
Tour de France: pourquoi la domination de la Sky risque de continuer
Il suffit de regarder le palmarès récent, dans lequel Vincenzo Nibali ferait presque figure d’anomalie avec son maillot Astana. Sur les sept dernières éditions du Tour de France, l’équipe Sky en a remporté… six, avec la victoire à venir de Geraint Thomas ce dimanche. En 2012, Bradley Wiggins lançait le mouvement en devançant un Chris Froome qui allait lui succéder et enlever trois fois le Maillot Jaune. Le Britannique finit d’ailleurs cette édition sur la troisième marche du podium, seulement devancé par Tom Dumoulin.
La possibilité de changer de leader
Fondé en 2009, le mastodonte Sky ne pointe peut-être qu’à la troisième place du classement par équipes (Movistar en tête, devant Bahrain-Merida) mais aura placé ses deux leaders sur la boîte. Et n’aura même pas souffert des incertitudes autour de la participation de Chris Froome à la suite de son contrôle anormal sur la Vuelta, ayant prévu un numéro 1 de "rechange", joker finalement devenu cador, avec Geraint Thomas. Intouchables.
Certains soupçonnent, sans avancer de preuves. Les sifflets réguliers du public français au passage des coureurs en disent long aussi sur le peu d’amour porté à cette équipe qui domine tout. Ce règne va-t-il encore se prolonger ? Quelques éléments incitent à le penser.
Des moyens bien supérieurs aux autres
A commencer par les moyens financiers. "Comme dans d’autres disciplines sportives, les moyens financiers sont quand même un élément important de la réussite, estime le consultant RMC Sport Cyrille Guimard. Et quand on a les moyens de la Sky, puisqu’on est sur un budget de presque 40 millions d’euros quand les autres grandes équipes sont aux environs de 20 millions, on peut penser que cette domination peut continuer encore longtemps."
Un budget qui autorise une équipe de cadors mais surtout complète. Geraint Thomas aura attendu 32 ans pour s’offrir son premier grand tour, dans un profil à la Bradley Wiggins de pistard venu à la route sur le tard. Un trentenaire. Il y en a quatre dans cette équipe de huit coureurs alignés sur le Tour de France. De l’expérience, avec également deux coureurs de 28 ans, mais aussi de la jeunesse. Un savant mélange tiré de l’expérience des éditions précédentes.
De l’expérience pour un passage de témoin
"Dans l’équipe de huit coureurs, quatre ont plus de 30 ans, deux ont 28 ans puis 24 et 21 ans. Mais je pense que Chris (Froome) a fait 16 Grands Tours, il en a gagné six… L’expérience dans le groupe est très importante, estime Dave Brailsford, manager du team Sky. Avec ça, les coureurs ont gagné en assurance, ils ne paniquent pas. Quand une échappée de 40-50 coureurs part, ce n’est pas un problème pour eux. Il y a deux-trois ans, cela aurait été la panique. Mais ils restent ensemble, ils savent qu’ils vont travailler ensemble, ils savent comment faire. Les rôles sont clairs mais ils ont aussi la possibilité de s’adapter si quelqu’un n’est pas très en forme."
Tout a commencé avec Bradley Wiggins. Révélé sur la Grande Boucle avec une troisième place décrochée en 2009 (derrière Alberto Contador et Andy Schlek), le pistard rejoignait la Sky quelques mois plus tard. Suivront quelques belles prestations, notamment en contre-la-montre, avant une année 2012 en apothéose avec le classement général du Tour de France et un titre de champion olympique sur le chrono à Londres.
Wiggins, le point de départ et l’exemple à suivre

"Je pense qu’on a beaucoup appris avec Bradley, analyse Dave Brailsford. La première année, on était loin de ce qu’on pouvait attendre. La deuxième année, on commençait à être mieux, on commençait à comprendre et apprendre. Après, on a gagné le Tour de France et on a continué. Je crois que Chris a beaucoup appris de la façon de courir de Bradley, il a gagné beaucoup d’expérience. Puis à côté de Chris, Geraint et les autres ont gagné aussi de l’expérience. Cela passe d’une génération à l’autre. Nous aussi on apprend tout le temps." Deuxième en 2012, Chris Froome allait brillamment prendre la relève en s’imposant dès l’année suivante, puis trois fois de suite entre 2015 et 2017.
La Sky a déjà son prochain cador
Moins en jambes – quoi que plutôt impressionnant sur le dernier contre-la-montre au Pays Basque samedi – Chris Froome a donc fini coéquipier de luxe pour Geraint Thomas. Quand l’un va moins bien, l’autre prend la suite… et cela pourrait durer. Sky tient déjà sa pépite, futur cador annoncé qui impressionne déjà le peloton: Egan Bernal, 21 ans seulement et un potentiel énorme. Le Colombien pointe à la 15e place du général.
"On l’a vu, Egan (Bernal) est un futur grand. Tout le monde le voit et c’est pour cela qu’il est avec nous", assure déjà son directeur sportif Nicolas Portal. La concurrence est impressionnée, à commencer par AG2R La Mondiale, équipe d’un Romain Bardet un peu en deçà cette année. "C’est un gamin qui a une classe… On a rarement vu ça, s’émerveille presque le manager Vincent Lavenu. Le temps dira ce qu’il en est mais il a en plus l’air serein, apaisé, tranquille. Il a des moyens extraordinaires."
"Ce Bernal fait peur !"
Des moyens dans tous les sens du terme: physiques, mentaux mais aussi financiers avec la puissance d’une équipe qui a la capacité d'identifier les talents et profils. "Ma responsabilité de manager, c’est de regarder deux ou trois saisons en avant, expliquait Dave Brailsford dans l’Equipe jeudi. Et j’ai déjà l’équipe que je veux dans trois ans. J’ai cherché, cherché, cherché qui allait peut-être devenir le prochain Chris Froome, qui allait être notre prochain grand leader de grand tour. Mon choix s’est porté sur Bernal. Il fallait absolument qu’il vienne. Aujourd’hui, il est notre avenir."
Sky a racheté son contrat à Androni en fin de saison dernière et le coureur de 21 ans a fait ses débuts dans sa nouvelle équipe en janvier dernier, sur le Tour Down Under. Champion de Colombie de contre-la-montre, il a remporté cette année le Tour de Californie devant Tejay van Garderen, aidés de ses coéquipiers Pavel Sivakov et Tao Geoghegan Hart, respectivement 21 et 23 ans.
"Il fait un peu peur ce Bernal !, reconnaît Bernard Thévenet, double vainqueur du Tour de France. On a toujours espoir en France de gagner le Tour mais finalement, ils nous fauchent un peu l’herbe sous le pied. Je pense qu’il va être très difficile à battre dans les trois ou quatre ans qui viennent." Après son succès américain, Egan Bernal évoquait à demi-mot la Vuelta. Puis le prochain Tour de France? Comme le dit Dave Brailsford, "plus on a de succès, plus la confiance vient. Et donc la probabilité qu’ils continuent à avoir du succès après, augmente".