Vrai danger ou simple coup de pression? Ce que cache la menace d'un retrait des investissements du Qatar en France

Jean-Baptiste Guégan, Nasser Al-Khelaïfi a été mis en examen ce jeudi pour complicité d’abus de pouvoir dans l’affaire Lagardère. Dans la foulée, ses défenseurs du côté de Doha ont brandi la menace d’un retrait de ses investissements qatariens en France dont beIN Sports et le Paris Saint-Germain. Est-ce une menace crédible selon vous ou simplement un coup de pression?
Jusqu’à preuve du contraire, la justice française est souveraine et une mise en examen ne vaut pas une culpabilité ou une condamnation. On est exactement dans ce qu’on a l’habitude de voir avec le Qatar. On est exactement aussi dans la volonté de mettre la pression sur la justice française, le gouvernement français et l’exécutif donc le président Emmanuel Macron. Dans la mesure aussi où Nasser Al-Khelaïfi bénéficie aussi d’un statut particulier, est étroitement associé au gouvernement qatari, cette procédure (sa mise en examen) n’aurait pas forcément déclenché de procédure ultérieure derrière. Pour l’instant, on est uniquement sur une mise en examen.
Ça parait impensable de voir le Qatar se désengager totalement en France pour sauver le soldat Nasser Al-Khelaïfi? Peut-être seulement les actifs de QSI et pas les autres partenaires?
On peut difficilement imaginer le Qatar retirer ses billes et on est typiquement ici dans un exercice de communication politique à des fins de pression plus que de quelque chose de realiste. A l’heure actuelle on n’a pas encore eu de communication officielle de l’Etat qatarien mais seulement de personnes autour de Nasser Al-Khelaïfi et de ses relais ou de ceux du PSG. On a pu voir dans cette affaire des acteurs qui sont des relais de la communication de Nasser Al-Khelaïfi et d’une partie des avoirs qu’il oriente. On n’a pas encore de communication officielle et quand il y en a une ce n’est pas de cette manière-là. Là c’est un peu maladroit et ça donne l’impression de vouloir politiser le sujet pour accroître encore la pression. Fondamentalement, dans cette menace on a quelque chose de l’ordre de l’irréaliste. Je doute que le Qatar risque de perdre le soutien de Paris et vende la totalité de ses avoirs en France.
Est-ce que cette éventuelle menace montre justement l’importance du président du PSG dans l’écosystème qatarien et du sport français?
Ce que ça montre et c’est là où c’est intéressant c’est que si on parle de beIN Sports via ces relais, c’est qu’on est dans un contexte où le football français va mal. La crise du football français est aussi une crise du sport et de son financement et aussi de sa gouvernance à travers la figure de Vincent Labrune. Et derrière, on voit aussi l’ampleur prise par Nasser Al-Khelaïfi dans le sport et qu’il sache exactement qu’en mentionnant le fait que beIN soit concerné par ce type de mesures de rétorsion et de conséquence, ça va avoir un impact autre. L’idée est d’utiliser le sport pour augmenter la pression et la caisse de résonnance. Ce n’est pas pour rien le fait que ça soit très vite sorti dans les médias sportifs. On est clairement sur une opération de communication politique. Il y a énormément de procédures contre Nasser Al-Khelaïfi. Mais si c’est le problème d’un seul homme, en général on enlève l’homme et on n’enlève pas les relations entre Etats.
Et dans cette riposte de la défense de Nasser Al-Khelaïfi, se trouve-t-on dans le schéma habituel ou plutôt dans une mesure d’exception?
Ce n’est pas une réaction d’exception. On constate depuis environ un an que, là où le Qatar était avant dans la négociation et dans l’entente quitte à surpayer ou à ne pas valoriser ses intérêts jusqu’au bout, il est désormais dans un rapport de force. On l’a vu avec Kylian Mbappé, on l’a vu avec les autres procédures qui touchent Nasser Al-Khelaïfi. On l’a vu sur le fait que beIN Sports n’est pas revenu au chevet du foot français comme il l’avait fait à l’époque du président Sarkozy. On a vu que malgré le réchauffement et le rapprochement des relations entre Emmanuel Macron et l’émir Tamim ben Hamad Al Thani, la situation dans le Golfe et la position de la France permettent d’être plus intransigeant et d’avoir une communication plus agressive ou du moins plus marquée. C’est aussi là que le contexte international joue aussi. Quand le camp de Nasser Al-Khelaïfi joue cette carte, évidemment qu’il n’engage pas à lui seul le Qatar puisqu’une seule personne peut le faire: l’Emir. Et il ne le fera pas même s’il y a une extraordinaire proximité entre lui et Nasser Al-Khelaïfi. On ne risque pas des relations entre deux Etats pour ça. En revanche on peut créer une situation de tension.
Le contexte politique en France et géopolitique à l’international a permis une telle prise de position des défenseurs de Nasser Al-Khelaïfi à Doha alors?
Ce type de communication n’aurait pas eu lieu, n’aurait pas pu être possible il y a un an. Et encore une fois, ça ne peut pas être une menace réelle parce que, qui a le plus à perdre dans cette histoire? Le Qatar perdrait des actifs mais qu’est-ce ça changerait pour la France puisque ce sont déjà des intérêts privés et ils ne feraient que changer de propriétaire. Après, il y a une promesse d’investissement de dix milliards du Qatar donc qui se décrédibiliserait? C’est le Qatar parce que ça voudrait dire qu’il aurait fallu que ses intérêts priment sur la justice souveraine d’un pays. En terme de réputation à l’international, la totalité des ONG et des acteurs qui ont déjà des positions critiques vis-à-vis du Qatar donc déclencheraient ce type d’arguments contre le Qatar en cas d’investissements dans d’autres pays. Enfin, si vous mettez ce type de relations en place, il ne faut pas oublier que la France possède un siège au conseil de sécurité de l’ONU, il ne faut oublier que la France est la première défense européenne avec les Britanniques. Donc, il y a plus à risquer que l’avenir d’un homme même si ça pourrait peut-être entraîner une petite période de relative glaciation ou de tension entre les deux pays dans le cas d’une éventuelle condamnation.