Vendée Globe 2024: qui est Violette Dorange, la benjamine de l'édition prête à marquer l'histoire de la voile?

La sagesse n’attend pas le nombre des années. Si Jean Le Cam sera le participant le plus âgé du Vendée Globe 2024-2025 avec 65 ans au compteur, Violette Dorange s’élancera sur la prestigieuse course avec le statut de benjamine. À seulement 23 ans, 6 mois et 23 jours, la jeune femme deviendra la plus jeune skipper de l’histoire de l’épreuve au moment du grand départ, donné dimanche aux Sables-d’Olonne (13h02). Comme un symbole, c’est justement sur l’ancien bateau du "Roi Jean" que voguera Violette Dorange: "Yes We Cam" se nomme désormais "DeVenir" pour ce nouveau tour du monde à la voile en solitaire.
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Charge à Violette Dorange de briller à la barre de son Imoca comme l’ont fait avant elle les précédents propriétaires: Michel Desjoyeaux, vainqueur du Vendée Globe en 2008, et Jean Le Cam au pied du podium en 2021. Un objectif à la hauteur des espoirs placés en elle et surtout de son talent, tant elle enchaîne les belles performances autant que les records depuis l’adolescence.
Mais quand on lui demande ce que cela lui fait de devenir la plus jeune engagée sur le Vendée Globe, Violette Dorange fait preuve d’une jolie maturité dans sa réponse: "J’y pense souvent. Et puis, l’âge ce n’est qu’un chiffre! Au final, ça commence à faire plusieurs années que j’ai des projets sportifs comme ça, même si c’est un changement d’échelle majeur, la logique reste la même, et j’essaie de le vivre de la même manière."
La voile dans le sang, une affaire de famille
En s’élançant dimanche des Sables-d’Olonne, Violette Dorange va surtout concrétiser le travail réalisé depuis plusieurs années. Le sien, d’abord, pour lancer ce projet "DeVenir" et trouver les financements pour participer à Vendée Globe. Celui de toute sa famille, ensuite. Parce que oui, si Violette Dorange va devenir la plus jeune skipper de l’histoire de la course, c’est aussi parce qu’elle a grandi dans une famille où la voile tient une place de choix.
Originaire de Rochefort en Charente-Maritime, cette dernière d’une fratrie de trois enfants va rapidement imiter son frère et sa sœur et se mettre à la voile pendant l’enfance. Avec deux parents passionnés de voile, impossible d’y échapper et c’est "un peu pour faciliter" les choses selon les mots de la principale intéressée. De son propre aveu, Violette Dorange ne tombe pas immédiatement amoureuse de ce sport et envisage même d’arrêter dès la première année. Mais après s’être accrochée et aussi en voyant un ami de ses parents, le navigateur Jean-Pierre Dick, se préparer et s’élancer sur le Vendée Globe, la petite fille va finir par prendre goût à la voile.
Au micro de RMC Sport, le marin qui connait Violette "depuis le berceau" raconte justement cette belle entreprise familiale chez les Dorange et la découverte d’un véritable prodige de son sport.
"J’étais peut-être un peu responsable de ça, dans le fait que son père Arnaud est resté un ami assez proche tout au long de ces années. Depuis la sortie de l’école vétérinaire lorsqu’on avait à peine 25 ans, on s’est toujours revu. Arnaud pratiquait la voile mais s’est assez rapidement arrêté contrairement à moi mais il a plus 'favorisé' ses enfants", décrit le skipper aux quatre participations sur le Vendée Globe pour deux quatrièmes places en 2013 et 2017. "D’abord sa grande fille, puis son fils qui a aussi un niveau professionnel aujourd’hui. Et Violette qui est arrivée ensuite. Je dirais presque la perle rare."
Et Jean-Pierre Dick de préciser sur Violette Dorange: "Elle navigue depuis pas mal de temps alors que ce n’était pas son sport de prédilection au début. Et puis un peu comme toute la famille, elle s’y est faite et puis elle s’est révélée. Elle a un caractère très tenace, on sent dans son regard la détermination et l’envie de concourir. C’est quelque chose de très ancré en elle. Et donc là, voir sa carrière qui démarre quelque part, il y a de l’émotion."
Une tête bien faite et une mordue de travail au gros caractère
Violette Dorange ne manque pas d’atouts pour réaliser des prouesses dès ce premier tour du monde à la voile en solitaire. Tenace, après s’être accrochée pour finalement tomber amoureuse de la voile grâce aux compétitions, la benjamine du Vendée Globe fait ensuite tout pour vivre son rêve en mer. Après un lycée en sport-études, elle se lance dans un master à l’INSA Rennes en spécialité génie physique et matériaux. Actuellement en année de césure pour préparer du mieux possible son premier Vendée, Violette bouclera ensuite son diplôme. Cette faculté à mener en parallèle ses deux projets scolaires et sportifs constitue une vraie force pour la navigatrice. Bourreau de travail, elle est en constante recherche d’une manière d’améliorer ses compétences.
"Sa première qualité c’est que c’est une bosseuse. On a eu un événement un peu marrant tout les deux. J’avais mon bateau du Vendée Globe, et je l’ai toujours d’ailleurs, sur lequel je faisais quelques transats avec des amateurs. Et j’avais amené ce bateau à Madère et il était au port. Il se trouvait qu’en regardant les cartes, j’ai vu qu’un cyclone arrivait sur Madère donc j’ai dû prendre la décision immédiate de partir de mon bureau à Lorient en direction de Madère pour sauver le bateau. J’ai appelé des équipiers pour m’aider à le faire et je n’ai trouvé personne parce qu’il fallait partir dans l’heure. La seule que j’ai trouvé c’était Violette", se remémore volontiers Jean-Pierre Dick au sujet de la jeune femme pour laquelle il a une sincère affection. "Elle a pris un train pour Paris et derrière on a pris l’avion pour Madère. On a vécu cette petite expérience en double et ça m’a donné l’occasion de revoir Violette.
Et le marin niçois d’ajouter aussi amusé qu’ému: "Et dans l’avion elle continuait de bosser ses maths pour passer le bac je crois. Rien qu’en passant cinq minutes avec elle je voyais dans son regard la détermination et le fait que c’était une bosseuse qui ne lâche rien. Là c’était l’occasion d’être un peu plus décontractée avec moi dans l’avion, eh bah non elle travaillait et derrière elle a aussi travaillé sur le bateau."
Déjà un joli palmarès et des records
Dès l’adolescence, Violette Dorange veut relever de beaux défis, et après une quatrième place aux championnats d’Europe en Optimist acquise en 2015, elle boucle sa première prouesse en mer l’année suivante. A seulement 15 ans, en 2016, elle devient la première femme à traverser La Manche en Optimist en près de 15 heures. En 2017, pour son deuxième projet d’envergure, elle s’attaque avec succès à la traversée du détroit de Gibraltar en Optimist. Une performance insuffisante pour la rassasier et qui lui sert de déclic.
"Cela n’a été que cinq heures de navigation et le projet a été très compliqué à organiser au nveau météo ou logistique. Mais derrière, la traversée était hyper facile. En partant, au départ, je voyais déjà l’arrivée de l’autre côté", se souvient encore Violette Dorange avant son premier tour du monde. "Là je n’ai pas du tout eu le sentiment de large. Et je me souviens que le soir je me suis dit qu’il fallait repartir dans l’autre sens ou le faire de nuit parce là ce n’était pas du tout assez l’aventure à mon goût. Ce soir-là j’ai pris la décision de me lancer dans des projets de course au large après le lycée plutôt que dans des projets olympiques."
Si elle a eu la possibilité de se lancer dans la voile olympique, Violette Dorange a donc opté pour la course au large. Non sans s’offrir quelques beaux résultats en 420 chez les juniors avec Camille Orion. Ensemble les deux jeunes femmes vont décrocher une médaille européenne (le bronze en 2017) et grimper sur trois podiums mondiaux en 420 (deuxièmes en 2017 et troisièmes en 2016 et 2018).
La transition sur la course au large se passe sans trop de problème pour la navigatrice qui devient la plus jeune femme de la Mini Transat en y participant à 18 ans en 2019. Malgré sa seizième place finale, Violette Dorange valide son choix de lâcher la voile olympique. Rebelote l’année d’après quand elle devient la plus jeune femme à participer à la Solitaire du Figaro (30e en 2020). Depuis, chacune de ses deux autres participations à cette prestigieuse épreuve lui ont permis de progresser et de se rapprocher des tous meilleurs (19e en 2021 et 10e en 2022).

Un projet "DeVenir" tout sauf facile à mettre en place
Après quelques courses au large pour emmagasiner de l’expérience, Violette Dorange décide se partir à l’assaut du Vendée Globe. Et ce premier départ dimanche depuis les Sables-d’Olonne vient récompenser plusieurs années à se démener pour donner vie à cette ambition. Sur la course, elle portera fièrement les couleurs de la Fondation Apprentis d’Auteuil qui vient en aide aux jeunes en difficulté et sera soutenue dans son projet sportif par un collectif de partenaires.
"A la fin de ma première Solitaire du Figaro en 2020, j’ai senti que la fenêtre de tir était bonne et qu’il pouvait y avoir une opportunité"¸ détaille encore le skipper sur le site du Vendée. "C’est vraiment à partir de là que je me suis lancée dans le défi de le faire, et comme je n’aime pas abandonner un défi, j’en suis là aujourd’hui."
Avant de poursuivre sur les difficultés pour trouver des financements et travailler sur son bateau: "Ça a été un long parcours effectivement! Ça fait quatre ans qu’on cherche des partenaires. Il faut imaginer qu’en janvier, il nous manquait encore plus de la moitié du budget. On a lancé des appels sur les réseaux sociaux, on est allés rencontrer quasiment tous les franchisés Mcdonald's de France, j’ai d’autres partenaires aussi, deux mécènes, ça a demandé énormément d’énergie mais ça nous a permis de rallier de plus en plus de gens dans l’aventure, et de valider ma participation, même si on est encore très juste et qu’il a fallu toujours trouver des solutions avec cette contrainte financière."
Des mentors de renom pour préparer le Vendée Globe
Heureusement, dans sa découverte du Vendée Globe Violette Dorange peut compter sur les conseils de plusieurs marins expérimentés. Si elle contacte d’abord l’ami de la famille, Jean-Pierre Dick, pour l’aider à mener à bien le projet "DeVenir", le skipper décline la proposition.
"Je ne me sentais pas de monter un projet Vendée Globe parce que ça ne correspondait pas à mes aspirations de cette période. Je lui ai dit: 'Violette tu es gentille mais là, à ce moment-là, ce n’est pas possible pour moi de t’aider'. C’était honnête de ma part vis-à-vis d’elle aussi de lui dire ça plutôt que de faire quelque chose en demi-teinte", justifie le proche des Dorange. "Le projet Vendée Globe ne permet pas l’approximation, il faut être à 100% et motivé comme jamais. C’était difficile de me remotiver vers un projet comme ça. Quelque part il y a eu une intention initiale que j’ai dû déclinée. […] Et puis voilà, elle a roulé sa bosse pendant trois ans et pas toujours dans des conditions simples avec la recherche de sponsors et plein d’autres difficultés liées à ce projet. Elle y est arrivée à la force du poignet et il faut souligner aussi l’extraordinaire détermination de son papa et de sa maman qui pour leurs trois enfants les ont accompagnés plus que pour leur sort personnel."
Pas découragée par ce premier refus, Violette Dorange se tourne alors vers Jean Le Cam, véritable légende de la voile tricolore et connu du grand public pour son spectaculaire sauvetage de Kevin Escoffier lors du Vendée Globe 2020. Et cette fois ça fait mouche. Au-delà de lui confier son ancien bateau "Hubert", seulement de cinq ans plus jeune que la navigatrice qui le barrera cette année, le Breton lui prodigue volontiers des conseils avant de se transformer en concurrent pour la course autour du globe.
"Jean il est toujours là pour m’aider et m’accompagner, dès que j’ai une question technique je n’hésite pas à lui demander, il connaît tellement bien son bateau, c’est facile pour lui", lance avec gratitude la jeune femme auprès des médias du Vendée Globe. "Et puis, peut-être qu’il ne s’en rend pas complètement compte, mais il m’aide aussi beaucoup mentalement, dès que je le vois j’ai l’impression de grappiller des phrases qui vont m’aider pendant ma course."
Epaulée aussi par Damien Guillou, la jeune femme va réussir à apprivoiser son IMOCA de presque 20m de long. Vite acclimatée à son nouveau jouet, Violette Dorange va même s’illustrer en 2023 sur les 48 Heures du Défi Azimut avec la 13e place puis sur la Transat Jacques-Vabre avec la 21e place, à chaque fois en duo avec Damien Guillou.
"Quand on m’a proposé d’accompagner, de travailler et de naviguer avec Violette, j’ai tout de suite été intéressé. C’est un projet où le niveau de challenge est très élevé: Violette est jeune, elle a fait ses armes très tôt, en Optimist, en dériveur, en Mini 6,50 et en Figaro Bénéteau 3… Elle a su montrer sa motivation, elle a fait parler d’elle et surtout elle a mis en place un projet permettant à la fois d’obtenir et de faire fonctionner un IMOCA. Autant dire que je n’ai pas mis longtemps à signer jusqu’au Vendée Globe", salue avec enthousiasme Damien Guillou dès août 2023 avant de participer à la Transat Jacques-Vabre. "[…] L’idée est de faire en sorte d’être le plus raccord possible pour l’accompagner jusqu’au Vendée Globe, avec toute l’expérience que j’ai en IMOCA."
Quels objectifs pour son premier Vendée Globe?
Aussi prête que possible pour son participer à son premier Vendée Globe, celle qui va battre le record de précocité du Suisse Alan Roura (23 ans, 8 mois et 11 jours au moment du départ en 2016) pour un peu moins de deux mois va bientôt connaître la plus grosse épreuve de sa déjà riche carrière. Violette Dorange voulait de l’aventure en se lançant dans les courses au large, elle va être servie pour son premier Vendée Globe. Mais avec quels objectifs?
Pour Jean-Pierre Dick, le plus dur pour la jeune femme sera "d’accepter le mode dégradé"en mer. Entre conditions météo pas favorables et soucis techniques, tout peut arriver une fois en mer. Et Violette Dorange, malgré les avancées technologiques pour communiquer, sera seule au milieu de nulle part pour y faire face.
"J’ai essayé, et c’est peut-être mon apport sur ce Vendée Globe, de parler de ça avec elle", insiste encore pour RMC Sport le marin aux quatre participations sur la mythique course. "Lui expliquer ce qu’il va se passer quand il y avoir des problèmes. Moi c’était ma plus grande surprise sur mon premier Vendée Globe. […] C’est comment faire, psychologiquement, comment se préparer à ne pas forcément être sur les trajectoires les plus rapides, se préparer au mode dégradé. Ça va être le plus dur. Il y a des moments où il y a de grosses avaries, des gros pépins et il faut savoir se resituer sur la route ou comment ne pas se décourager et ne pas faire machine arrière immédiatement. Je suis persuadé qu’elle va être tenace et ne va pas lâcher le morceau."
Pour ce qui est de l’aspect purement sportif, difficile d’imaginer Violette Dorange partir avec l’idée qu’elle se trouvera en concurrence avec les Yannick Bestaven (Maître CoQ), Jérémie Beyou (Charal), Charlie Dalin (Macif) ou encore Thomas Ruyant (Vulnerable) pour ne citer qu’eux. Compliqué aussi de la voir battre le record féminin de vitesse appartenant à Clarisse Crémer depuis la précédente édition en février 2021. Mais parmi les objectifs appartenant clairement au domaine du possible, Violette Dorange pourrait lutter pour finir à la première place des bateaux à dérive (par distinction avec les IMOCA munis de foils et donc par nature plus rapides).
"Le fait qui pourrait être envisageable au niveau sportif, c’est déjà de terminer premier des bateaux à dérive. C’est ça qui est intéressant d’abord, ça reste une compétition et il a y a des concurrents sérieux. C’est un classement dans le classement"¸ ambitionne même Jean-Pierre Dick pour la fille de son ami Arnaud. "Après, effectivement il y a l’idée de battre un record mais ce n’est pas forcément le but de cette course. Ce n’est pas tant battre de records que battre des concurrents."
Violette Dorange, elle, fait preuve d’une belle humilité au moment de fixer l’objectif de ce premier Vendée Globe: "Terminer et être la plus heureuse possible en mer."