"Il y a un effet Jimmy Gressier", Decathlon se frotte les mains après le double exploit du fondeur français

Après avoir passé huit ans chez Nike, Jimmy Gressier a rejoint en début d'année Decathlon et sa marque de running Kiprun pour les quatre prochaines saisons. Comment s'est noué ce partenariat?
Victor Vantrepote, directeur sport marketing de Kiprun: On a réellement lancé la marque Kiprun, avec la nouvelle stratégie de Decathlon en 2023. Avoir un profil comme Jimmy Gressier est important pour nous parce que la marque est plus ou moins connue en France mais l'était moins dans d'autres pays en Europe. On avait donc de grands enjeux de notoriété auprès des runners experts. Pour être considéré, il faut être crédible, et cela passe énormément par les résultats sportifs.
On ciblait un profil d'envergure comme Jimmy et il se trouve qu'avec Jimmy, on partage les mêmes valeurs. Au-delà de venir de la même région, il a cet esprit familial et les valeurs de partage et de responsabilité, qui sont les valeurs autour desquelles on a monté le projet. On s'est retrouvé sur ça. Il semblait être le meilleur profil pour être l'égérie sur la route et être notre top athlète pour transmettre au mieux les valeurs et porter les couleurs de la marque. Ses performances cette année, que ce soit sur la piste ou sur la route, c'est juste fantastique. Pour une première année de partenariat, on pouvait difficilement rêver mieux.
Lors de son titre sur le 10.000m aux championnats du monde à Tokyo, le Boulonnais a pourtant couru avec des Adidas et non des Kiprun. Dès l'annonce de votre collaboration, il avait d'ailleurs prévenu qu'il pourrait porter des pointes d'une autre marque sur les premières compétitions sur piste. Pourquoi?
Quand on a monté le projet, la piste n'était pas la priorité de Kiprun car le gros du marché du running concerne la route. Tous nos efforts avant l'arrivée de Jimmy se sont portés sur ça, c'est pour ça qu'on a sorti quatre paires de chaussures à plaque carbone en un an. Mais on a quand même des pointes et Jimmy les avait testées avant de nous rejoindre. C'était un point bloquant car il avait de grands projets pour cette année, notamment les championnats du monde et nos pointes n'étaient pas encore au niveau. On a relancé un projet de développement en co-création avec lui et la pointe est en passe d'être terminée pour la fin de l'année. Il pourra l'utiliser dès la fin de l'année s'il refait des compétitions sur piste.
"Garder Jimmy en bonne santé plutôt que de lui imposer des pointes et potentiellement le blesser"
Quel a été votre raisonnement derrière cet accord de le laisser porter d'autres pointes sur piste en attendant que votre nouveau modèle de pointes soit finalisé?
On lui a dit: "Comme c'est une grosse année pour toi avec de grosses ambitions, on ne souhaite pas altérer tes performances." De plus, la transition de pointes est hyper importante pour un athlète pour éviter les blessures. Jimmy a eu par le passé des blessures au tendon d'Achille entre le passage d'une pointe de son ancien équipementier à une deuxième version de cette pointe-là. Rien que le fait de changer de chaussures, au sein du même équipementier, peut mener à des blessures. Ca doit être vraiment progressif. Il a fallu qu'il s'adapte à nos pointes petit à petit, il les mettait de temps en temps à l'entraînement. Pareil pour les chaussures de route.
Il y avait donc un vrai intérêt de la part de Kiprun de garder Jimmy en bonne santé pour lui permettre de performer, plutôt que de lui imposer des pointes et potentiellement le blesser. C'était une vraie volonté de lui dire: "On n'a pas envie que tu te blesses". On savait qu'il y avait le record du 5000m qui allait potentiellement tomber avec des Kiprun aux pieds (NDLR: 12'57 le 16 mars à Lille, devenant le premier Européen à passer sous les treize minutes), et on était prêt à faire des concessions. On lui a laissé le temps de s'adapter à nos produits, qui sont très exigeants surtout sur piste et qui peuvent engendrer des blessures longues et difficiles pour un athlète. On s'est accordés sur une année pour trouver le bon équilibre.
Votre nouveau modèle de pointes a été co-créé avec Jimmy Gressier. Concrètement, comment avez-vous travaillé avec lui pour arriver à une pointe qui lui permettra d'être le plus performant possible sur piste?
On a repris un projet à zéro. C'est un vrai processus où nos ingénieurs et les chefs de produit sont en contact constant avec l'athlète. Ils recueillent son besoin puis on écrit un brief produit avec l'athlète. Ensuite, pendant toutes les phases de développement, l'athlète nous donne son feedback. Il teste les premiers prototypes et donne son retour pour amélioration, jusqu'à arriver au produit fini. Sur cette paire de pointes, il y a eu douze prototypes, en sachant que sur chaque prototype, il peut y avoir plusieurs versions - par exemple, l'ingénieur peut modifier le support au talon, etc. Jimmy a dû tester vingt chaussures différentes au total.
On travaille avec Jimmy pour atteindre l'excellence mais la pointe doit aussi convenir aux athlètes qui font la même discipline que lui. Lui est dans le programme de co-création en tant que top athlète mais nos pointes et prototypes sont aussi testées par d'autres athlètes en parallèle. Il faut qu'elles puissent correspondre aussi bien à Jimmy qu'aux autres.
"Toutes ses performances ont eu un impact très, très positif"
Cette année, il a notamment battu record d'Europe du 5km en salle et sur route et remporté le semi-marathon des championnats d'Europe et le 3000m en Ligue de diamant. Il a également décroché le bronze à Tokyo sur le 5000m, une semaine après son sacre sur le 10.000m. Avant même de tirer les conclusions de son titre aux Championnats du monde, ressentez-vous un nouvel élan pour la marque depuis l'arrivée de Jimmy Gressier?
Sa signature a fait énormément de bruit. On est un peu le "challenger" par rapport à Nike ou Adidas. Qu'on arrive à piquer un top athlète sur le plan sportif, ça a beaucoup fait parler et c'était déjà une très bonne chose. Toutes les performances de Jimmy Gressier cette année ont eu un impact très, très positif sur la marque, tant d'un point de vue notoriété que considération, jusqu'à l'acte d'achat.
Kiprun fait une très belle croissance cette année au niveau des chaussures performance et des chaussures carbone. Jimmy a notamment porté la "Lab", qui vient de sortir en septembre, lors de son record d'Europe et forcément, ça crée une émulation autour de nos ventes. Il est notre tête d'affiche sur la route. Au niveau notoriété et considération, on voit un engagement supérieur de notre communauté grâce à lui. On voit aussi une augmentation dans nos pays clés (la France, l'Espagne, l'Italie et un peu en Allemagne). On peut dire qu'il y a un effet Jimmy Gressier pour la marque Kiprun.
Allez-vous essayer de surfer sur la vague et de développer d'autres projets avec lui, notamment au-delà de la compétition?
Cette année, il souhaitait se concentrer sur l'aspect performance et on va discuter pour l'an prochain. On a envie de créer un collectif avec Jimmy qui soit en quelque sorte un grand frère, un parrain, et qui partage l'expérience qu'il a acquise en compétitions internationales à nos athlètes qui sont un peu plus jeunes. On souhaite créer un vrai groupe autour des athlètes running de Kiprun. On va également encore travailler avec lui dans la co-conception et pourquoi pas avoir une collection complète réalisée avec lui. On racontera aussi avec lui des histoires extra-sportives.