“Quand on leur demande s'ils ont mal à la tête, ils disent non”: comment le sujet des commotions cérébrales a pris de l’importance dans le cyclisme

"Je pouvais devenir un légume ou pire encore". Ces mots, prononcés par l’ancien coureur Marc Sarreau, met en lumière un sujet encore tabou il y a quelques années dans le peloton: les commotions cérébrales. Et pourtant, les langues se délient, à l’image de Nacer Bouhanni. Victime de trois commotions cérébrales après trois chutes, l’ancien coureur de la Cofidis a dénoncé la gestion de ces dernières auprès de RMC Sport. “Ma première commotion cérébrale, c'est ma chute sur le tour du Yorkshire. J'ai eu le nerf optique touché. C'était quand même quelque chose de très sérieux. J'ai quand même fait le Tour de France deux mois après. J'avais un décalage de ma vision, un dédoublement même, selon l'angle de vue. J'ai repris la compétition. Je n'avais pas une vue qui était nette. C'était du grand n'importe quoi. Après coup, c'est quelque chose que je n'aurais jamais fait.”
Ses propos sont remontés aux oreilles d’Yvon Sanquer, qui a reconnu “des mauvais choix”. “Ça a été compliqué parce qu'il y a quand même une responsabilité en tant que manager d'équipe ou même les partenaires (...) C'est vrai qu'aujourd'hui, avec les protocoles et autres, je pense que ça ne se serait pas passé de la même manière.” “En cyclisme, le coureur ne peut pas être arrêté transitoirement comme en rugby avec un remplacement, par exemple, parce que c'est un sport individuel”, abonde le neurologue Jean-François Chermann auprès de RMC Sport.
L’UCI a lancé plusieurs protocoles
Si le sujet des commotions cérébrales fait davantage couler d’encre dans le rugby, notamment après le témoignage choc de Sébastien Chabal, il était “déjà sanctuarisé” dans le vélo il y a une dizaine d’années, rappelle Samuel Maraffi, médecin dans le staff médical de Total Energies Pro Cycling Team. “Il n'était pas aussi maîtrisé qu'aujourd'hui, mais il y avait les premiers protocoles de l'UCI, les premières discussions autour de ça. La grosse question concernait la prise en charge sur le terrain, les obligations et ce que mettaient en place les organisateurs de course sur le terrain, justement pour mieux dépister et surtout ne pas faire repartir des mecs dans ces états-là. Il y a 15 ans, 20 ans, 30 ans, des coureurs ont sûrement subi des commotions cérébrales et les prises en charge n'étaient pas les mêmes que maintenant.”
Lorsque l’adrénaline de la course est toujours présent après une chute, les coureurs n’ont qu’une seule idée en tête: remonter sur la selle et terminer la course, quitte à minimiser ce qu’il vient de leur arriver. “Quand on leur demande s'ils ont mal à la tête, ils disent non, alors que potentiellement oui, pour pouvoir continuer les épreuves. Le vélo est un sport particulier de par son exercice. Au rugby, on a une suspicion, on extrait le joueur du terrain, on l'évalue et puis on voit ce qu'on fait. Dans le vélo, on ne peut pas faire ça”, poursuit Samuel Maraffi.
Une reprise surveillée en cas de commotion
Afin de prendre une décision, il faut que les médecins soient attentifs aux symptômes typiques d’une commotion (maux de tête, étourdissements, micro perte de mémoire). “Il y a deux situations et des signes qui ne font pas douter du tout. Si le mec fait une crise d'épilepsie, il est dans le coma, il ne réagit pas, il est en arrêt cardiaque, on ne va pas le laisser repartir. De toute façon, il ne peut pas. La subtilité n'est pas sur les formes graves. L'athlète tombe, et parfois, il n'y a pas de caméra. On ne le voit pas tomber. Quand la voiture du directeur sportif ou du médecin arrive, l'athlète est debout à côté de son vélo. L'enjeu de santé est là. Il faut détecter des symptômes à ce moment-là pour dire ’il ne faut surtout pas qu'il reparte’."
“Tout ça se fait dans le stress, dans l'émotion de la course. Les décisions sont difficiles.”
Le médecin de la formation française insiste, si une commotion est diagnostiquée, la reprise de l’activité est formellement interdite au moins sur les premières 24-48 heures. “On a un protocole de reprise progressif, au début sur un home trainer, ensuite sur la route, sur à peu près une semaine, qui va dépendre des symptômes. Pendant cette semaine d'observation, on va réévaluer régulièrement l'athlète sur les possibles séquelles qu'il peut avoir en lien avec cette commotion. Ça peut être de tout ordre: la mémoire, la coordination, la réactivité, la vigilance, les maux de tête, les problèmes d'équilibre… On a une guérison variable. Des fois, il y a des athlètes qui font une commotion et deux jours après, ils n'ont quasiment plus de symptômes. Il y en a d'autres, ça peut durer une semaine, deux semaines, trois mois, etc. Dans le vélo, il y a des athlètes qui tombent souvent, mais on n'a pas autant de commotions que dans des sports de contact, comme le rugby. Faire des commotions à répétition, ça peut induire des problématiques, des dégénérescences du cerveau, des maladies d'Alzheimer, des maladies de Parkinson, des autres maladies dégénératives.”
Quels sont alors les principaux facteurs qui favorisent les commotions? Médecin du sport, Jean-Jacques Menuet apporte quelques éléments de réponse. “La vitesse est un argument qui favorise le freinage brutal, avec les freins à disque également. L’oreillette est un élément de distraction qui peut favoriser une chute. La caféine et les somnifères, avec des chutes et des lésions cérébrales sévères, me semblent beaucoup plus dangereux que le dopage.”