Tour de France: "Ça, ce n'est pas Tadej", comment expliquer la terrible défaillance de Pogacar

"Je suis mort." Maillot grand ouvert, regard dans le vide, il lâche ces quelques mots à son directeur sportif avant de retirer ses oreillettes pour se retrouver seul face à lui-même. Il est 16h50 ce mercredi et Tadej Pogacar vient de voir s’envoler ses rêves d’un troisième sacre sur le Tour de France. La douleur se lit sur son visage. Le dépit, aussi. Méconnaissable, le voilà lâché, incapable de suivre le tempo imposé par ce qui reste alors du groupe maillot jaune à 7,8 kilomètres du sommet du col de la Loze, avant même d’attaquer les pentes les plus sévères du nouveau monstre des Alpes. Soutenu un temps par Felix Grossschartner, il lui faut ensuite batailler pour rester dans les roues de son lieutenant Marc Soler.
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Dans ce toboggan de souffrance, avec un enchaînement infernal de bosses et de petits replats, le coup de massue est immense pour le Slovène. Encore plus terrible que celui reçu la veille lors du chrono. Seulement 22e de cette 17e étape arrivant à Courchevel, juste derrière Warren Barguil, il pointe désormais à 7 minutes et 35 secondes du maillot jaune au général. Pire, il va devoir regarder dans son rétro pour sauver une deuxième place menacée par Adam Yates voire Carlos Rodriguez et Simon Yates. Au lendemain de sa démonstration entre Passy et Combloux, qui est venue nourrir le scepticisme d'une partie des suiveurs, Jonas Vingegaard a cette fois pu compter sur une soudaine défaillance de son principal rival. Etait-elle prévisible ? Fallait-il s’y attendre ? Et quelles en sont les causes ?
"Il pensait prendre le maillot jaune sur le chrono et finalement il se retrouve à perdre le Tour, donc selon moi sa défaillance est beaucoup plus psychologique que physiologique, analyse notre consultant RMC, Cyrille Guimard. Quand l’adrénaline ne suit pas, quand la dopamine ne vient pas, et quand tu as plus envie d’aller te jeter dans la mer que d’être sur une étape du Tour, c’est compliqué. Il a été ridiculisé sur le contre-la-montre. Il s’est retrouvé désavoué sur tout, y compris sur son changement de vélo. Il suffit de voir son faciès sur les derniers kilomètres aujourd’hui, c’est celui de quelqu’un qui est en pleine déprime. Il n’était plus dans la course. Le moindre effort lui faisait dix fois plus mal que d’habitude. Il ne pouvait pas être bien après avoir été mis KO."
"C'est un humain"
Egalement membre de l’Intégrale Tour sur RMC, Jérôme Coppel se demande même si "Pogi" va s'accrocher jusqu’aux Champs-Elysées. "Je me pose la question de savoir s’il n’est pas malade, s’il va continuer. Il n’est pas à son niveau, tout simplement. Est-ce que c’est juste le nerf de la tête qui a pété ? Est-ce qu’il a eu un début de fringale ? Est-ce qu’il a lâché mentalement ?", s’interroge l’ancien coureur. Du côté d’UAE-Team Emirates, pas question de tomber dans la sinistrose. "Tadej avait un bon feeling ce matin, il est parti avec l’envie de faire la meilleure chose possible, assure Joxean Fernandez Matxin, le manager de la formation émiratie. Mais Vingegaard est plus fort, il était déjà impressionnant mardi, il faut le féliciter. Tadej est un leader et c’est dans ces moments compliqués que l’équipe doit le soutenir. Le cyclisme, ce n’est pas des maths. C’est un humain. Est-ce qu’il est malade ? Non. Est-ce qu’il a été fragilisé par sa chute en début d’étape ? Non. La différence, ce sont les jambes."
Et la faute aussi à une préparation tronquée par sa blessure au poignet subie en avril sur Liège-Bastogne-Liège. Deux mois plus tard, il écrasait son championnat national et semblait prêt à livrer une bataille XXL sur le Tour. La première étape pyrénéenne avait fait tomber ces certitudes avec plus d’une minute de perdue sur Vingegaard dans le col de Marie-Blanque. Ses attaques éclairs, aussi courtes que tranchantes, lui ont ensuite permis de grappiller son retard les jours suivants. Avant de prendre une claque samedi, et de sombrer pour de bon sur l’étape-reine.
Une préparation plombée par sa blessure
"Est-ce que c’est une déception ? Non, il faut être réaliste, estime Mauro Gianetti, manager de l'équipe UAE. C’est sûr que quand on arrive sur le Tour et qu’on prend le maillot jaune le premier jour (avec Adam Yates), tout semble aller bien. Mais quand on analyse bien, il faut être cohérent et regarder d’où il vient. Seul Pogacar peut faire ce qu’il est en train de faire. Probablement qu’un autre coureur n’aurait pas pu se présenter sur le Tour en si peu de temps en si bonne condition. Peut-être aussi qu’il a accusé le coup psychologiquement malgré son bon contre-la-montre. Ce n’est pas sur une étape comme celle d’aujourd’hui qu’on peut se sauver. C’est la première fois que je le vois comme ça. Même si on est Tadej Pogacar, on ne peut pas tout faire. Il est tout de même deuxième au général. Je pense qu’on peut voir du positif."
Et d’ajouter : "Bien sûr, on avait des espoirs, mais la réalité est comme ça. Vingegaard est hyper fort avec une super équipe, alors que Tadej n’est pas au mieux et ça se voit. Vous savez, au bout d’une étape comme ça, c’est normal d’être vidé. Tout le monde peut avoir une journée comme ça et on sait d’où il vient. La base d’entraînement n’a pas été idéale. On savait qu’il n’était peut-être pas à 100% et qu’il allait pouvoir progresser sur le Tour. Il a bien progressé, et hier il fait une belle performance. Sa chute au départ de l’étape aujourd’hui ne l’a pas aidé non plus. Le voir comme ça, ça me touche, et je pense que c’est pareil pour le public. Ce n’est pas Tadej. Tout le monde aurait aimé le voir attaquer, mais je pense qu’il a touché le cœur de tout le monde aujourd’hui. Je le répète, ça ce n’est pas Tadej."
Les regrets de Pogacar sur sa chute
Le principal intéressé, lui, avait bien peu d’explication à fournir sur sa défaillance du jour. "Je suis mort, je ne sais pas ce qui s'est passé, a-t-il confié à l'arrivée, exténué. J'arrive en bas de la dernière ascension complètement vidé. J'ai beaucoup mangé mais ce n'est pas arrivé jusque dans les jambes aujourd'hui. Je suis extrêmement déçu de ne pas avoir pu pousser autant que je voulais. Ma chute ? C'était vraiment pas de chance, c'était dans l'ascension, l'échappée était en train de se former, j'étais deuxième ou pas loin, et devant moi le coureur a ralenti, a changé sa trajectoire et j'ai touché sa roue. Si je me remets d'aujourd'hui, je veux offrir une victoire d'étape à mon équipe. On va essayer, que ce soit pour moi, Adam (Yates), Felix (Grosschartner), Marc (Soler), on va essayer de le faire pour qu'il y ait aussi Adam sur le podium avec moi. Au début de la dernière ascension, je me suis dit que j'allais peut être perdre ma place sur le podium mais j'ai eu le soutien de mon équipe et je suis toujours deuxième."
Dans le camp d'en face, le discours était sensiblement le même que la veille. "Je ne pensais pas que Tadej craquerait, reconnaissait Vingegaard. Je suis très soulagé évidemment, avoir plus de 7 minutes d'avance c'est formidable. Comme je l'ai déjà dit, on n'est pas encore à Paris, il reste encore des étapes piégeuses. Je crois que Pogacar n'abandonne jamais, il va essayer quelque chose, il va tenter à nouveau, il faut que je sois prêt pour réagir. Il reste encore des étapes très intéressantes." Pour son directeur sportif chez Jumbo-Visma, Grischa Niermann, le suspense est pourtant bel et bien envolé : "On avait identifié cette journée lors de l'annonce du parcours. On voulait pousser tout le monde dans ses limites. On a réussi même si on ne pensait pas le faire dans ces proportions. Oui, je pense que Jonas a gagné le Tour aujourd'hui. Même si tout peut arriver..."