RMC Sport

Equipe de France: l'ancien outsider Giroud savoure son nouveau record, ceux qui l'ont connu avant la gloire le racontent

En ouvrant le score face à la Pologne ce dimanche en huitième de finale du Mondial (3-1), Olivier Giroud est devenu le seul meilleur buteur de l’histoire de l’équipe de France avec 52 réalisations. Parmi ceux qui l’ont côtoyé, peu auraient parié sur ce record pour l’Isérois. Qui n'a pas caché sa satisfaction au coup de sifflet final.

36 ans, 52 buts avec les Bleus et un mot qui revient toujours lorsqu’on évoque la carrière d’Olivier Giroud : résilience. Malgré une progression tardive, malgré les critiques, malgré son absence en sélection il y a quelques mois encore, l'attaquant français est devenu ce dimanche, lors du huitième de finale du Mondial entre la France et la Pologne (3-1), le meilleur buteur sous le maillot frappé du coq, passant ainsi devant Thierry Henry.

"Il y a ma femme et mes enfants qui sont là, plus mes potes d'enfance, c'est un rêve de gosse de battre Thierry Henry comme ça, a-t-il glissé au coup de sifflet final, au micro de TF1. Beaucoup de personnes me disaient que ça allait venir, maintenant je mets ça derrière moi et mon obsession est d'aller le plus loin possible avec l'équipe."

Et d'enchainer quelques instants plus tard : "C'est quelque chose d'extraordinaire, de le faire pendant une Coupe du monde. Le plus tôt était le mieux, forcément, dans cette compétition. Je suis très content pour l'équipe, ce but nous a mis sur de bons rails, surtout après la double ou triple occasion de la Pologne. (...) J'ai reçu trop de messages. Thierry Henry, j'imagine qu'on va savoir sa réaction dans les heures et jours à venir. Je lui ai fait un petit clin d'oeil, c'est une immense fierté d'être devant lui, j'espère continuer à en mettre encore."

"Pas aussi bon que certains jeunes"

Après l’Euro 2021, une nouvelle fois l’attaquant était pourtant balloté, bousculé, pas appelé par Didier Deschamps en septembre. Il était revenu en mars 2022, puis encore absent en juin dernier. Pourtant il jouait souvent, contrairement à son époque Chelsea. Mais le sélectionneur disait douter de sa capacité à accepter un nouveau statut, celui de remplaçant, dans l’ombre de Karim Benzema. Peu importe, une nouvelle fois, "DD" n’a pas eu le choix, car Giroud a forcé la porte. Comment ne pas appeler le meilleur buteur du champion d’Italie en titre, neuf réalisations et cinq passes décisives cette saison? Un énième retour au premier plan d’un joueur souvent remis en question au cours de sa carrière mais jamais totalement coulé.  

Ce côté insubmersible, peut-être faut-il se rendre dans le club de son enfance pour le comprendre. Il débute à six ans au FOC Froges, club de sa commune, à 25 kilomètres de Grenoble. A l’époque Giroud est un jeune attaquant, à l’aise de la tête et de son pied gauche. Mais, au cours des sept années passées ici, rien ne laisse penser qu’il fera carrière. "Dans le jeu, il n’était pas aussi bon que certains, se souvient Ali Djebbas, qui supervisait les jeunes à l’époque. Il était toujours là avec sa taille, il était imposant. Il distribuait, touchait beaucoup de ballons de la tête. C’est au niveau du physique qu’il était vraiment incroyable."

Abdel Khennine, président du FOC, se souvient d’un "gamin sérieux". "Il en voulait, c’est vrai, mais dans son équipe il y en avait quatre ou cinq qui étaient vraiment pas mal! On ne pouvait pas se dire qu’il allait être professionnel." Mais le petit Olivier a semble-t-il quelque chose en plus : il a faim. A quelques mètres du terrain stabilisé où lui et son équipe jouaient, Ali Djebbas et Abdel Khennine nous emmènent vers un large mur en béton. "Il arrivait toujours plus tôt et partait plus tard des entraînements. Et souvent, il venait frapper et frapper encore contre ce mur", se souvient Abdel Khennine. Déjà, enfant, Giroud travaille fort. Ali Djebbas appuie : "Il mettait des grandes frappes. Olivier se mettait en face et il visait les lucarnes. Il voulait faire des frappes précises et fortes. Il se régalait, on le voyait vraiment."

Jeu de tête et reprises du gauche 

Ses coéquipiers le voient devenir un joueur phare de leur équipe de jeune, un attaquant utile et courageux. "Il y en a qui acceptaient moins de perdre que d’autres, sourit Julien Di Frenza, qui a joué avec le numéro 9 des Bleus. On les voyait sur le terrain. Et Olivier faisait partie de ces leaders, ils couraient beaucoup plus que nous. Il y avait du plaisir et du jeu et on voyait par exemple que lui allait continuer plus que certains."

Sa persévérance et son talent sont récompensés et posent les bases de sa carrière. En 1999, il est repéré par Grenoble, où il signe. A l’époque, Max Marty est directeur sportif, et suit sa progression de loin chez les jeunes. "Il avait déjà des qualités très marquées, c’est un athlète et en plus il est gaucher. C’est un avant-centre fixateur comme on voit de moins en moins. Il était déjà très fort dans jeu de tête." Mais Giroud peine à s’imposer chez les séniors. Alors, après un an à Istres en prêt, il rejoint Tours en 2008 où il retrouve… Max Marty.

Philippe Bizeul, à l’époque, est entraîneur adjoint du Tours FC. Lors d’un match contre Istres, il découvre un "attaquant différent de par sa morphologie, sa gestuelle. Il jouait aussi sur les côtés. Pour nous, il était intéressant de par sa polyvalence, sa jeunesse." Giroud intègre l’équipe tourangelle, en Ligue 2, aux côtés notamment d’un autre futur Bleu, Laurent Koscielny. L’avant-centre a le niveau mais toujours quelques lacunes, dans les déplacements par exemple. "Un futur grand ? Je vais être très honnête. A l’époque, on avait une belle équipe. Mais de là à imaginer sa réussite au niveau international, ce serait exagéré de dire que j’avais vu ce potentiel. Mais on pouvait deviner que ça pouvait devenir un très bon attaquant de Ligue 1." Point commun avec ses débuts à Froges : son amour pour le travail. Max Marty se souvient qu’il "aimait avoir des vidéos de ses adversaires avant les matchs pour savoir s’ils défendaient en avançant, en reculant, s’ils allaient au premier poteau dans certaines circonstances."

La Formule 1 et le karting 

En deux saisons à Tours, Giroud marque 38 buts et attise les convoitises. L’Ecosse ou l’Angleterre lui font les yeux doux mais il choisit Montpellier. "Il a très rapidement dépassé ce qu’on pouvait entendre ou voir. Quand il est arrivé, une grande majorité disait ‘il est lent, il ne va pas vite.’ Mais ne pas aller vite et ne pas être vif ce n’est pas la même chose, se souvient son entraîneur au MHSC, René Girard. Il allait très vite, mais ce n’était pas un garçon vif pour dribbler."

Là encore, la même histoire. Celle du joueur qui reste "une ou deux heures" de plus pour bosser. "Le pied gauche lui permettait tout, souffle Girard. L’année du titre en 2012, il nous a porté à 60% ! Sur le terrain il n’a jamais rien lâché. Ce n’est pas un prétentieux. Il connaissait son potentiel, il savait où il voulait aller et il y est allé." Meilleur buteur de Ligue 1, il s’ouvre les portes de l’Angleterre et signe à Arsenal. Le buteur y est entraîné par le Français Arsène Wenger et ce dernier le qualifiera comme "un des meilleurs buteurs d’Europe". Mais son profil particulier, pas très mobile et académique, l’empêche de vraiment rentrer dans les cœurs des Français.

L’absence de but de sa part lors du Mondial 2018 ne fait pas grimper sa cote, même s’il reste un joueur fiable. Son passage mitigé à Chelsea (janvier 2018 – été 2021), où il jongle entre titularisations et mises sur le banc, semble annoncer la fin de Giroud. Il rétrograde à la troisième place dans la hiérarchie des avant-centres, derrière Tammy Abraham, Timo Werner, voire Kai Havertz. Des supporters de l’équipe de France ne comprennent pas que Didier Deschamps l’appelle encore malgré son faible temps de jeu. Philippe Bizeul, devenu entraîneur adjoint à Rennes, l’avait croisé à cette période, en marge d’un match Chelsea – Rennes. "Ce que j’ai beaucoup aimé quand je l’ai vu à Chelsea, c’est qu’il n’était pas le premier attaquant dans la tête de Lampard. Mais à aucun moment dans la semaine que j’ai passée avec lui je n’ai senti d’états d’âme, de rancœur. Il me parlait toujours de s’accrocher, ne rien lâcher, il faisait des entraînements intenses."

"Quand on te colle des étiquettes, c’est compliqué"

Olivier Giroud rebondit aussi grâce à une certaine stabilité de vie selon Max Marty: "C’est un garçon très bien entouré. Ses parents sont des gens remarquables, son frère a été très proche du haut niveau, il a une femme qui l’équilibre beaucoup. Il a un groupement d’agents qu’il n’a pas quitté depuis toujours." René Girard, marqué par "l’homme", loue sa patience, sa capacité à garder la tête haute : "Ne rien laisser tomber, s’accrocher, y croire en permanence… Il ne s’est pas précipité, quand c’était difficile il a dû faire l’autruche. Il a fait des grands clubs. Si on lui trouve des poux dans la tête il faut vraiment les chercher." 

En difficulté, "Gigi" rebondit finalement à Milan à l’été 2021, club majeur de notre continent. Et malgré les doutes, les critiques, l’épisode de "la Formule 1 et du karting" avec Benzema, son déclassement chez les Bleus, le tricolore y croit et performe. "Quand on te colle des étiquettes c’est compliqué, regrette René Girard. Et aujourd’hui tout le monde fait un petit peu marche arrière. Moi je dis qu’il est indispensable à l’équipe de France." "C’est réducteur aujourd’hui de dire qu’il joue parce que d’autres ne jouent pas, insiste Max Marty. Il faut arrêter de penser qu’il joue seulement parce qu’il a un mental. Il joue avant tout car c’est un bon joueur de foot." La preuve : en Italie il marque encore, se rend indispensable. Et il a été récompensé ce dimanche soir: 52 buts pour entrer dans l’histoire. 

Valentin Jamin