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Manchester United: pourquoi Pogba est cette fois attendu comme le vrai patron

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Eblouissant durant la Coupe du monde remportée par l’équipe de France, Paul Pogba s’apprête à rejoindre ses coéquipiers de Manchester United avec un nouveau statut. Champion du monde mais surtout patron, sur le terrain et dans le vestiaire. Des caractéristiques nouvelles, ou du moins plus affirmées, qu’il va devoir mettre en pratique.

"Paul Pogba doit redevenir le joueur qu’il était à la Juve", estimait Paul Scholes il y a quelques jours, dans un entretien accordé à BeIn Sports. La légende de Manchester United, très critique cette saison sur le niveau affiché par le milieu de terrain français chez les Red Devils, appelait de nouveau le joueur à hausser son niveau de jeu et son implication. "Il a besoin d’utiliser un peu plus son cerveau pour devenir un top joueur. Je pense qu’il a besoin de trouver de la cohérence. Regardez son jeu. Il peut être brillant une semaine, puis pas bon la semaine suivante. Si tu veux gagner le championnat, ce n’est pas suffisant."

Gagner le championnat, l’objectif absolu d’un club mancunien doublé dans la hiérarchie par son rival City, et qui tente de retrouver son prestige fergusonien. C’est pour cela que José Mourinho est arrivé, après les échecs de David Moyes et Louis van Gaal. Et c’est pour cela que le même été 2016, Paul Pogba est devenu (à l’époque) le joueur le plus cher du monde pour 105 millions d’euros, en revenant dans un club qu’il avait quitté avec fracas et libre quatre ans plus tôt, sans avoir goûté à un contrat professionnel.

C’est sur lui que repose ce Manchester en reconquête

"Je pouvais très bien aussi aller au Real Madrid ou à Barcelone, qui étaient intéressés. J’ai choisi de revenir ici parce que je l’avais dans le cœur, assurait-il en janvier 2017 sur les antennes de RMC Sport. J’ai envie de gagner avec Manchester United, je n’ai jamais gagné avec eux."

A l’issue de la saison, conclue sur une deuxième place mais surtout sans que United n’ait semblé en mesure de concurrencer City pour le titre, à l’heure des bilans, Paul Pogba apparaissait plutôt dans la colonne des "peut mieux faire". Comme l’année précédente. Car si tout le monde s’accordait à reconnaître son talent et à dire que le retour des Red Devils au premier plan passerait inévitablement par lui, nombreux étaient ceux qui lui reprochaient son inconstance.

Cinq buts et quatre passes décisives en 30 matchs de Premier League lors de sa première saison, six buts et dix caviars en 27 matchs en 2017-2018: dans les chiffres, c’est mieux. Mais l’année ne fut pas de tout repos pour le milieu de terrain français. Entre ses deux mois d’absence pour cause de blessure à l’ischio de septembre à novembre, ses prestations décevantes et sa relations tendue avec José Mourinho, le joueur aura à peu près tout vécu.

Des exigences tactiques? Il atterrit sur le banc

Le manager portugais lui a fait goûter au banc, comme pour le faire réagir. Il réclame de jouer constamment milieu gauche? Qu’il assure sur le terrain avant d’avoir des exigences. "Paul est un joueur du milieu, il n’est ni un latéral, ni un attaquant, insistait The Special One en conférence de presse en février. Certains me demandent son meilleur poste. C’est un milieu. Peu importe le système tactique de l’équipe, il restera un milieu." En d’autres termes: c’est moi qui décide.

Ils ont bien tenté de berner la presse et le public, en laissant entendre que tout était rose, que ces checks dans les couloirs étaient naturels. "Moi, en tout cas, je n’ai pas de souci et je pense qu’il n’en a pas avec moi, assurait Paul Pogba en avril sur Canal+. C’est l’entraîneur, il va faire des choix. Je suis joueur, j’accepte et il faut répondre sur le terrain." Les tensions étaient bien d’actualité. Mais elles n’empêchent pas toujours de travailler.

La saison dernière, il y avait deux Pogba

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- © AFP

Travailler, le Français l’a fait. Il s’est tu aussi. Mais sur le terrain, ses performances en dents de scie avaient fini par semer le doute quant à sa capacité d’être le grand patron de ce Manchester United en reconquête. Dans le derby mancunien qui pouvait offrir le titre à Manchester City en avril, Paul Pogba avait renversé le match et mener les troupes dans une bataille âpre, conclue sur un renversant 3-2… alors que les Cityzens avaient mené 2-0. Auteur d’un doublé, le milieu de terrain avait en quelque sorte répondu à Pep Guardiola, qui assurait quelques jours plus tôt que le Français lui avait été proposé durant le mercato hivernal par son agent Mino Raiola.

Sauf que le visage affiché par l’ancien Turinois contre West Brom était bien moins flamboyant. Manchester United s’était incliné (1-0) à la surprise générale et City avait validé son sacre en s’imposant à Tottenham la veille (3-1). "C’était si différent de ce que j’ai vu une semaine plus tôt. Dans l’engagement, dans l’envie… Je me demandais si Pogba pouvait jouer tout le temps comme il a joué contre City. La réponse est non…", regrettait d’ailleurs Thierry Henry sur Sky Sports. Le symbole d’une saison faite de hauts et de bas.

Une bascule russe pour un nouveau statut?

Le déclic a-t-il eu lieu en Russie? On peut le penser. Paul Pogba a livré une Coupe du monde tout simplement remarquable. Mis dans de bonnes dispositions par Didier Deschamps et associé à un N’Golo Kanté indispensable, il fut aussi un vrai leader de vestiaire, aux causeries enflammées. Un modèle à suivre. "C’est à lui de comprendre pourquoi il a été si bon, surtout dans la deuxième partie de la compétition, insistait José Mourinho sur la BBC trois jours après le sacre de son joueur. C’est ça l’important, à propos de son niveau de performance et de sa contribution au sein de l’équipe victorieuse."

Il partait d’une bonne base. Depuis la Juve, Paul Pogba a progressé dans le jeu. Il est proportionnellement plus souvent titulaire (93% de matchs en tant que titulaire en Angleterre, 86% lors de ses quatre années turinoises), il est plus décisif (toutes les 210 minutes avec les Red Devils en moyenne depuis 2016, toutes les 219 minutes en Italie). Il récupère un peu plus de ballon (sept par match en moyenne, contre six à la Juve) mais il touche surtout plus de ballons (84 par rencontres, bien plus que ses 61 ballons par match à Turin). En clair: c’est un pilier, un cadre de l’équipe. En Italie, il le devenait de plus en plus mais restait derrière les Leonardo Bonucci, Gianluigi Buffon, Claudio Marchisio...

Le jeu du bâton et de la carotte

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- © AFP

Il a surtout su mettre en application ses qualités, avec une discipline qu’on ne lui connaissait que trop peu. Le Daily Mail s’amusait déjà en avril à comparer le management du sélectionneur des Bleus et celui du manager de Manchester United. "Contrairement à José Mourinho, Didier Deschamps utilise le bâton ET la carotte avec Paul Pogba", écrivait le quotidien britannique. La sanction et la récompense, là où le Portugais est souvent plus adepte des méthodes brutales.

"Je suis certain que Mourinho lui dira ‘regarde le poste que tu occupais avec l’équipe de France, ce rôle discipliné que je t’ai demandé d’avoir’, explique le chef de la rubrique football du Daily Telegraph sur Sky Sports. Il ne joue pas comme ça à Manchester United. Mais il peut aussi retourner le truc en disant à Mourinho qu’il ne joue pas dans le même système ou qu’il ne lui donne pas les mêmes opportunités. Deschamps est clairement entré dans la tête de Pogba." En lui donnant des responsabilités, en lui promettant que s’il faisait ce qu’on lui demandait, les Bleus deviendraient champions du monde. La carotte.

Pogba: "Je dois plus bosser pour l’équipe que penser au personnel"

Avec l’équipe de France durant le Mondial, Paul Pogba avait finalement endossé un rôle plus défensif… que celui qu’il réclame lui-même en club. Ce que demande José Mourinho n’est finalement pas très différent que ce que lui a demandé Didier Deschamps, à ceci près que ces exigences ne sont pas présentées de la même manière.

Paul Pogba disait déjà tout de lui-même en janvier 2017: "Mon rôle de milieu de terrain n’est pas de marquer. Je peux être décisif mais j’ai beaucoup de travail. Le travail défensif, faire le jeu… Je dois plus bosser pour l’équipe que penser au personnel, confiait-il sur les antennes de RMC Sport. Un attaquant doit plus penser à marquer des buts, il est là pour marquer des buts, c’est son travail. La base du milieu de terrain n’est pas de marquer des buts. S’il peut marquer, c’est un plus. Je dois être décisif dans la récupération, dans le jeu. Je ne me compare pas à un attaquant. Mais quand on est à trois, c’est plus facile pour moi de monter et d’être plus offensif." Mais la saison dernière, il réclamait davantage un rôle offensif et un positionnement plus haut.

Il lui faut un cadre, une structure, un moule. "A la Juve, rappelle Paul Scholes sur BeIn Sports, il faisait partie d’une structure, il savait chaque semaine à quelle position il allait jouer et avec qui il allait jouer." C’est un peu moins systématique à Manchester United. Et Paul Pogba doit en prime être un cadre, là où il était guidé par les cadres en Italie. Grâce au Mondial et ses prestations avec les Bleus, on sait désormais que c’est possible.

Banc, brassard et leadership

Le déclic a-t-il eu lieu pendant le Mondial… ou juste avant ? "J'ai eu quelques problèmes, c'était mental, reconnaissait le joueur sur Canal+ fin mai. Il (Mourinho) m'a mis sur le banc, j'ai répondu sur le terrain, j'ai donné le meilleur de moi-même à chaque fois. Cela développé mon leadership. J'ai eu le brassard avec Mourinho, c'était la première fois dans un club. C'est important pour moi, ça me fait grandir pour être un leader en équipe de France." Le bâton à Manchester, la carotte chez les Bleus.

Avant la Coupe du monde, début juin, le milieu de terrain français résumait sans doute bien la situation dans France Football: "C'est comme si on me disait : ‘Je veux que tu sois patron’, mais qu'on ne me donne pas les clés, ou ‘Je te donne cette maison mais tu n'as pas les clés’." La carotte encore une fois. En lui promettant que Manchester United est en mesure de conquérir le titre s’il occupe le rôle demandé, en l’assurant qu’il sera le patron mais uniquement s’il suit les consignes et assure, Paul Pogba suivra. Pour des Pog-performances de Pog-haut niveau et des Pog-résultats avec un Pog-Manchester United.

A.Bouchery