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Absence de règles, troubles psychiatriques… les mises en garde d'un médecin sur la maigreur des coureuses

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En tirant publiquement la sonnette d’alarme sur la maigreur des coureuses du Tour de France féminin, la cycliste Cédrine Kerbaol a ouvert les yeux sur le syndrome RED-S, pathologie bien connue des médecins comme Mathieu Muller, de l’équipe Cofidis, qui met en garde sur ses effets néfastes pour la santé.

Elle s’est exprimée comme coureuse professionnelle mais aussi comme nutritionniste, son autre métier. La Française Cédrine Kerbaol (EF Education-EasyPost) a mis sur la place publique un sujet jusque-là plutôt tabou hors du peloton: la maigreur trop importante et dangereuse de certaines membres du peloton. Une dérive qui peut affecter la santé en provocant l’absence de règles, par exemple. Et qui porte un nom: le syndrome Red-s pour désigner un "déficit énergétique relatif dans le sport".

"Un ou deux objectifs par an pour programmer l'affûtage à ce moment-là"

Mathieu Muller, médecin de l’équipe Cofidis, "connaît bien cette pathologie depuis longtemps". Il alerte sur la nécessité d'encadrer drastiquement le suivi des coureuses et met en garde contre une perte de poids trop importante dans la durée. "Le Red-S, au départ, on va performer parce qu'on aura un rapport poids-puissance plus intéressant", explique-t-il. "Mais sur le long cours, ça sera au détriment de sa santé. Si on régule, on va plus performer. Mais si on reste trop maigre trop longtemps, on va moins performer."

L’équilibre peut être compliqué à trouver dans un sport comme le cyclisme où le rapport poids-puissance est un point central de la performance.

"On peut avoir un rapport poids-puissance le plus bénéfique possible, mais sur un court moment, pas sur plusieurs mois", explique-t-il.

"Si c'est programmé, encadré, organisé, il n'y a pas de problème à avoir une masse maigre, faible, mais il faut que ça soit momentané. Il ne faut pas que ça soit sur le long cours, sur toute une saison", ajoute le médecin.

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"Quand apparaît une absence de règle, il faut commencer à s'inquiéter"

Avec la formation Cofidis, il confie cibler "un ou deux objectifs par an" pour "programmer l'affûtage à ce moment-là". "Après ces objectifs, il faut reprendre un petit peu de poids. Ça, ça n'a aucun impact sur la santé", promet-il. A trop long terme, le syndrome Red-s peut entraîner de l’ostéoporose (maladie des os), "des problèmes de thyroïde, un fonctionnement de l'organisme qui est au ralenti, des troubles psychiatriques, dermatologiques", énumère-t-il. Cela peut donc aussi engendrer l’absence de règles, déplorée par Cédrine Kerbaol. "Ça rentre dans le cadre du problème du syndrome Red-S", confirme Mathieu Muller. "Et quand apparaît une absence de règle, il faut commencer à s'inquiéter ou à consulter. Ce n’est pas forcément un arrêt momentané des règles qui est embêtant, c'est surtout si ça se prolonge dans le temps."

S’il explique faire de la prévention auprès des jeunes coureuses, il assure que la prise de parole de Cédrine Kerbaol aura bien plus d'influence auprès de celles-ci. Mais il s’inquiète aussi de l’impact de l’image renvoyée par une championne trop maigre. "Les jeunes vont se dire: ‘pour gagner, il faut être très maigre’", redoute-t-il. "Il faut avoir une masse grasse faible, mais momentanément, pas sur le long cours. Sur le long cours, c'est un mauvais calcul, parce qu'on ne performera pas."

Lui échange avec l’UCI sur une réflexion à mener sur une possible règlementation de la masse graisseuse pour pouvoir participer à une course. Rien n’existe encore à ce sujet, d’autant que chaque profil diffère. "Certaines coureuses avec une masse grasse à 15%, ce qui est très faible, vont avoir des règles et ça ne sera pas du tout inquiétant", explique-t-il. "D'autres coureuses auront une masse grasse plus élevée, à 17%, mais n'auront plus de règles. Et là, il faut s'inquiéter. On n'est pas tous égaux."

La pression des résultats pourrait être un facteur aggravant le phénomène de maigreur dans certaines équipes. Même si Mathieu Muller balaie cette approche chez Cofidis. "Absolument pas", tranche-t-il. "Ça fait quatre ans que je suis chez Cofidis, et j'ai toujours eu des directeurs sportifs, des managers, qui sont vraiment soucieux de préserver la santé de leurs athlètes. C’est vraiment un souci permanent. Dans les autres équipes, je ne peux pas vous dire, je ne sais pas. A la Fédération Française de Cyclisme, c'est vraiment un souci permanent de préserver la santé des athlètes."

Nicolas Couet, avec Léna Marjak à Bourg-en-Bresse