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Liga: Griezmann en difficulté... dur, dur d'être une recrue au Barça

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Depuis le début de la saison, Antoine Griezmann se bat pour s'intégrer et peser dans le jeu du Barça, avec plus ou moins de succès. Il faut dire que la chose n'est pas aisée: ces dernières années, presque toutes les recrues offensives catalanes se sont retrouvées en situation d'échec, incapables de s'adapter à un système précis, ou de se faire accepter par un certain Messi.

Il y a les statistiques, loin d’être alarmantes, avec quatre buts et trois passes décisives depuis le début de la saison. Et puis il y a cette impression, visuelle, d’un joueur pas encore à sa place, pas encore à son aise. Transféré cet été pour la coquette somme de 120 millions d’euros (hors rallonge secrète), Antoine Griezmann tente, match après match, de retrouver ses standards de l’Atlético, et de devenir un leader offensif du Barça. Mais le chemin est long – le match à Prague mercredi dernier l’a rappelé – et le passé pas très rassurant: depuis l’arrivée de Luis Suarez à l’été 2014, aucune recrue offensive majeure ne s’est véritablement imposée en Catalogne.

Acheté 34 millions d’euros à l’été 2015, Arda Turan n’aura fait que 55 petites apparitions avant d’être exfiltré vers Istanbul Basaksehir en janvier 2018, sans jamais convaincre. Ou sans jamais avoir eu le temps de convaincre. En 2016, c’est sur Paco Alcacer que le Barça a mis 30 millions d’euros. Deux ans et 50 matches plus tard, il partait déjà à Dortmund. Janvier 2018: Coutinho arrive au Barça pour 145 millions d’euros. Août 2019: le Brésilien part se relancer au Bayern, en prêt. On peut aussi évoquer le cas Malcom, acheté 41 millions d’euros en juillet 2018, revendu tout juste un an plus tard en Russie, après 24 petits matches. Quant à Ousmane Dembélé, s’il est toujours barcelonais, on ne peut pas dire que le parcours du Français depuis son mirobolant transfert à l’été 2017 (125 millions) ait été un long fleuve tranquille… Et on ne peut pas dire, non plus, que tous ces exemples relèvent de la coïncidence. Si chaque cas a ses spécificités, à l’image du repos forcé de Turan pendant les six premiers mois, tous illustrent bien un vrai problème: la condition de recrue au Barça, particulièrement en attaque, est délicate.

Messi, à la fois problème et solution

Comment expliquer cela? Le premier obstacle pour tout arrivant au sein du club blaugrana ne mesure que 1,70m, mais il est incontournable, puisqu’il s’agit évidemment de Lionel Messi. Sur le quintuple Ballon d’or argentin, tout a été écrit ou presque: qu’il a droit de vie ou de mort sur ses coachs, qu’il est responsable de l’échec Coutinho, qu’il ne voulait pas de Griezmann… La vérité est sans doute plus nuancée, mais ce n’est pas non plus une légende: pour s’intégrer au Barça, il faut se faire accepter par le patron.

Et ce n’est pas simple. Parce que le joueur Messi est exigeant et ambitieux, donc mieux vaut lui être utile, et parce que l’homme est introverti, difficile à approcher. Par le passé, de nombreux joueurs ont ainsi vu leur expérience barcelonaise perturbée par leur relation – ou leur non-relation – avec la Pulga. L’un des plus connus est Zlatan Ibrahimovic, qui n’avait pas hésité à régler quelques comptes dans son autobiographie en 2011. "Messi a commencé à demander à jouer à un autre poste sur le terrain et Guardiola a préféré le contenter lui", lâchait alors le Suédois. Mais cela n’a pas concerné que des recrues, puisque même des joueurs du cru ont pu être des victimes collatérales de l’homme aux 600 buts, à l’image de Marc Bartra, ou de Cristian Tello, à qui Messi lançait régulièrement "Tu n’es personne", selon un article d’El Confidencial publié en 2013. Finalement, seul Suarez a réussi dernièrement à pénétrer l’intimité de l’Argentin. Neymar aussi y était parvenu, mais a tout de même quitté le Barça pour le PSG afin de prendre une autre dimension. Comme si quelqu’un l’en empêchait au Camp Nou… 

Dans une interview accordée à Sport en septembre, l’Argentin avait évoqué cette supposée toute-puissance. En balayant les critiques. "J’y suis habitué, répondait-il. Ce n’est pas la première fois que j’entends ça, et pourtant il a été prouvé à maintes reprises que ce n’est pas vrai. Ça m’arrive aussi en sélection, ils disent que je choisis les joueurs et les entraîneurs, ou que mon père le fait. Mais je n’y accorde aucune importance. Je sais quelle est la réalité, et quel est mon rôle. Je ne commande pas. Je ne suis qu’un joueur de plus, qui veut gagner des titres."

Coutinho
Coutinho © Icon

Une culture spécifique, une vision du foot à part

Mais le Barça reste un ensemble plus complexe que le seul Lionel Messi. En Espagne, le club blaugrana est une institution qui dépasse le cadre du sport. Il se veut la vitrine d’une identité, d’une région. "Quand tu arrives au Nou Camp, tout te semble immense, racontait Emmanuel Petit il y a quelques années. Tu sens le poids historique du club qui est ancré profondément dans la culture catalane. J'ai eu l'impression d'entrer dans un musée, où il fallait faire preuve de recueillement, comme dans un mausolée. L'excitation se mêle à la fierté d'appartenir à une telle institution. C'est un rassemblement autour du sport et du football, mais pas seulement. C'est aussi le cas au niveau identitaire et cela se ressent avec les maillots, les drapeaux catalans. Le Barça a toujours été un club à part." Ce qui fait sa force, mais a aussi des conséquences. "À trop vouloir vivre dans une région qui est très identitaire voire nationaliste, tu as les revers de cette situation, poursuivait l'ancien milieu. J'avais l'impression souvent d'être étouffé et enfermé. Au point d'être de moins en moins ouvert vers l'extérieur. Il n'y avait que le Barça qui existait et en dehors de ce club, rien ne pouvait lui arriver à la cheville."

Le Barça, ses médias spécialisés, et ses socios. Des fans pas toujours très patients avec les nouveaux-venus. Dembélé en a fait les frais à plusieurs reprises, Coutinho aussi, le Brésilien ayant même décidé d’aller au clash avec les supporters après un but contre Manchester United. "Il est très difficile de jouer à Barcelone, reconnaissait Messi lui-même en septembre. C’est le plus grand club au monde, et tout l’environnement autour est compliqué à gérer. Il n'est pas facile d'entrer sur la pelouse du Camp Nou. Beaucoup le ressentent. Lorsque vous êtes fort et confiant, vous parvenez à surmonter cela. Mais nous ne sommes pas tous pareils. Nous n’assumons pas tous ces choses de la même manière."

Un contexte spécifique qui demande une certaine force mentale, donc, mais aussi un football spécifique. Si la chose est un peu moins vraie depuis le départ de Pep Guardiola, le Barça reste un club avec une culture de jeu assez dogmatique, basée sur la possession, et un immuable 4-3-3. Pour un gamin de la Masia, c’est un acquis. Pour une recrue, un peu moins. Alors, gare à celui qui ne possède pas en lui "l’ADN Barça". Sur le plan offensif, le contexte actuel est encore plus restrictif. Suarez évoluant en pointe, et Messi évoluant sur la droite, il ne reste plus qu’un poste à prendre en attaque: sur l’aile gauche. Une aile gauche qu’il ne vaut mieux pas déserter, dans la mesure où Messi se balade déjà librement sur la pelouse, et sur laquelle il est impossible d’avoir les clés du jeu. Pour un joueur technique, un créateur comme Coutinho, c’était logiquement frustrant. Trop, visiblement. Jusqu’à présent, Griezmann ne s’en est pas plaint: le Français baisse la tête, et travaille en silence. C’est sûrement un bon début.

Clément Chaillou