Coupe du monde: pourquoi les matchs pour la 3e place valent toujours le coup d'oeil

Hakan Sukur contre la Corée du Sud, au Mondial 2002. - AFP
Pour certains, c’est une rencontre honorifique vécue comme un long chemin de croix, parfois même comme une humiliation collective. "C’est d’une stupidité totale, la dernière chose voulue par un joueur", expliquait Alan Shearer, meilleur buteur de l’histoire de la Premier League et ex-international anglais. "Ce match ne devrait jamais être joué », assurait pour sa part l’ancien sélectionneur néerlandais Louis van Gaal. Pour d’autres, à l’instar de l’iconique Croate Davor Suker en 1998, c’était l’occasion de donner de la fierté à tout un peuple et de finir "devant certaines des meilleures nations du monde". Le fameux match pour la troisième place en Coupe du monde mêle encore, année après année, un maelström de sentiments contradictoires auprès des acteurs qui y prennent part. Reste que cette exhibition sans enjeu majeur qui précède la prestigieuse finale réserve souvent son lot de surprises et de morceaux d’histoire. Florilège.
Just Fontaine dans la légende
La Suède demeure à jamais la terre de ses exploits. Ullevi, à Göteborg, son terrain de jeu historique. En 1958, lors du Mondial organisé au pays scandinave, Just Fontaine entre dans la légende en devenant encore à ce jour le buteur le plus prolifique d’une Coupe du monde sur une phase. Après avoir échoué aux portes de la finale face au Brésil de Pelé (5-2), la France retrouve pour la "consolante" l’Allemagne de l’Ouest, tombée elle contre la nation hôte (1-3). Devant 33.000 spectateurs, Fontaine effectue un véritable récital en inscrivant un quadruplé lui permettant d’atteindre un total de treize buts en six matchs dans la compétition et d’offrir à la troupe de Raymond Kopa une victoire probante (3-6). Une performance inégalée qui installe le mythique attaquant rémois comme le quatrième meilleur buteur de tous les temps en Coupe du monde derrière Gerd Müller (14), Ronaldo (15) et Klose (16).
Le bijou de Nelinho
Sa frappe pure, caressée de l’extérieur du pied droit, a traversé les âges sans jamais lasser. Lors du Mondial 1978, Nelinho se plaît à suspendre le temps d’un but somptueux contre l’Italie. Excentré à droite, le Brésilien lance les hostilités de ce match pour la troisième place d’une frappe lointaine venue se loger dans le petit filet opposé de Dino Zoff. Un chef-d’œuvre qui permettra à la Seleção de répondre à l’ouverture du score transalpine de Causio puis de se libérer avec la réalisation victorieuse de Dirceu (72e). Un but pour l’histoire, mais une troisième place tout de même mal acceptée dans un contexte délicat. Et pour cause, sur les terres argentines alors en pleine dictature militaire orchestrée par le général Videla, la sélection auriverde a crié à l’injustice après que l’Albiceleste a accédé à la finale à sa place. La faute à un dernier match décisif du groupe B contre le Pérou (6-0) dont l’horaire a été décalé en soirée, bien plus tard que celui du Brésil face à la Pologne (3-1) permettant aux partenaires de Mario Kempes d’inscrire le nombre de buts nécessaires et de se qualifier grâce à une meilleure différence de buts... Une blessure jamais véritablement cicatrisée.
Hakan Sükür, l’homme qui dégaine plus vite que son ombre
Considéré comme le meilleur joueur de la Turquie sur les cinq dernières décennies, Hakan Sükür est l’homme qui a dressé le drapeau au croissant de lune blanc et à l’étoile à cinq branches à des hauteurs insoupçonnées. En 2002, la légende vénérée de Galatasaray guide les siens lors d’un parcours majestueux jusqu’en demi-finales face au futur lauréat brésilien, après avoir écarté le Japon et le Sénégal. Pour la rencontre de la troisième place, la Turquie retrouve l’autre surprise de la compétition, la Corée du Sud de Guus Hiddink. Un match remporté par les Turcs (3-2) où Hakan Sükür douche d’entrée les supporters du pays hôte dans les tribunes du Daegu World Cup Stadium en marquant au bout de seulement… 10,8 secondes de jeu ! Soit le but le plus rapide jamais inscrit dans l’histoire de la Coupe du monde. Quarante ans après, le "Taureau du Bosphore" détrône ainsi l’attaquant tchèque Vaclav Masek qui avait eu besoin de quatre supplémentaires en 1962. Seize ans se sont depuis écoulés depuis le fait d’armes de Hakan Sükür. Et nul doute que son règne devrait être aussi long que celui de son prédécesseur.
Yachine-Eusebio, duel de géants
Deux astres. Deux idoles éternelles. Deux guides. Quand l’URSS et le Portugais croisent le fer sur le sol anglais, le 28 juillet 1966, l’écrin de Wembley garni de 88.000 spectateurs n’a d'yeux que pour Lev Yachine et Eusebio. Respectivement Ballon d’Or 1963 et Ballon d’Or 1965, le gardien soviétique et l’attaquant portugais sont les deux ayant hissé leur nation jusqu’en demi-finales. Une première dans l’histoire des deux pays désormais transcendés par des générations de joueurs éminemment talentueux. Battue par l’Allemagne de l’Ouest et sa révélation Beckenbauer, l’URSS entend finir en beauté son tournoi face à des Lusitaniens terrassés aux portes de la finale par les "Three Lions" de Bobby Charlton. Et alors qu’on s’attend à un match fastidieux en raison de la fatigue accumulée par les deux équipes (quatrième match en huit jours), les débats tiennent finalement toutes leurs promesses. Eusebio ouvre la marque sur penalty – meilleur scoreur de la compétition avec 9 buts –, avant que Malofeev n’égalise. Il faut un immense Yachine, auteur de nombreux arrêts, pour retarder l’inévitable avec Torres en fin de match. Symbole de cette rencontre à part, Yachine et Eusebio quitteront Wembley bras dessus, bras dessous. Comme des seigneurs d’une autre époque.
Butt, l’Allemand chanceux
Dans la mémoire collective allemande, Hans-Jörg Butt reste ce gardien spécialiste des tirs de penalty avec vingt-six buts inscrits au cours de sa carrière en Bundesliga. Une singularité qui lui a valu, un jour, d’essuyer les quolibets après avoir encaissé un but dès l’engagement avec le Bayer Leverkusen contre Schalke alors qu’il venait tout juste de donner l’avantage aux siens et qu’il regagnait ses cages. Mais l’histoire du portier passé par Benfica et le Bayern Munich ne se résume pas qu’à ça. Lors du Mondial 2010 en Afrique du Sud, Butt profite du forfait d’Adler afin d’endosser le rôle de doublure de l’insubmersible Manuel Neuer. Dans l’ombre du géant, il assiste au parcours de l’Allemagne jusqu’en demi-finales contre l’Espagne. Et alors que la Mannschaft s’attend à une bataille prestigieuse face à l’Uruguay pour la troisième place, le sélectionneur Joachim Löw lui offre la chance de revêtir la tunique de son pays pour la première et unique fois en Coupe du monde. Un privilège pour Butt qui, du haut de ses trente-six ans, n’avait jusqu’ici honoré que trois sélections en matchs amicaux. Et qu’importe si le gardien cède à deux reprises devant Cavani et Forlan lors de la victoire allemande (2-3). Le souvenir restera indélébile, la fierté éternelle.