Face au réchauffement climatique: l'avenir du biathlon va-t-il s’écrire sur des roulettes?

L'équipe de France de biathlon lors d'un stage estival à Font Romeu, en octobre 2025. - Iconsport
C'est une petite musique qui rythme les fins de printemps, les étés et les débuts d'automne des biathlètes. Le cliquetis des bâtons et leur bout en métal qui griffent le bitume des routes de montagne. C'est sur des "ski-roues" que s'effectue une grande partie du travail de préparation de la saison hivernale et ce, dès le mois de mai. "Techniquement ça ressemble quand même beaucoup au ski de fond", décrit Lou Jeanmonnot, la deuxième du classement général de la coupe du monde la saison dernière. Alors les biathlètes avalent les kilomètres sur ces drôles de planches d'une soixantaine de centimètres de long avec une roulette de 80mm à chaque extrémité et un casque "un peu encombrant" sur la tête en cas de chute. "Ça reste du biathlon, le tir reste quasiment le même. Mais ce n'est pas la même chose”, avoue Lou Jeanmonnot. “On entend le bruit des bâtons qui tapent, il n'y a pas la douceur de la neige qu'on apprécie tous. J'aime le ski dans les bois et entendre le bruit d'un ski sur la neige toute douce."

C'est donc sur ces engins que les meilleurs biathlètes de la planète vont s'affronter ce week-end dans un show spectaculaire au cœur du parc olympique de Munich. "Nous voulons sortir le sport de son cadre habituel”, explique Daniel Boehm, le directeur des sports et des compétitions de l'IBU. “L'amener dans un environnement urbain, dans une grande ville là où se trouvent les gens afin d’atteindre un nouveau public, d'attirer un public plus jeune. Nous savons que la consommation de sport, surtout chez les jeunes générations, évolue."
Un show à roulettes loin des montagnes qui n'est pas non plus une grande nouveauté. Le Blink Festival en Norvège, le City-biathlon à Dresde en Allemagne ou encore jusqu'à l'an dernier le Martin Fourcade Nordic Festival organisé au bord du lac d'Annecy sont implantés depuis plusieurs années déjà. "C'est une discipline qui, en période estivale, arrive à remplir des stades de foot avec 15.000 ou 20.000 spectateurs”, constate Simon Fourcade, l'entraîneur de l'équipe de France masculine. Aller vers le public à la place que ce soit le public qui vienne à nous dans des fonds de vallées italiennes ou françaises, forcément on a accès à une population beaucoup plus grande."
"Il faut être préparé au pire des scénarios"
Mais cette fois c'est la puissante IBU, fédération internationale de biathlon, qui est à l'initiative. Et qui a (très) fortement poussé pour que les stars de la discipline soient toutes là. Quitte à faire grincer quelques dents au moment de devoir insérer cette escale bavaroise dans une période où la préparation des Jeux olympiques bat son plein. Un show pur, sur un format de "super sprint" ultra spectaculaire (voir ci-dessous), et sans points attribués pour la coupe du monde. Mais surtout un double objectif: outre conquérir un nouveau public, il faut préparer tous les scénarios pour le futur d'un sport qui constate année après année que la neige se fait de plus en plus rare. Préparer les esprits à une sorte de transition à long terme pour ce sport.
"Pour l’instant nous n’en sommes pas au point de dire qu’il faut absolument passer au ski-roues”, assure Daniel Boehm. “Mais je pense que tout le monde comprend qu’il faut être préparés au pire des scénarios. Et ce n’est pas un secret, nous en avons déjà discuté plusieurs fois avec les entraîneurs, avec les équipes. Dans le pire des cas, s’il arrive qu’en plein mois d’hiver, il y ait une semaine sans neige, ni naturelle ni artificielle, alors il vaut mieux organiser une épreuve sur ski-roues que de l’annuler complètement. Notre intention n’est pas de pousser aujourd’hui le biathlon sur ski-roues, mais bien d’être prêts dans le cas où cela se produirait dans le futur. C’est ainsi que nous avons procédé pour des changements dans le passé. En faisant les choses doucement, progressivement et en concertation avec les parties prenantes, notamment les équipes et les athlètes, pour vraiment évaluer ces éventuels changements."
"Mettre des pas de tir sur les glaciers, ce n'est pas l'objectif"
Le réchauffement climatique s'impose comme une réalité incontournable. "On est une discipline qui fait face de plein fouet au réchauffement climatique”, avance le double champion olympique Quentin Fillon-Maillet. “Le manque de neige devient quelque chose de pesant. Donc il faut qu'on trouve des alternatives, et l'alternative en ski-roues est pour moi une bonne solution." Une perspective qui ne réjouit personne, mais que Lou Jeanmonnot juge "inéluctable" et qui valide l'idée d'une transition. "Une transition doit être lente et évolutive, il faut faire des essais. On sera obligé de faire passer le biathlon d'un sport d'hiver à un sport d'été grâce au ski-roues. Et faire ce test à Munich, je pense que c'est vraiment une bonne idée. D'ici dix ans, j'imagine qu'il faudra viser uniquement les stades qui sont au-dessus de 1500-1800m. Faire uniquement des étapes en montagne à 600 mètres d'altitude, ça ne sera plus viable. Si ça continue comme ça, il faudra finir sur les glaciers et ce n'est pas l'objectif. On ne va pas mettre des pas de tir sur les glaciers. Ce serait malheureux et ce n'est pas ce qui me plaît, on est bien d'accord. On est obligés d'être honnêtes."
“J'imagine qu'à terme, ce sera entraînement l'hiver sur les skis et puis les compétitions l'été parce que c'est ce qui sera le plus viable. Et peut-être finir aux Jeux d'été (rires)", ajoute QFM.
Une vision qui n'effraie pas Emilien Jacquelin. "On a cette chance là que d'autres sports d'hiver n'ont pas, souligne le double champion du monde de poursuite. Il faut l'utiliser et à mon goût, la transition ne se fait presque pas assez vite. Ça reste assez timide et il faut avancer. Je pense qu'il devrait déjà y avoir des circuits d'été. Le souci, c'est que si l'IBU ne s'en empare pas, ce sera peut-être des circuits privés. Mais je pense que l'avenir de notre sport passera aussi peut-être plus par des équipes privées que des équipes nationales."
Une saison mixte ski-roues et ski "complètement envisageable"
A Munich, aucun point ne sera distribué pour la coupe du monde. "Il faut avancer pas à pas et d’abord observer comment se déroule l’événement, voir comment les fans et les équipes vont le percevoir”, précise Daniel Boehm. “Il faut vraiment d’abord établir les bases. Nous pensons que cela peut être un excellent ajout à notre saison d’hiver, mais nous voulons une évaluation attentive avec toutes les parties prenantes après coup." La "transition" du biathlon pourrait donc passer dans un horizon assez lointain par des saisons "mixtes" avec des points de coupe du monde distribués sur des épreuves en ski-roues et sur neige. "C'est quelque chose qui est complètement envisageable”, abonde Simon Fourcade. “Je ne pense pas dans les cinq années à venir, ça c'est une certitude. Mais par la suite pourquoi pas. Tant que l'on pourra préserver notre discipline sur neige, c'est ce qui sera fait. Le jour où ça deviendra un petit peu trop contraignant, trop coûteux, que ce soit en énergie ou au niveau financier, on basculera petit à petit sur du ski à roulettes."
Une évidence donc, mais avec "un gros bémol" dixit Quentin Fillon-Maillet: le format de course. A Munich, les biathlètes s'affronteront sur un "super-sprint". Trois boucles de 1,8km avec deux tirs et un tour de pénalité pour chaque balle manquée de 60m. Un format différent de celui du sprint lors de la coupe du monde, qui comporte trois boucles de 2,5km pour les femmes, 3,3 km pour les hommes, entrecoupés de deux passages sur le pas de tir avec un anneau de pénalité de 150m. "Ça va être télégénique, mais on est trop loin du biathlon qu'on peut avoir l'hiver”, balaye le Jurassien. “Là, le tir a une conséquence beaucoup plus importante. Je trouve ça dommage qu'on s'éloigne un peu du format."
"Une barrière entre l'excellence et le show"
Pourtant, ce format, Éric Perrot le trouve "très dynamique et très amusant à regarder. Le biathlon, c'est aussi du show, et c'est un autre format qu'on n'a pas l'hiver. Ça sera utile pour la promotion du biathlon." Pour autant, il le différencie de son quotidien de biathlète l'hiver sur la coupe du monde. "Je n'ai pas commencé le biathlon pour faire du show dans des villes, même si c'est quelque chose que j'aime beaucoup. Je mets une vraie différence, une vraie barrière entre gagner des titres, gagner des coupes du monde, gagner sur le circuit le plus important et aller faire du show en ville. Pour moi, ce sont deux choses complètement différentes.
"Il y en a une dont le but est d'amuser la galerie et le public. L'autre, c'est aller chercher l'excellence dans notre sport. Je mets cette barrière entre l'excellence et le show."
Le troisième du classement général de la dernière saison de coupe du monde ne se voit pas disputer une saison sportive sur les ski-roues. "J'encourage ce genre d'événements que je trouve vraiment sympa. Mais pour le moment, je préfère ne pas le mélanger à la saison hivernale qui correspond plus à notre sport. Après, essayer d'autres façons de faire du biathlon c'est toujours intéressant. À voir ce que l'IBU va nous présenter pour la suite."

"L'avenir du biathlon avec des roulettes, je ne voudrais pas en faire partie"
Et si comme Julia Simon, ils sont nombreux à faire le constat que "le ski-roues fera partie de notre futur", elle a " la chance de pratiquer un sport qui s'adapte à l'été". Plutôt sur la fin de sa carrière, la Savoyarde (29 ans) n'est pas mécontente de se dire qu'elle ne sera plus sur les pistes pour vivre cette transformation. "II fait beaucoup trop chaud l'été”, sourit la décuple championne du monde. “Je préfère les sports d'hiver."
À 34 ans, Antonin Guigonnat vit ses dernières années de haut niveau dans son sport. Et "si à l'avenir il n'y a plus de froid et de neige, je ne ferai plus de biathlon", avoue cash le vice-champion du monde de la mass-start en 2019. “Si la discipline doit vivre sur des roulettes, pourquoi pas avec du tir laser. Parce que le plomb et les armes à feu, c'est dangereux. J'aurais été très content d'avoir connu le vrai biathlon avec de la neige naturelle et du tir à la carabine. J'ai adoré mon expérience et si l'avenir du biathlon, c'est avec des roulettes ou du tir laser, je ne voudrais pas en faire partie."