Tour de France: le contre-la-montre va-t-il permettre de dégager un patron entre Vingegaard et Pogacar ?

Tadej Pogacar aime décidément beaucoup les journées de repos sur le Tour de France. Et réciproquement. Il y a une semaine, il s’amusait à poster une vidéo le montrant dans les rues de Clermont-Ferrand, seul au monde sur sa machine, en train de croquer à pleines dents… dans une baguette. Le tout sur un fond musical improbable, le fameux "Ça plane pour moi" de Plastic Bertrand.
Lundi, il s’est cette fois mis en tête de ruiner l’atelier sieste de ses équipiers d’UAE en enchaînant bombes et saltos dans la piscine de leur hôtel. Une décontraction qui colle bien au caractère du Slovène, toujours prêt à amuser la galerie et pas du genre à se mettre une pression inutile. Encore moins à l’heure d’attaquer l’une des semaines les plus importantes de sa carrière.
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Un chrono court et exigeant
Carnassier jamais rassasié, cannibale en quête d’un trône à reconquérir, "Pogi" se sent à l’aise dans le costume du chasseur. Même s’il se verrait bien devenir le chassé en frappant un grand coup dans sa bataille avec Jonas Vingegaard, ce mardi, à l’occasion de l’unique contre-la-montre de la 110e édition. Seules dix petites secondes séparent le champion sortant danois et son rival slovène avant de se frotter à ce parcours aussi court (22,4 km) qu'exigeant imaginé en Haute-Savoie entre Passy et Combloux. Le profil de cette 16e étape, avec la terrible côte de Domancy (2,5 km à 9,4%) au menu, permettra-t-il à l’un des deux frères siamois, incapables de se départager en montagne, de se positionner comme le principal favori ?
Domancy fait remonter à nos esprits de délicieux souvenirs car c’est ici qu’un certain Bernard Hinault est devenu champion du monde en 1980 après avoir broyé le peloton. Quarante-trois ans plus tard, les amoureux de vélo rêvent d’un nouvel instant de légende. "On peut imaginer plein de scénarios, mais ce qui est sûr, c’est qu’on va tous se tromper, sourit notre consultant, Cyrille Guimard. Personne ne peut savoir ce qui va se passer sur ces 22 kilomètres. On est sur un Tour historique et le bras de fer est loin d'être terminé. Sur ce chrono, il y aura un premier révélateur d’entrée avec la Côte de la Cascade de Cœur (située juste après le départ et non répertoriée au classement de la montagne). Il faudra déjà être dans une gestion la plus fine possible. Je pense qu’au final l’écart sera de moins de vingt secondes sur ce contre-la-montre si Vingegaard et Pogacar sont tous les deux à leur niveau."
Sur le papier, ce contre-la-montre disputé sur des routes sans piège apparent semble convenir aux deux ogres. "Tout est possible sur le Tour après une journée de repos. Ce que l’on sait, c’est que ce parcours n’est pas technique, il faudra juste être fort et avoir bien récupéré des deux premières semaines", souligne Cédric Vasseur, manager de la formation Cofidis, alors que Marc Madiot, de Groupama-FDJ, donne un court avantage à l’actuel leader du classement général. "On est sur quelque chose d’extrêmement serré et je ne serais pas surpris que Vingegaard soit devant, dit-il. Ce chrono va avoir une importance en termes de temps mais aussi sur le plan psychologique. Le résultat va forcément influencer le comportement des deux équipes. Ce sera un tournant."
Le pied de la Côte de Domancy, le point clé
Jérôme Coppel, champion de France du contre-la-montre en 2015 et médaillé de bronze aux Mondiaux la même année, estime, lui, "que les bosses conviennent mieux à Pogacar". "Mais la dernière partie, du haut de Domancy jusqu’à Combloux, peut permettre à Vingegaard d’être plus à son avantage", précise l’ancien spécialiste de l’effort solitaire, aujourd’hui consultant pour RMC. "Ce sera un chrono compliqué au niveau de la gestion des efforts parce que les coureurs vont vite se retrouver dans la Côte de la Cascade de Cœur. On en parle peu mais c’est un peu plus d’un kilomètre à 9% de moyenne avec un passage à 13%. Il faudra bien la gérer, faire le forcing sur quatre ou cinq minutes, avant de plonger sur un long faux plat descendant pour aller chercher la Côte de Domancy. Pour moi, la clé ne se situe pas là mais juste après. Une fois arrivé au sommet, ça continue de monter jusqu’à Combloux. L’erreur, ce serait de tout donner jusqu’au sommet de la Côte de Domancy et se dire que c’est fini", développe Coppel.
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Il est en convaincu, "le point stratégique de ce chrono, c’est le pied de la Côte de Domancy". "Les coureurs arriveront d’une partie ultra roulante en emmenant un gros braquet et d’un seul coup ils se retrouveront dans cette bosse qui est très raide dès le début, poursuit le Haut-Savoyard. Il faudra changer les rapports, mettre des vitesses plus faciles et trouver son rythme pour bien passer cette Côte de Domancy et être capable ensuite de relancer jusqu’à Combloux. Beaucoup de coureurs vont sans doute faire l’erreur de partir trop vite au pied. Même si elle est courte, la Côte de Domancy ne pardonne pas. Si tu pars trop vite dès le premier kilomètre, tu coinces forcément avant le sommet et encore plus pour finir jusqu’à Combloux."
Changer de vélo, oui ou non ?
Le tracé, alternant montées et parties plates ou en légère descente, pose une équation complexe : faudra-t-il changer de vélo ou non ? "Certains coureurs changeront de vélo au pied de la Côte de Domancy, selon Coppel. Ils préféreront perdre 20-30 secondes pour potentiellement récupérer ensuite une minute avec un vélo de route. Ce sont des calculs à faire. Mais à mon avis, ceux qui voudront jouer la victoire d’étape, comme les leaders du général, feront tout avec un vélo de chrono. Changer de vélo, ça coupe dans son élan même si on sait que les vélos de chrono sont souvent plus lourds. Tout doit être optimisé aujourd’hui dans le rapport poids-puissance et certaines équipes auront un vélo spécial, un peu plus léger."
"En 2016, il y avait eu sur le Tour un chrono un peu similaire de 17 km entre Sallanches et Megève, avec déjà la Côte de Domancy, rappelle-t-il. Chris Froome avait gagné en faisant tout le parcours avec un vélo de chrono. Mais il n’y avait que trois kilomètres de plat, le reste n’était que de la montée ou de la descente hyper technique. Ce n’est pas tout à fait pareil aujourd’hui. Je pense qu’un coureur qui veut gagner l’étape ou reprendre du temps au général ne doit pas changer de vélo sur ce contre-la-montre." Honneur réservé au maillot jaune, Vingegaard s'élancera en dernier, à 17h pile, juste après Pogacar, pour environ 36 minutes d'efforts intenses. Evidemment, ces deux-là ont répété ces derniers jours leur adoration pour le parcours.
"J'aime bien les chronos courts comme ça, c'est souvent difficile de trouver son rythme et moi j'aime bien quand il y a beaucoup de changements de rythme", a martelé le chef de file des Jumbo-Visma alors que son dauphin, qui avait renversé Primoz Roglic lors du chrono de la Planche-des-Belles-Filles en 2020 pour s'emparer du jaune, a promis des "des écarts" ce mardi. Sans faire abstraction de la suite du programme : "A coup sûr ou presque, les étapes du col de la Loze mercredi et du Markstein samedi seront également sans merci. Elles décideront du Tour. A regarder le profil, la 17e étape parait la plus terrible mais le scénario de course de la 20e étape influera. Ce sera peut-être la plus dure du Tour. Si ça reste serré et qu'il y a des écarts à renverser, beaucoup de choses pourront se passer." En attendant, Vingegaard et Pogacar se sont affrontés à huit reprises sur un chrono individuel depuis leur premier duel dans l'exercice en 2019 sur le Tour du Pays basque. Et à ce petit jeu... c'est le Slovène qui mène 5-3.