XV de France: "Nous avons été obligés de faire notre révolution", avoue Thibault Giroud

Depuis le début du Tournoi, on parle beaucoup du jeu de l’équipe de France ou de sa conquête, mais cette force ne vient-elle pas d’abord de sa condition physique?
Le groupe est vraiment prêt pour ce Tournoi. Depuis la Coupe du monde 2019, on essaie vraiment de préparer ces joueurs au niveau international. En début de mandat, on a essayé de coller à ce qui se faisait de mieux sur la planète rugby. Puis, on a mis en place notre méthode et on a essayé d’innover, pour avoir un développement de la performance très spécifique au projet de jeu.
En quoi consiste votre méthode?
Le rugby international est tout le temps en évolution. C’est le cas à chaque tournée, chaque Tournoi. Il ne faut pas que l’on dorme pour faire évoluer le domaine athlétique. Le projet de jeu change aussi. Les coachs ont besoin d’avancer et de s’adapter à ce qui se passe en face. Et nous, on doit coller au mieux à ce que demandent les entraineurs pour transférer les qualités athlétiques sur le projet de jeu. Encore une fois, c’est un travail très spécifique. C’est différent de ce qui se fait en club où il n’y a pas la même homogénéité sur le groupe de joueurs qu’en sélection. On a la chance d’avoir une génération incroyable, et on récupère les fruits du travail faits par les clubs durant l’année complète.
Plusieurs membres du groupe France ont récemment reconnu avoir perdu du poids ces derniers mois. Les sentez-vous plus affutés?
Oui, c’était un objectif depuis la Coupe du monde 2019. Ce n’est pas perdre du poids pour perdre du poids. L’objectif était de trouver un poids adéquat à la puissance développée par le joueur. On a besoin d’avoir des joueurs à la fois très bons dans le combat et dans le déplacement, surtout dans le jeu sans ballon. C’est-à-dire perdre du poids tout en développant des qualités de puissance et de force avec des poids de corps bien moins importants que par le passé. Ça donne des joueurs largement plus explosifs, avec une accélération plus impressionnante.
Sur le cinq de devant, il y avait beaucoup de retard.
Certains joueurs vous ont-ils particulièrement impressionnés?
Depuis la Coupe du monde, des garçons comme Paul Willemse ont particulièrement évolué. Romain Taofifenua aussi. Ça se joue énormément sur le cinq de devant où il y avait beaucoup de retard. On a voulu vraiment travailler fort sur ce secteur pour ramener les joueurs dans les standards athlétiques internationaux. Cela permet de ne pas avoir des joueurs uniquement bons dans le déplacement ou dans le combat. Ils sont capables d’alterner les deux. Derrière, il y avait moins de boulot. C’est l’accélération et la vitesse qui priment. Soit vous avez ces qualités, soit vous ne les avez pas. Si vous n’allez pas vite et que nous n’êtes pas explosifs, c’est compliqué d’aller jouer à ce niveau-là.

Ressentez-vous une part de fierté lorsque vous voyez les joueurs progresser?
Bien sûr. Mais ce n’est pas Thibault Giroud qui change la donne. C’est un staff, et des joueurs qui captent vite ce qu’on leur demande. Un entraineur de basket disait "d’un dauphin, tu ne n’en fais pas un requin" (une phrase de Laurent Sciarra, ndlr). Nous, on est là pour travailler des choses vraiment spécifiques. Il faut que tout le monde parle le même langage.
On a un groupe hyper sérieux. On peut leur faire confiance.
Comment parvenez-vous à conserver les joueurs en forme dans une compétition aussi longue que hachée?
C’était l’objectif puisque dans le passé on avait observé qu’on finissait un peu dans le dur les Tournois. Neuf semaines, c’est long à gérer. Sans manquer de respect aux Italiens, on a voulu avoir un développement de qualités physiques très élevé, même dès la première journée du Tournoi. C’est pour cela qu’on a vu des joueurs un peu empruntés sur la fraicheur. Après la préparation à Cassis, j’avais besoin d’une troisième semaine de développement. On a pris le parti d’avoir des joueurs un peu plus fatigués sur la semaine de l’Italie. C’était important pour bien finir la compétition plus tard. On a aussi pris le parti de faire rentrer les joueurs chez eux la semaine avant l’Ecosse et le pays de Galles, avec une programmation spécifique pour chacun. Ils ont pu se requinquer mentalement et physiquement dans leurs familles. Ils ont vraiment joué le jeu. On a un groupe hyper sérieux. On peut leur faire confiance. On a aussi changé dans la méthode, en réduisant le volume d’entrainement, mais pas l’intensité. L’idée était que tout cela paye sur les deux dernières semaines du Tournoi.
La satisfaction réside aussi dans l’absence de gros pépins physiques à l’entrainement…
C’est vrai. Ça a vraiment changé par rapport à ce que j’ai pu connaitre durant la préparation de la Coupe du monde 2019. Les joueurs sont maintenant habitués à ce travail et cette méthode depuis deux ans et demi. On a eu de la casse à certains moments. Mais, comme je l’ai dit par le passé, nous avons été obligés de faire notre révolution physiologique et athlétique. Malheureusement, on devait en passer par là. C’était un choix à faire et on l’a fait pour la Coupe du monde. Depuis, les joueurs ont compris qu’il fallait être prêt en arrivant à Marcoussis. Nous sommes relativement chanceux de garder un groupe stable. On ne les met pas du tout dans le confort la semaine, ça travaille très dur mais on ne perd pas beaucoup de joueurs sur blessure. J’espère que ça va durer.

Vous avez évoqué à de nombreuses reprises la Coupe du monde 2019. Cette aventure vous a fait gagner beaucoup de temps.
Oui, c’est sûr. Si on était arrivé en novembre 2019, ça aurait été un peu plus compliqué. Selon moi, la préparation et la Coupe du monde nous ont fait gagner deux ans. On a pu avoir toutes les données physiologiques des joueurs et se confronter au niveau international. On s’est rendu compte qu’il fallait recoller à ce qui se faisait de mieux, mais aussi créer notre modèle pour voler de nos propres ailes et développer notre propre projet de jeu.
Tout le monde doit parler le même langage et c’est le cas.
A titre individuel, comment vous sentez-vous dans ce staff?
On se connait très bien après ces deux ans et demi ensemble. J’avais déjà travaillé avec Fabien Galthié à Toulon et je suis venu avec lui ici. Avec Laurent Labit, on avait bossé ensemble sur la préparation de la Coupe du monde. Depuis, c’est dans la continuité avec William (Servat), Karim (Ghezal), Shaun Edwards. Nous sommes tous dans le même délire. Ça se passe bien. On parle le même langage. Ça va vite, c’est assez fluide, les réunions ne durent pas dix ans. La programmation, tout le monde y adhère. Ce qui est important, c’est que les entraineurs soient éduqués sur la perf et que de notre côté, nous le soyons sur le projet de jeu. Tout le monde doit parler le même langage et c’est le cas.
Si on arrive à aller au bout la semaine prochaine, il y aura une grande fierté. Ce ne serait pas un aboutissement, mais une première pierre pour 2023.
Après avoir connu un parcours atypique dans d’autres disciplines (football américain, athlétisme, bobsleigh), que représenterait pour vous une victoire finale dans le Tournoi et un Grand Chelem?
On se bat pour gagner des titres. Moi, je ne joue pas. Ça appartient aux joueurs. J’ai toujours voulu tenter les choses, peut-être aussi prendre beaucoup de risques à certains moments, changer de carrière, de sport. Quand on est arrivé dans ce XV de France, au départ ça a été un peu compliqué sur la méthodologie parce qu’il a fallu faire cette révolution. Peut-être que nous avons été très agressifs mais je ne regrette pas du tout. Et si c’était à refaire, je referai pareil. Evidemment, gagner un Tournoi, ça serait top. Le plus important, ça sera la Coupe du monde 2023. C’est l’objectif majeur de tout le monde. Mais, comme on l’avait dit depuis le début, il faut gagner des choses avant. On ne peut plus faire comme dans le passé, en disant "on sera prêts pour la Coupe du monde", en se préparant huit semaines avant et en ne gagnant rien durant les quatre années précédentes. C’est impossible. Si on arrive à aller au bout la semaine prochaine, il y aura une grande fierté. Ce ne serait pas un aboutissement, mais une première pierre pour 2023.
Pour y parvenir, il faudra gagner contre le pays de Galles vendredi soir (21h) et l’Angleterre huit jours plus tard en évitant les trous d’air que l’équipe de France a parfois connus ces dernières semaines…
Oui, ça fait quelques fois que nous sommes un peu dans le dur à la sortie des vestiaires pendant une quinzaine de minutes. On reprend le dessus sur la fin des matchs, ce que l’on ne faisait pas il y a encore deux ans et demi. En Ecosse, nous avons été très efficaces sur ce retour de vestiaires mais nous avons tendance à avoir des moments compliqués où on laisse les autres équipes revenir. On est dessus et on essaie de trouver des solutions. Tout n’est pas toujours explicable et programmable alors qu’on essaie d’appliquer la science dans tout ce que l’on fait. Ça fait plusieurs fois qu’on a ces trous d’air sur la première partie de la deuxième mi-temps. C’est important car contre les Blacks et l’Irlande, ils sont revenus fort et ça ne se passera pas toujours bien en fin de match. On a vraiment discuté de ça avec les joueurs et le staff. En Ecosse, on a poussé les joueurs à penser à ces quinze premières minutes de la deuxième mi-temps, à faire l’effort à ce moment-là. On a vu que cela avait été efficace mais le travail doit encore se poursuivre car ça ne passera pas tout le temps.