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"Il n’y a que moi et mes vélos", l'odyssée solitaire de Red Walters, coureur de la Grenade sans aucun staff au départ des Mondiaux

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Seul représentant de son pays, l'île de la Grenade, Red Walters (28 ans) se débrouille tout seul, sans staff ni aide financière, pour participer aux championnats du monde de cyclisme à Kigali (Rwanda) où son histoire lui vaut une petite notoriété.

Red Walters (28 ans) est un homme très déterminé. Ce modeste coureur en continental 2 (l'équivalent de la 4e division mondiale) découvre avec les yeux écarquillés le gratin du cyclisme depuis une semaine aux championnats du monde de Kigali (Rwanda).

Une expérience presque irréelle qui a bien failli ne jamais avoir lieu. Car à deux jours du départ du contre-la-montre samedi dernier, Red Walters n'avait toujours validé sa présence, la faute à une course d’un autre genre: administrative.

Financements, réunion des managers... il s'occupe de tout

La raison: Red Walters représente la Grenade, petite île volcanique des Caraïbes de 90.000 habitants. Un petit État indépendant depuis 1974 après avoir été occupé par l’Angleterre et la France qui n’a pas vraiment son rond de serviette à la table du gotha mondial du cyclisme. Alors Walters s’est débrouillé seul (ou presque) pour s’y inviter. Et c’est encore seul qu’il a rejoint le Rwanda.

"On a eu la chance d'obtenir une wild card, je pense qu'il y en a plus cette année parce que beaucoup d'équipes n'ont pas amené l'effectif complet", explique-t-il à RMC Sport. "On a découvert qu'on avait la place début septembre. Nous avons fait une demande de financement auprès du Comité olympique mais le dossier n'a pas été traité assez rapidement."

Ce premier échec ne l’a pas découragé. "Deux jours avant mon départ, j'ai décidé que je voulais toujours venir, même sans financement", explique-t-il. "J'ai donc eu l'aide d'amis et j'ai réussi à financer les vols et tout le reste moi-même. Le président de la Fédération cycliste devait m'accompagner, mais il n'y a finalement que moi."

3000 abonnés gagnés sur les réseaux sociaux, l'une de ses sources de revenus

Une solitude qui le contraint à s’occuper de tout: la préparation de sa nourriture, de ses vélos, les vérifications officielles, les inscriptions, les réunions de managers. Le tout en parallèle de ses reconnaissances sur le circuit avec le système D brandi en étendard. Il a ainsi pu se faire prêter une cassette (bloc de pignons fixé sur la roue arrière du vélo, NDLR) après avoir constaté que son développement était trop gros dans la terrible côte pavée de Kimihurura.

Le coureur a documenté tout cela sur Instagram, où il se montre très actif en parallèle de sa carrière de cycliste professionnel. "Les réseaux socaux sont aussi un élément important pour moi", explique-t-il. "Cela m’aide, avec mes sponsors Van Rysel et 360, à financer ma saison."

Après sa 32e place honorable (sur 54) à dix minutes de Remco Evenepoel lors du contre-la-montre, il est désormais bien décidé à montrer le maillot sur la course en ligne de près de 270km - "le parcours le plus dur que j'aie jamais vu" – pour faire gonfler sa petite notoriété acquise en ligne ces derniers jours. "J'ai posté des articles sur le contre-la-montre et j'ai déjà gagné environ 3000 abonnés. Je disais à ma sœur que si je prenais l'échappée dimanche, j'aurais probablement 5000 abonnés de plus", prédit-il.

Né et élevé en Angleterre mais sous les couleurs de la Grenade depuis 2021

Il sera aussi suivi sur l’île de la Grenade, à fond derrière lui. "J'ai reçu tellement de messages gentils et affectueux de tous mes amis et de ma famille là-bas, le soutien est très fort", savoure-t-il, plus que jamais conforté dans sa décision d’avoir opté pour ce nouveau drapeau il y a quatre ans.

Né à Londres d’un père anglais et d’une mère grenadienne, il a choisi la nationalité sportive de ses origines maternelles en 2021 après avoir couru pour l'Angleterre. "Évidemment, représenter la Grenade offre plus d'opportunités, mais je me sens aussi plus attaché à mon identité et à tout ce qui touche à la Grenade. Je pense que je suis beaucoup plus fier de représenter la Grenade et c'est agréable de pouvoir concourir en tant que premier cycliste grenadien à ce niveau", se justifie-t-il.

Malgré son nouveau passeport, Red Walters est resté vivre en Angleterre "principalement parce que les courses se déroulent presque toutes en Europe". "Pour voyager, c’est plus logique, et ma famille vit au Royaume-Uni", ajoute-t-il. C’est de là que ses proches suivent son aventure en Afrique.

"Oui, je suis complètement seul", sourit-il. "Il n’y a que moi dans une chambre d’hôtel avec mes vélos."

"Plein gaz à 100%!", il veut attaquer d'entrée sur la course en ligne

Il bénéficie tout de même des conseils de son coach à distance. Le même qui l’aiguille le reste de l’année sous les couleurs de l’équipe portugaise Obidos et parfois de MyPad Racing, formation qui permet aux coureurs britanniques de s’inscrire sur des épreuves sans engagement. Dans l’anonymat des niveaux inférieurs, Red Walters compte une victoire d’étape sur le Tour de Bulgarie en 2023 en plus de ses titres de champion national (quatre en contre-la-montre, quatre en ligne) qu’il a systématiquement remportés depuis son changement de nationalité.

Dimanche, le cycliste portera fièrement les couleurs de son pays et le dossard 154. "Mon objectif, c'est l'échappée", conclut-il. "Si j'arrive à la prendre dès le départ et à faire quelques tours à l'avant, ce serait bien. Je pense que c'est ma seule option, plein gaz à 100% dès le départ! Ce serait bien de dire: ‘je peux essayer de rester dans le peloton et survivre le plus longtemps possible’, mais en réalité, si l'un des grimpeurs du World Tour attaque, ce sera la fin de la journée pour moi." Et d’une parenthèse solitaire hors du temps.

Nicolas Couet Journaliste RMC Sport