Tour de France: "Personne ne s’y attendait", le chrono stratosphérique de Vingegaard a scotché tout le monde

Scotché. Presque sans voix. Resté parmi les journalistes suivre d'un œil la fin du contre-la-montre de la 16e étape du Tour de France, Marc Madiot est comme tous ceux qui l’entourent à ce moment-là : surpris. "Qui s'y attendait ? Personne", glisse le manager de la Groupama-FDJ. Et effectivement, que ceux qui avaient prédit une telle claque au lendemain de la journée de repos lèvent la main. Car ce matin encore le constat était unanime ou presque : ce chrono de 22 bornes tracé en Haute-Savoie entre Passy et Combloux n’allait pas faire de différence majeure entre Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar. Coureurs, directeurs sportifs, journalistes, tout le monde misait sur un écart d’une poignée de secondes entre les deux gloutons de cette 110e édition. Raté.
>> La radio digitale RMC 100% Route
Les pronostics ont tous été balayés d’un revers de main par un maillot jaune aussi brutal que phénoménal, qui a même cru que sa machine avait "des ratés" en voyant sa vitesse de pointe s’afficher sur son compteur pendant ses 32 minutes d’efforts. Ce soir, à cinq jours du dénouement sur les Champs-Élysées, un monde sépare ceux qui se tenaient en dix secondes quelques heures plus tôt. Malgré un temps canon, Pogacar a cédé une minute et 38 secondes à la fusée jaune dans un contre-la-montre alpestre entré de plein pied dans l'histoire des performances les plus folles de la Grande Boucle. Au classement général, l’avance de Vingegaard est désormais d’une minute et 48 secondes. Un gouffre monstrueux.
Van Aert premier surpris
Même Wout van Aert, troisième à près de trois minutes de son leader danois, s’avouait battu, lui le meilleur rouleur du monde ou pas loin : "C'est fou comme Jonas a été rapide. Après les étapes passées, je ne m'attendais pas à un tel écart avec moi et Tadej. Comment l'expliquer ? Il est si fort dans le contre-la-montre. Il a vraiment beaucoup progressé ces dernières années. C'est un avantage pour lui que le contre-la-montre soit si dur et à la fin du Tour. Ne pas changer de vélo était la bonne tactique. Moi ? Je suis le meilleur des gens normaux. C'est impossible de comprendre de tels écarts. Enfin si, c'est possible. Ces deux-là sont tellement au-dessus de tout le monde."
"On a vu assez vite que Pogacar n’avait pas un coup de pédale aérien, soulignait Marc Madiot. Il semblait un peu emprunté, sans la vivacité qu’on lui connaît d’habitude. C’était beaucoup plus lourd. Vingegaard, lui, a fait un des plus beaux chronos de sa vie, si ce n’est le plus beau. Aujourd’hui, il y a une jambe d’écart entre les deux au niveau physique. C’est l’impression que j’ai. Je suis un peu surpris, je pensais que ce serait beaucoup plus serré entre les deux."
Vingegaard lui-même "surpris"
Et d’ajouter : "Je pense que Vingegaard a sans doute fait ce qu’il fera de mieux dans sa vie, alors que Pogacar n’était pas dans un grand jour. Il n’était pas percutant sur la pédale. Moi maintenant, si je m’appelle Vingegaard, je me colle dans la roue et j’attends de voir ce qu’il se passe. Pogacar va forcément essayer, mais il ne peut pas non plus bouger de trop loin. Et pour moi les Jumbo-Visma ont une meilleure équipe que les UAE, ils vont pouvoir maîtriser et contrôler. Mais les UAE ont Adam Yates, qui pourrait mettre le feu. Est-ce qu’il est en capable ? C’est une autre question. Ce sera sans doute une course d’usure mercredi, mais mentalement c’est un gros coup."
Le Tour est-il plié ? "Non", a évidemment répondu Vingegaard, tout en disant lui-même être "surpris" de sa performance. En théorie, il reste deux étapes à Pogacar pour tenter de renverser la table, et ce dès mercredi lors de l'étape-reine de cette entre Saint-Gervais et Courchevel, avec le terrible col de la Loze où la moindre défaillance pourrait se payer en minutes. Mais au vu de ce qu’il vient de montrer, Vingegaard laisse penser qu’il est sur une autre planète.
"Tout le monde s’est trompé, y compris les managers et les coureurs. Tout le monde votait Pogacar. L’écart entre les deux à l’arrivée est stratosphérique. Ça me rappelle les écarts que pouvaient faire Miguel Indurain, Bernard Hinault ou Jacques Anquetil. Personne ne pouvait prévoir ce qui s’est passé, mais c’est aussi ça qui est formidable dans le sport. Une nouvelle fois, l’équipe UAE s’est trompée sur le plan stratégique, il ne fallait pas changer de vélo (au pied de la côte de Domancy). Même s’il n’y avait pas eu cette erreur, l’écart aurait été important. Vingegaard a mis tout le monde KO, ce qui ne veut pas dire que le Tour est terminé. Les grands champions sont capables de tout faire sauter, ça fait partie de leur ADN", estime notre consultant RMC, Cyrille Guimard.
"Vingegaard a écrasé Pogacar"
"Le suspense a pris une petite claque, reconnaît tout de même Julien Jurdie, directeur sportif d'AG2R-Citroën. Vingegaard a écrasé l’ensemble du peloton et son adversaire numéro un, ça va être compliqué pour Pogacar de revenir même si l’étape de demain peut réserver des surprises. Il y aura une bataille, on connaît la force de caractère de Pogi. Il y a des bonus en haut du Col de la Loze et à l’arrivée, donc il y a encore du suspense. Les deux sont au-dessus du lot, c’est clair que Vingegaard a gagné le bras de fer jusqu’à présent. C’est plutôt logique vu la préparation de Pogacar (qui a été arrêté après sa blessure au poignet sur Liège-Bastogne-Liège). Il fallait bien que l’un des deux prenne l’avantage. Mais peut s’attendre à de belles étapes demain et samedi."
Lilian Calmejane, l'Albigeois d'Intermarché-Circus-Wanty, a lui préféré en plaisanter sur ses réseaux sociaux : "32e du contre-la-montre du Tour de France à 5 min de Jonas (presque 6W/kg normalisé). Incroyable démonstration, même ASO avait prévu un itinéraire le plus rapide trois minutes plus lent…"