle est la plus importante dans le monde, seulement concurrencée par une autre agence, italienne celle-ci, dirigée par Luca Novi. A l’ombre de ces deux tours de contrôle évoluent des agents plus modestes, qui ont aussi parfois choisi de le rester parce que cela correspond à leur vision du métier, à l’instar de David Botrel en France, ou de Chiara Castagnetti en Italie: "C'est la façon dont j'aime travailler, elle représente ma façon d'être, je ne vais pas la changer pour gagner de l'argent", affirme l’ancienne joueuse. Parti de rien en 2003, Georges Matijasevic a voyagé dans le monde entier pour se bâtir un réseau sans commune mesure et faire de son agence une force majeure en Europe sur le marché des transferts.
L’agent franco-serbe ne s’attend pas à observer les "agents sauvages" que nous évoquions plus haut prospérer: "Ces gars-là sont voués à perdre, ils sont grillés partout. Sur une période de vingt ans, tu tournes, tu ne peux travailler que d’une façon crédible. Par exemple, mon père (Nikola Matijasevic), qui m’appelait de Cannes (où il est l'entraîneur depuis peu du champion de France en titre, lanterne rouge du championnat), se voit proposer un joueur qui, à la base, est pas mal. Sauf que le gars s’est cassé les doigts, il n’a pas joué depuis plusieurs mois. Ce n’est pas sérieux... Soit l’agent est mal intentionné, soit il n’est pas au courant, mais tu es obligé d’être transparent, tu as une obligation de qualité. Ce n’est pas toi qui as la responsabilité de la performance du joueur, mais il y a une obligation de sérieux, de professionnalisme."
Dans un monde idéal, tous les agents seraient capables de délivrer à leurs joueurs des conseils avisés sur des sujets techniques, juridiques ou fiscaux. De façon à soulager les clubs qui ne sont pas toujours structurés pour répondre à cette exigence. Mais une fois encore, il semblerait que le travail ne soit pas toujours fait consciencieusement : "Je considère que les agents sont des radars au bord des autoroutes", ironise d’ailleurs un président, désireux de légiférer sur la question. "Certaines agences sont des boîtes aux lettres, ils ne font que présenter le joueur et nous en tant que club on se débrouille avec la femme, les enfants, les visas, les procédures avec les fédérations…", s’agace un autre.
Un nouveau rapport de force
L’improbable départ de Nathan Wounembaina (ndlr, capitaine emblématique du TVB, triple champion de France avec Tours), transféré du jour au lendemain en Libye en février 2021, a porté un coup brut à Tours, et marqué le début d’un changement d’époque aux yeux de Pascal Foussard. "Wounembaina est venu nous voir avec le président, on a refusé une fois, deux fois et la troisième fois, tu es obligé de trouver une solution", regrette le directeur général du TVB.
Le volley-ball étant un sport qui se pratique à très haut niveau dans le monde entier, le volume de joueurs à disposition pour les clubs en quête d'un remplaçant est suffisamment important, et offre de multiples solutions de rechange, plus ou moins satisfaisantes. Les clubs n’ont pas les mains libres pour autant. Pour recruter un joueur additionnel, il existe en France une période mercato en pleine saison, qui s’étale du 20 décembre au 19 janvier (les dates ne sont pas les mêmes selon les pays). En dehors de cette fenêtre, les clubs français ont droit à deux jokers médicaux, pas davantage.
Or, le rapport de force entre clubs et joueurs, longtemps défavorable à ces derniers, est en train de basculer. "Les joueurs étrangers avaient des agents et encore, pas tous, maintenant tous les joueurs ont des agents." Dans ce contexte, tous les acteurs sont tenus de s’adapter à ce nouveau marché avec des joueurs qui bougent et qui défendent leur intérêt.
"Les joueurs qui ne se sentent pas bien ou sont en difficulté financière demandent à partir, les mentalités ont beaucoup changé. Il est compliqué de se rejoindre quand ça se passe hors période mercato, c’est super compliqué, il va falloir que nos règles évoluent", s'impatiente Pascal Foussard. Un joueur qui part - et ils sont toujours plus nombreux à quitter un club en cours de saison - n’est pas toujours remplacé, et les clubs se retrouvent alors pieds et poings liés.
"Ronald Jimenez (ex-Chaumont, Tourcoing…), qui vient de signer à Cannes, était un pointu correct du championnat polonais. Mais un gros club coréen, qui voulait le recruter, a racheté son contrat, en lui proposant six fois plus que ce qu’il touchait en Pologne", rappelle Georges Matijasevic. Problème, le joueur ne donne pas complètement satisfaction, et le club s’impatiente. Résultat des courses : Jimenez a signé à Cannes cet hiver, son troisième club en un an. Une nouvelle donne qui s’impose aux clubs français, contraints de s’adapter.
*Contactée à de multiples reprises, la Fédération française de volley-ball (FFVB) a refusé de répondre à nos questions.