Tour de France: "C’est plié", Pogacar a-t-il tué définitivement le suspense avec sa démonstration dans les Pyrénées?

Il ne manquait plus qu’une bouteille de champagne. Et une tournée générale pour célébrer le coup de maître réussi par leur champion. Il n’y avait qu’à voir l’effervescence au pied du bus UAE Emirates, ce samedi, à l’arrivée de la 14e étape du Tour, pour mesurer la performance maousse accomplie par Tadej Pogacar à l’issue du premier gros morceau pyrénéen. Avec son succès en patron au sommet du Pla d'Adet, la conclusion royale d’une stratégie d’équipe parfaitement huilée, l’ogre slovène a fait un pas de plus vers un troisième sacre sur la plus belle course du monde. Après son uppercut reçu mercredi au Lioran, marqué par son improbable défaillance dans le col de Pertus, sa drôle de fringale et sa défaite au sprint face à Jonas Vingegaard, tous l’attendaient au tournant. Avec une pluie de questions en tête: avait-il déjà grillé ses cartouches? Serait-il capable de digérer ce revers surtout psychologique? Et son éternel rival aurait-il les armes pour une nouvelle démonstration de force? La réponse a été éclatante.
Dans la foulée d’une mine posée par son sherpa et trouble-fête de génie Adam Yates, à 7km du but, Pogacar s’est envolé deux bornes plus tard sur les pourcentages les plus raides d’un dessert hors catégorie, laissant toute la concurrence dans le rétro. S’il avait réussi à revenir sereinement dans le Massif Central, au point de faire croire à un retour au top de sa forme et à une inversion nette du rapport de force, Vingegaard a cette fois coincé. Il n'a pu que se résoudre à rendre les armes et couper la ligne avec 39 secondes de retard. Le Danois, double vainqueur sortant, pointe désormais à près de deux minutes au général. Et la dynamique n’a plus rien à voir. "Pogacar a assommé le Tour aujourd’hui", assure d’emblée notre consultant Jérôme Coppel, alors qu’il reste encore une semaine avant le final à Nice.
Vingegaard rattrapé par ses limites
"Il a montré qu’il était supérieur et Vingegaard a lui rappelé qu’il était un peu juste dans ces enchaînements de longs cols. Il lui manque un peu de fond quand le rythme est vraiment élevé. Je me demande même s’il va garder sa deuxième place… C’est normal, il n’a pas pu faire autant de volume qu’il aurait voulu avant de prendre le départ à cause de sa lourde chute sur le Tour du Pays basque (mi-avril). Je pense que le Tour est plié, sauf chute. Je ne l’imagine pas reprendre deux minutes. Contrairement aux années précédentes, il n’a pas non plus l’équipe pour le faire. Personne ne peut mettre la pression sur les UAE." Au sein de la formation émiratie, le discours officiel se veut encore prudent. Pas question d’enterrer Vingegaard ni Remco Evenepoel, à l'aise dans son rôle de troisième homme.
"On gagne l'étape et on prend pas mal de temps sur notre rival. C'est incroyable. Cela aurait été encore plus parfait si on avait pris un peu plus de temps... Mais il reste encore beaucoup de temps. Le Tour démarre simplement maintenant, il reste encore beaucoup d'étapes", temporisait Andrej Hauptman, l’un des têtes pensantes de UAE. Le large sourire affiché par Matxin Fernandez, autre directeur sportif de Pogacar, en disait tout de même long sur l’option prise pour la victoire finale. "On a une incroyable équipe, un incroyable Tadej et d’incroyables coéquipiers. On a affiché une mentalité fantastique. Chapeau, je suis super fier de ces gars. Tadej, c'est un tueur. Un autre jour, le meilleur sera peut-être Jonas, mais aujourd'hui c'est Tadej. C'est un jour parfait pour l'équipe", applaudissait l’Espagnol. Avant d’ajouter, tout de même: "On voit jour après jour. Demain est un autre jour."
UAE déjà prêt à remettre ça
Et ce 14 juillet sera tout sauf férié avec une 15e étape terrible ce dimanche qui emmènera les coureurs en haut du Plateau de Beille pour la deuxième journée au cœur des Pyrénées. Cinq ascensions (quatre de première catégorie et une hors catégorie) seront au menu, dont la difficile montée de Peyresourde d'entrée. Le terrain de jeu parfait pour enfoncer pour de bon les frelons de Visma? "On voit depuis le départ que quand Tadej attaque, il gagne toujours quelques secondes. La situation a fait que Jonas a pu revenir mais on savait que Tadej était un peu plus fort. Pas beaucoup, la différence n'est pas énorme. C'est long encore, c'est bien d'avoir cette avance mais il faut rester concentré. On a peut-être pris plus que ce qu'on pensait, c'est un très bon résultat", soulignait Mauro Gianetti, le manager de Pogacar, avant de revenir sur le coup tactique imaginé pour cette journée et exécuté sans trembler par ses hommes.

"Il y avait deux plans. Le premier était de voir à 4 km de l'arrivée si ça se présentait bien. Sinon, si la situation n'était pas propice pour une attaque à 4km ou 4,5km, le but était de faire les 500 derniers mètres pour gagner quelques secondes. Tadej a vu qu'il était bien, c'est pour ça que Yates a attaqué pour servir de point de repère. Tadej a pu sauter sur lui, se refaire une santé sur deux ou trois minutes, récupérer un peu d'énergie et foncer à bloc jusqu'à la fin pour creuser un bon écart. Les directeurs sportifs sont bons mais il faut les jambes qui suivent." Et elles ont parfaitement répondu. La bataille perdue dans le Lioran avait pourtant fait naître l’hypothèse d’un Pogacar loin d’être impérial, trop brouillon dans les moments décisifs et possiblement émoussé par son Giro. Il faut croire qu’il ne s’agissait finalement que d’une faiblesse temporaire chez le prodige de Komenda, vite effacée par son feu d’artifice dans le Pla d'Adet.
"Les illusions de Vingegaard se sont envolées"
"On peut lutter pour un podium et on va essayer de se battre le plus possible pour terminer le plus haut. Mais Pogacar est trop fort", résumait simplement Evenepoel au micro de France 2. Du côté des Visma, la gueule de bois n’était pas loin. "Nous espérions bien sûr un résultat différent, mais aujourd'hui Pogacar était à un autre niveau", reconnaissait Grischa Niermann, directeur sportif de l’équipe néerlandaise. "Il était meilleur que Jonas et on a perdu beaucoup de temps, nous devons l'accepter. Maintenant, nous devons récupérer du temps quelque part, au moins essayer de le faire. Pogacar a peut-être été meilleur que ce que nous pensions, mais bien sûr nous espérions que Jonas puisse suivre Tadej, et c'était impossible aujourd'hui."
Matteo Jorgenson, seul soldat de Vingegaard capable de l’épauler sur ce Tour, se disait toutefois prêt à repartir à la bagarre : "C'était une belle stratégie de la part des UAE avec l'attaque de Yates puis la jonction de Tadej. C’était bien fait. Mais Jonas ne doit pas être déçu, il a fait son effort. On a fait la journée comme prévu donc je ne pense pas que ce soit une grosse déception. Ça ne change rien, je crois en lui. On a déjà des plans pour la dernière semaine." Vraiment? "Mentalement, il y a un risque qu'il pète dans la tête", estime plutôt Coppel. "Vingegaard est arrivé sur le Tour sans certitude. Puis il a vu qu'il n'était pas si mal que ça et a sans doute pensé que Pogacar n'était pas au mieux. Mais aujourd'hui, ses illusions se sont envolées."