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Jeux paralympiques 2022: pourquoi la Chine écrase le tableau des médailles

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Avant cette édition, la Chine n’avait remporté qu’une seule médaille dans toute son histoire lors des Jeux paralympiques d’hiver. Aujourd’hui, le pays hôte domine le classement des médailles de manière écrasante. Explications.

Cette année, la Chine domine outrageusement ses Jeux paralympiques d’hiver. À une journée de la fin des compétitions, le pays est premier du classement des médailles avec 58 breloques. Un chiffre impressionnant, d’autant que les Chinois n’avaient jusqu’ici remporté qu’une médaille aux Jeux paralympiques d’hiver, il y a quatre ans, avec un titre en curling. Pourquoi un réveil si brutal ? Explications.

Une intense préparation dans l’ombre

En arrivant ici, personne ne pouvait connaître de manière sûre le niveau des athlètes chinois. Car ces derniers mois, ils ne se sont quasiment jamais présentés sur les courses, n’étaient pas aux Mondiaux, pour s’entraîner non-stop. "C'est simple: ces médailles sont le fruit de notre travail acharné jour après jour, explique la para-biathlète Yujie Guo à RMC Sport. Certes, ça fait longtemps qu'on n'a pas fait de compétitions à l'étranger, les autres athlètes ne nous voyaient pas, mais pendant ce temps on s'entraînait d'arrache-pied, jour et nuit. Et au niveau de l'endurance, de la capacité physique, on continue de tout donner aux entraînements..."

Un travail dans l’ombre pour mieux prendre la lumière, le tout encadré par l’expertise d’entraîneurs étrangers. Pour le para-ski alpin, la Chine a fait venir Dario Capelli, ancien directeur technique de l’équipe paralympique italienne. Il est le premier à avoir ouvert une école de ski pour personnes handicapées en Europe. Le transalpin est arrivé en août 2018. "Quand j'ai rejoint l'équipe, il fallait presque tout construire. Certains d’entre eux partaient de rien, avoue-t-il à la télévision chinoise. Faire ce sport avec ces athlètes est une nouvelle expérience pour moi. Chaque jour, j'utilisais différents programmes d'entraînement adaptés. Nous étions ensemble 24 heures sur 24, onze mois par an. Je ne suis pas qu'un chef d'équipe. J'assume aussi souvent le rôle de père et d'ami avec eux."

Une arrivée surprise

Une vie ensemble donc, qui a permis aux para-athlètes chinois de mener à bien cette "opération-commando" et cette préparation intense. L’équipe de para-hockey sur glace, elle, est entraînée par un coach russe. "Pour être honnête je l’avais dit il y a longtemps: "les Chinois vont nous bluffer", soulève Christian Fémy, directeur des sports d’hiver à la Fédération Française handisport. Ils montrent que dans le milieu du paralympisme, avec une excellente préparation, on peut devenir une nation leader en quelques années. Au début, je pensais que ce serait plus sur des disciplines comme le snowboard, où on peut arriver un peu sur le tard… On ne les a pas vus mais on était assez convaincus qu’ils seraient présents."

"La plupart des gens disaient que les Chinois ne seraient pas trop une menace pour nous. Mais ils nous ont vraiment prouvé qu’ils peuvent être une nation forte, avoue le para-skieur français Arthur Bauchet. J’ai moi-même été surpris par un Chinois sur le Super G. Il est arrivé en début de saison, on l’a découvert et on s’est dit "oulah, il est nouveau"." Avant cela, il y eut quand même quelques coups d’éclat: la para-skieuse Zhang Mengqiu avait surpris tout le monde en ouverture de la saison 2019-2020 en gagnant une course devant la Française Marie Bochet, alors huit fois championne paralympique.

Une domination par le nombre

"Ils ont aussi une chose que l’on n’a pas, c’est le nombre", pose de manière pragmatique Christian Femy. Les Chinois gagnent aussi plus de médailles car ils sont… beaucoup plus nombreux. De vingt-six athlètes aux Jeux Paralympiques de Pyeonchang en 2018, nous sommes passés au chiffre record de quatre-vingt-seize athlètes ! La France, par exemple, est venue avec dix-neuf sportifs à Pékin.

"C’est vrai qu’en voir autant sur la liste de départ, c’est assez surprenant", dit Arthur Bauchet. Ils étaient cinq lors des courses de para-ski alpin debout, nation la plus représentée avec la France et les Etats-Unis. La densité crée de l’émulation, de la concurrence, tire vers le haut et permet surtout d’avoir plus de chances de créer de grands talents.

Une manière d'"exister" pour les handicapés

"Lorsque vous vivez avec vos coéquipiers pendant longtemps, vous vous habituerez progressivement à leur présence, explique Li Sitong, para-skieuse catégorie assis, sur le site de la Fédération internationale. Il est inévitable qu’il y ait des différences dans nos habitudes et des conflits aussi, mais généralement nous sommes en harmonie. Nous faisons nos propres choses et nous nous aidons les uns les autres." On estime que la Chine compte 85 millions de personnes en situation de handicap aujourd’hui, poussées ces dernières années à se mettre au sport.

Certains athlètes sur ces Jeux de Pékin ont aussi évolué dans d’autres disciplines auparavant, comme Chen Liang, qui pratiquait l’athlétisme et s’est mis au ski en 2017. Pour la plupart, ils ont découvert les sports blancs il y a seulement quatre ou cinq ans. "Ils ont une sorte d’auto-amélioration et un fort désir de participer à la société, ce qui est probablement la principale raison du succès", déclarait le vice-président de Pékin 2022 Yang Shuan. Un moyen d’exister pour ces personnes, alors que la Chine est réputée pour "délaisser" les personnes handicapées.

Des pistes connues par cœur

Si les Chinois n’étaient pas alignés sur les courses avant les Jeux, c’est aussi parce qu’ils pouvaient profiter des pistes olympiques, seuls. "Souvent quand on évoquait le sujet, on disait "les Chinois poncent la piste" car ils s’entraînaient ici avant", sourit Arthur Bauchet. Un avantage évidemment non négligeable pour ces athlètes qui, après s’être entraînés "jours et nuits", connaissent le moindre recoin des tracés ainsi que la qualité de la neige pékinoise, les pièges à éviter.

"Je veux aussi que cela soit soulevé. Ils connaissent le site, le milieu, l’environnement, appuie Christian Fémy. La première journée de ski libre qu’on a fait sur la piste (de ski nordique), purée… Il n’y avait aucun problème pour eux ! Nous, ils étaient tous là à tâtonner un petit peu." Car aucun test-event n’a été organisé pour les athlètes étrangers avant les Jeux en raison du Covid-19.

La Chine a, comme à son habitude, également largement investi pour la réussite d’un évènement à domicile. Des centres d’entraînements, des technologies de pointe… Le tout dans une logique d’image à renvoyer, le sport étant utilisé comme "soft-power" par le régime. Toujours est-il que quelques athlètes d’autres nations sont surpris par cette progression fulgurante et cette hiérarchie nouvelle. D’autres posent tout bas la question de la classification du handicap de certains Chinois. Il reste alors une interrogation: resteront-ils performants et présents, après les Jeux, sur le circuit mondial ?

Par Valentin Jamin