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Abdos en béton, roi de l'aéro, matériel futuriste... Pourquoi Evenepoel est si fort en contre-la-montre

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Revanchard après une succession de galères, Remco Evenepoel s'avance ce mercredi en favori du contre-la-montre au menu de la 5e étape du Tour de France, à Caen. Champion olympique et du monde de la spécialité, le Belge tire notamment sa force d'une musculature travaillée dès ses jeunes années d'apprenti footballeur.

Et s'il s'agissait du point de départ d'une folle reconquête? D'un premier rayon de soleil dans un ciel jusqu'à présent bien gris? Piégé comme un bleu dans une bordure ce samedi vers Lille, poissard et victime d'une chute ce lundi à Dunkerque, Remco Evenepoel vit un début de Tour de France 2025 pour le moins galère.

Le moral et le corps sont touchés, le maillot jaune dont il rêvait s'apparente aujourd'hui à un mirage, mais les Champs-Élysées sont encore loin et voilà déjà une occasion de se refaire. Avec la cinquième étape et un chrono tout plat de 33km tracé autour de Caen ce mercredi. Pour le Belge, difficile de viser autre chose que la victoire quand on sait son niveau XXL dans l'exercice solitaire. C'est ce qu'il a répété mardi, convaincu de pouvoir frapper un grand coup et de boucher les 58 secondes qui le séparent du leader Mathieu van der Poel.

Il rêve encore du maillot jaune

"J'ai hâte d'y être, les jambes sont là. Je pense qu'il y a beaucoup à faire. Il y a moyen de reprendre les 58 secondes. Ce sera complètement plat. On a vu l'avantage que j'ai pris sur Tadej (Pogacar) sur le chrono du Dauphiné. Demain, ça me convient très bien. Je vais pousser le plus fort possible, j'espère que ce sera possible pour aller chercher le jaune", a-t-il martelé.

C'est simple, 20 de ses 63 succès en carrière ont été obtenus en contre-la-montre. Preuve de sa progression, il en a disputé 26 depuis 2022 et en a remporté 15. Autre statistique éloquente, le champion olympique et du monde de la spécialité (25 ans) vient de rafler les trois derniers chronos sur lesquels il s'est aligné: début mai au Tour de Romandie devant João Almeida, en juin sur le Critérium du Dauphiné en dominant un trio Jonas Vingegaard-Matteo Jorgenson-Tadej Pogacar, et enfin il y a deux semaines lors des championnats nationaux de Belgique.

Les fruits de son passé de footballeur

"Remco est aujourd'hui le meilleur rouleur au monde, je le place même au-dessus de Filippo Ganna. C'est une bête. Ce qui est le plus impressionnant chez lui, c'est qu'il arrive à développer énormément de watts malgré un petit gabarit (1m71 pour 61kg). Sa position sur son vélo le rend ultra efficace", synthétise Jérôme Coppel, champion de France du contre-la-montre en 2015 et consultant pour RMC sur le Tour de France.

Evenepoel, c'est d'abord des qualités physiques rares, un modèle en matière d'aérodynamisme et une puissance innée. Un corps sculpté pour maîtriser cette science si complexe et ce jeu contre le temps où il faut ne faire qu'un avec son engin de torture.

De l'aveu même du principal intéressé, son passé de footballeur n'y est pas étranger. "Mon corps d'aujourd'hui a beaucoup profité du foot. Par exemple, pour la stabilité. J'ai les muscles de la ceinture abdominale développés, ce qui m'aide à maintenir ma position dans les chronos. (…) J'ai beaucoup de muscles dans le haut du corps, comme dans mes dernières années de foot", disait-il il y a deux ans à L'Équipe, en souvenir de ses passages dans les équipes de jeunes d'Anderlecht et du PSV Eindhoven, lui qui fut un temps capitaine de la sélection nationale belge U16 avant de tout plaquer.

Le monstre de l'aéro

"En plus d'avoir les abdos hyper gainés, il a des lombaires très fortes qui lui permettent d'envoyer du braquet quand il tire sur les pédales. C'est évident que ça lui vient du foot et de séances de muscu débutées très jeune", renchérit Coppel, qui pointe une autre force chez le leader de Soudal-Quick Step: son exceptionnelle pénétration dans l'air. Avec cette impression, chrono après chrono, que rien ne peut venir parasiter son aérodynamisme. Comme s'il avait trouvé le cocktail gagnant pour combiner puissance maximale et position parfaite sur sa machine.

Dans une interview donnée en avril pour Eurosport, Benoît Cosnefroy avait d'ailleurs désigné Evenepoel comme le meilleur élément du peloton à ce petit jeu. "Derrière Tadej, on a un peu d’aspiration. Derrière Remco, c’est fou… Il a un corps fait pour faire du vélo, son aéro est juste dingue. C’est vraiment compliqué derrière lui, c'est un supplice!" Sans doute pas pour rien qu'il a été rebaptisé par ses proches "Aero Bullet", pour "l'arme aérodynamique". "Même quand il a besoin de se mettre en danseuse, rien ne bouge. La pointe de son casque vient toujours toucher son dos, ce qui est capital. Personne ne fait mieux que lui dans ce domaine. Il donne l'impression d'être 'ramassé' sur son vélo mais c'est beau à voir. C'est une peinture, il n'y a rien à jeter!", complète Coppel, tout aussi bluffé par la gestion de l'effort propre à Evenepoel.

Friand d'innovations technologiques

Une capacité travaillée encore et encore pour ne laisser place à aucune improvisation, doublée d'une faculté à rester lucide pour ne pas se mettre trop longtemps dans le rouge et ne jamais paniquer. Il l'avait encore prouvé l'an dernier en s'offrant le premier contre-la-montre du Tour malgré un souci mécanique qui lui avait fait perdre quelques secondes. À peine perturbé, il avait su se remobiliser pour faire respecter la hiérarchie et s'affirmer comme la référence en chrono, privant l'ogre Pogacar d'une énième victoire sur le Tour.

Depuis quelques années, l'exercice est aussi devenu l'une des vitrines de la guerre technologique que se livrent les équipes. En 2024, Evenepoel n'avait pas eu le droit d'utiliser sur le Tour son fameux "casque cagoule", mis au point par Specialized et testé en amont sur Paris-Nice, que l’Union cycliste internationale (UCI) avait préféré interdire en pointant du doigt "un composant non essentiel qui n'est pas exclusivement destiné à l’habillement ou à la sécurité". Sans cesse en quête de détails à améliorer, et friand des longues sessions de tests en soufflerie, le "petit Cannibale" a expérimenté en Romandie une nouvelle combinaison avec une tirette dans le dos et une visière de casque plus ouverte au milieu.

"C'est un pilote incroyable et il a en plus un excellent matos, l'un des meilleurs du peloton, mais je continue de penser qu'il a une marge de progression", nuance Coppel. "Ce qu'il fait 95% du temps est remarquable, mais il faut reconnaître qu'il a un peu plus de mal sur des chronos vraiment très techniques. Il reste perfectible sur ses trajectoires et en descente. Il n'a plus qu'à corriger ça pour être parfait!"

Rodolphe Ryo, à Caen