Judo: "Faire quelque chose d'impossible", Ugo Legrand revient après 8 ans d'arrêt

Ugo Legrand, qu'est-ce qui vous prend de revenir dans le judo de haut-niveau après huit ans d'arrêt ?
J'en ai envie, le challenge est beau et grand. J'ai plein d'excitation à l'idée de remplir ce beau défi. Il reste 400 jours pour aller chercher quelque chose de grand à Paris. C'est venu soudainement, il y a moins de 3 semaines. Il a suffi d'une petite graine plantée dans mon cerveau pour que cela devienne obsessionnel et que j'y pense jour et nuit. Je suis très excité à l'idée de remettre le pied sur le tatami, d'aller chercher cette adrénaline de la compétition, qui m'a manquée.
Quelle est cette graine ?
C'a été un mot d'une personne qui compte énormément pour moi, qui m'a traversé l'esprit et ne m'a plus jamais quitté. C'était là mais il me fallait ouvrir les yeux. Les Jeux Olympiques à Paris étaient là mais je ne les avais pas vus. Ils étaient hors de mon champ de vision. J'étais sur autre chose, sur d'autres domaines, d'autres passions. C'était essentiel pour moi, ça m'a construit. Le fait de me le remettre en pleine face avec juste un mot, tout s'est éclairé. C'est le défi d'une vie. C'est grand, ça paraît presque impossible. C'est ce qui m'excite là-dedans, c'est court, très intense, à Paris évidemment. Le plaisir de retrouver ce sport, ce qui m'a animé pendant des années, c'est une grande chance de pouvoir le revivre.
"J'ai une fraîcheur malgré mes 34 ans, le fait d'avoir arrêté à 25 ans m'a laissé cette fougue"
Cette décision semble montrer que vous regrettez d'avoir arrêté en 2015 ?
Pas du tout. J'avais tiré un trait sur le judo et je ne le regrette absolument pas. Je me suis épanoui, j'ai goûté à la vie après le microcosme du haut-niveau. J'ai été content d'explorer ce nouveau monde. C'est une autre étape de ma carrière, que je regarde avec une autre perspective. Le Ugo d'aujourd'hui n'aurait pas pu être là s'il n'avait pas coupé. J'aurais été trop essoufflé. J'ai une fraîcheur malgré mes 34 ans, le fait d'avoir arrêté à 25 ans m'a laissé cette fougue. Ce sont des choses qui font que ce projet est réalisable.
Qu'avez-vous fait pendant tout ce temps ?
Je suis parti avec un projet de start-up, Yogowo. C'a duré 4 ans et qui n'a abouti à aucune levée de fonds. C'a m'a fait énormément grandir. On était au cœur du milieu de l'entreprise. J'en suis sorti usé et fatigué, c'était très prenant. J'ai remis un peu le kimono pour donner quelques cours de judo à Los Angeles. Ça ne m'a pas énormément plu. J'avais envie de de découvrir d'autres domaines. L'arrivée du Covid m'a permis d'arrêter et je me suis lancé dans un milieu plus artistique. J'ai commencé à designer des meubles. Ça m'a emmené vers la scénographie, la déco sur des shootings photo dans le domaine de la pub et de la mode. J'ai fait ça pendant 3 ans aux États-Unis. Je suis rentré en France il y a 6 mois et j'ai continué cette activité ici à Paris. Maintenant, c'est une parenthèse pour remettre le judogi et aller chercher quelque chose de grand.
Avez-vous continué à vous entraîner à haute dose pendant cette période ?
Non. J'ai été quasiment sédentaire. J'ai pas mal surfé. J'ai fait du sport plaisir mais absolument pas une activité régulière. C'est le challenge de cette reprise. Mon corps doit se réhabituer. Ça passera par une phase de préparation physique avant de mettre le pied sur le tapis. Je monterai sur le tatami en septembre. Il faut éviter la blessure à tout prix.
Vous n'avez pas trop grossi ?
J'ai peut-être un peu plus de masse graisseuse, je me suis pesé à 76 kilos après 2 semaines d'entraînement. Niveau poids, je me trouve bien.
Êtes-vous soutenu dans votre démarche ?
Énormément de monde m'accompagne. Je me sens très soutenu. La Fédération m'aide. Je m'entraîne à l'Insep, j'ai accès au service médical, à un préparateur physique. Il m'important que ce ne soit pas une simple folie personnelle et que ça rentre dans un cadre plus global. J'ai exposé mon projet et j'ai tout de suite reçu un soutien fédéral. C'est très agréable.
"Teddy a accueilli la nouvelle avec excitation"
Allez-vous repasser par les plus petites compétitions ?
C'est là où on voit que la Fédération croit en mon projet. Ils me qualifient d'office aux championnats de France première division en novembre. C'est une étape qui me plaît. Il faut se jauger sur le plan national avant d'aller sur le niveau international. Il y a 10 ans, quand j'étais athlète, les France 1ere Div' ce n'était jamais un cadeau, c'était la compétition coupe-gorge. Cette fois, ça me plaît. Je ne les ai jamais gagnés. C'est l'occasion de les gagner à 34 ans.
En moins de 73 kilos, la France cherche un leader. Il y a Joan-Benjamin Gaba, 23e mondial, et Benjamin Axus, 24e mondial. Ca laisse une porte un peu ouverte dans votre défi.
C'était très important pour moi. Il y a plusieurs facteurs qui ont encouragé cette démarche. Je ne me serais jamais permis de faire ça s'il y avait un leader qui s'était déjà imposé. C'est l'occasion, le fait que la catégorie soit 'ouverte', qu'il n'y ait pas de leader depuis que je suis parti il y a 8 ans.
Avez-vous parlé de votre retour avec Teddy Riner ? Vous êtes de la même génération et avez participé ensemble à de nombreuses campagnes.
Teddy a été l'un des premiers que j'ai informé. Il a été très content. Il a accueilli la nouvelle avec excitation. C'est un partenaire de la même génération qui revient et qui va être à ses côtés pour cette préparation. Ces deux vieux de 1989 qui viennent chercher cette dernière ligne droite ensemble.
"Je veux une deuxième médaille"
Qu'est ce qui serait un retour réussi ?
Je fais ça pour essayer d'écrire l'histoire, faire quelque chose d'impossible, essayer d'aller chercher une deuxième médaille olympique. Je connais ce que ça implique, un tournoi olympique. C'est une compétition tellement particulière que tout est possible. Je ne ferais pas autant de sacrifice pour y être seulement qualifié. Je veux une deuxième médaille. Il y a aussi la compétition olympique où les 73 kilos évoluent. J'ai envie de vivre ça avec mes potes. Ce sont deux épreuves très importantes que je prends très à cœur.
Il faudra d'ici l'année prochaine, être le meilleur français aux yeux de la fédération sans souci de classement.
À la différence des J.O à Londres où il fallait être dans le top 22, ici ce n'est pas le cas. La Fédération sélectionnera celui qui aura le plus de chances de ramener une médaille individuelle et des points dans l'épreuve par équipe.
Votre compagne, comment a-t-elle réagi ?
Elle a été tout aussi surprise. C'a été très soudain pour elle aussi. Au début, elle n'a pas compris. Elle pensait que c'était une blague. Elle est d'un soutien toujours aussi fort. Ça nous fait replonger 10 ans en arrière où on a vécu de genre d'émotions. C'est marrants de le revivre en étant des personnes différentes. Ça nous rappelle la jeunesse.
C'est un choix qui vous ressemble ?
Je fonctionne vachement sur ce qui peut être perçu comme un coup de tête mais c'est un truc que je ressens. J'ai envie d'émotions et de défis dans ma vie. Je suis une personne de défis.
Propos recueillis par Morgan Maury