
Mondiaux cyclisme: Evenepoel, 19 ans et déjà tout d'un grand
Qu’y a-t-il de commun entre Ronaldo le Brésilien et Remco Evenepoel le Belge? Un amour pour le football, c’est certain, malgré deux carrières bien différentes, l’un ayant été double champion du monde, l’autre ayant à peine joué quelques mois en professionnel. Mais à bien chercher, il y a aussi un mot. Car si l’on surnommait affectueusement l’ancien joueur du Barça de l’Inter ou du Real Madrid "il fenomeno", on aime aussi parler de "phénomène" en Belgique pour qualifier le crack Evenepoel.
Un "phénomène", d'une précocité "jamais vue en vélo"
Admirez plutôt: neuf mois chez les grands et déjà un titre de champion d’Europe du contre-la-montre, une médaille d’argent mercredi lors du chrono des championnats du monde, et une victoire sur la mythique Classique Saint-Sébastien il y a quelques semaines en Espagne, traditionnel premier grand rendez-vous d’après Tour de France. Avant la course en ligne des Mondiaux ce dimanche.
Une trajectoire éclair, fruit d’une précocité "jamais vue en vélo" de l’aveu de son équipier en sélection Oliver Naesen: "On parle beaucoup de lui mais c’est normal, il est phénoménal, vous non plus en France vous n’avez jamais connu ça. C’est un atypique, estime-t-il. Les règles du cyclisme traditionnel, ça ne compte pas pour des gars comme lui."
Une première carrière de footballeur avortée
D’autant qu’avant de se mettre au vélo, Remco Evenepoel avait donc entamé une carrière de footballeur professionnel. International dans les catégories jeunes, joueur au KV Malines en première division belge, brillant semi-marathonien à ses heures perdues (temps de référence, 1h16), il finit toutefois par tout plaquer pour monter à bicyclette à partir d’avril 2017. Comme son père Patrick l’avait fait avant lui dans les années 1990. Une trajectoire "impressionnante" analyse Tim Wellens, autre équipier belge. "Il a commencé il y a quelques années, alors que nous ça fait tous au moins 20 ans qu’on fait du vélo", constate-t-il.
Une maturité hors normes
Mais alors, qu’a-t-il de plus que les autres, ce Remco Evenepoel? "Une jambe", plaisante Oliver Naesen. "Un talent que l’on ne sait pas encore mesurer", ajoute le ton grave Rick Verbrugghe, le sélectionneur belge. "La capacité à gérer la pression comme s’il avait 30 ans", surenchérit Tim Wellens. "Un immense professionnalisme", conclut Philippe Gilbert, récent vainqueur de Paris Roubaix, champion du monde en 2012 et vieux briscard du peloton.
Et il est bien placé pour en parler Philippe Gilbert. Compagnon de chambre du jeune prodige à plusieurs reprises cette saison (les deux coureurs évoluent ensemble au sein de la formation Deceuninck Quick-Step), il l’est également pendant ces Mondiaux en Belgique.
Un gros bosseur
Il raconte le phénomène: "C’est un coureur de grand talent, très mature pour son âge. Quand je vois à 19 ans comment il gère les choses, comment il s’est préparé pour ce Mondial, la façon dont il s’exprime face au reste de l’équipe, c’est incroyable. Mais c’est sa personnalité, son caractère, il est comme ça. Sûr de lui."
Sûr de lui et de son potentiel, poursuit Philippe Gilbert: "Il a un bon moteur, mais surtout il l’exploite bien. Je le vois faire depuis un an, il travaille beaucoup. Il en remet un coup à chaque fois, c’est la preuve que même à son âge, il n’y a que le travail qui paie."
De quoi mettre un grand coup de balai dans le tas de poussière des idées reçues du milieu. Car en cyclisme sur route, être aussi jeune et déjà performant est presque une hérésie. "C’est un sport souvent qualifié de discipline à maturité tardive, précise Cyrille Guimard, consultant RMC Sport et ancien sélectionneur de l’équipe de France. Sauf qu’aujourd’hui, les jeunes s’entraînent beaucoup mieux, peut-être même beaucoup plus. On sait des choses que l’on ne savait pas il y a 25 ans. A l’époque on était protecteur, on disait aux jeunes ‘’attention tu vas te cramer’’. On limitait le travail sur la force et la puissance avant un certain âge. Aujourd’hui tout ça avec les capteurs de puissance c’est fini."
"Maladroit", "ne sent pas la course" mais...
Et ça donne des pépites d’une précocité rarement atteinte dans la discipline: Egan Bernal, lauréat du Tour de France cette année à seulement 22 ans ; Tadej Pogacar, vainqueur de trois étapes sur le Tour d’Espagne en septembre à seulement 21 ans ; et donc Remco Evenepoel, déjà vice-champion du monde du contre-la-montre à seulement 19 ans.
Concernant ce dernier, on se demande bien où il pourra s’arrêter. Plus encore que les deux autres, le phénomène à une marge de progression énorme à écouter Cyrille Guimard: "Aujourd’hui, c’est un coureur qui ne sent pas la course, il est maladroit sur un vélo. Le jour où il courra juste, saura frotter, se placer, se mettre à l’abri et chercher l’aspiration, il va encore franchir un cran."
Côté Belge, on espère que le Remco Evenepoel version 2019 puisse déjà performer ce dimanche. Au sein d’un collectif monstrueux (Gilbert, Van Avermaet …), il ne devrait à priori avoir qu’un simple rôle d’équipier. Sauf que les circonstances de courses, comme la pluie, le vent, les chutes, les cassures, les ennuis mécaniques, ne peuvent pas toujours s’anticiper. Et qu’en voyant son protégé sur la dernière Classique Saint-Sébastien cet été, le patron de la sélection belge, Rick Verbrugghe confesse "avoir pris conscience que Remco pouvait être une pièce maîtresse pour son pays dans ces championnats du monde". Ne reste plus qu'à le voir oeuvre sur la route.