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Détection à Clairefontaine avec Mbappé, coéquipier de Nkunku, agents escrocs et D3 espagnole… Le chanteur Youka raconte son passé mouvementé dans le football

Le chanteur Youka

Le chanteur Youka - DR

Avant de se lancer dans la musique, Youka a longtemps cru pouvoir percer balle au pied. A l’occasion de la sortie de son projet "AfroViibes", le chanteur de 27 ans, originaire de Seine-et-Marne, revient pour RMC Sport sur son passé de footballeur sous le nom de Kilian Lopes-Sadio. Un parcours qui l’a amené à croiser Kylian Mbappé à Clairefontaine, côtoyer Christopher Nkunku à Fontainebleau, passer par Sheffield United et se faire balader en troisième division espagnole par des agents douteux.

Entouré d’un groupe de danseuses, il enchaîne quelques pas en souriant devant l’Arc de Triomphe, maillot collector du PSG sur le dos. Dans le clip de son morceau "Self-Control", en feat avec Vegedream, Youka arbore la réédition de la tunique parisienne 2004-2005. Époque Pedro Miguel Pauleta. Un clin d’œil à son propre passé en crampons. Avant de se lancer dans la musique, le chanteur de 27 ans a longtemps cru pouvoir faire carrière balle au pied. A l’occasion de la sortie de son projet AfroViibes, disponible depuis le 12 septembre, l’artiste de Seine-et-Marne revient pour RMC Sport sur son aventure mouvementée de footballeur. Avec beaucoup de franchise, une certaine lucidité et un peu de nostalgie...

Après avoir passé ses premières années à Moissy-Cramayel, au sud-est de Paris, Kilian Lopes-Sadio (son vrai nom) déménage à Montereau-Fault-Yonne, aux confins de l’Île-de-France, lorsqu’il a une dizaine d’années. Son père, qui réside au Sénégal, l’initie au ballon rond après avoir lui-même joué à bon niveau, à Rouen notamment. Sa grande sœur apprécie le rectangle vert, ses trois grands frères un peu moins. Cadet de la fratrie également originaire du Cap-Vert et la Guinée-Bissau, Youka travaille ses premiers crochets en bas de chez lui, en essayant d’imiter Zinedine Zidane, Ronaldinho ou Mamadou Niang, la star des Lions de la Téranga.

Repéré par les recruteurs de Clairefontaine

Un entraîneur du club de Valence-en-Brie lui propose alors de prendre une première licence. Après un baptême prometteur, le petit milieu droit met sa vitesse et sa grinta au service du club de Montereau à l’âge de 12 ans. Il se distingue dans un rôle de libéro lors de matchs plus importants et intègre l’équipe de Seine-et-Marne. Des recruteurs de l’Institut national du football de Clairefontaine le repèrent en 2011 et lui proposent d’effectuer des tours de détection. Lors d’une session organisée à Mormant, il se blesse sérieusement et craint de voir sa chance filer. Mais alors qu’il se fait évacuer sur civière, un membre du centre yvelinois lui apprend qu'il sera convoqué au fief de l’équipe de France pour une ultime batteries de tests.

Youka rentre chez lui soulagé, mais durant les semaines suivantes, plus aucune nouvelle de l’INF. "Un matin, mon entraîneur m’appelle et commence à m’engueuler: ‘Tu as été pris à Clairefontaine, qu’est-ce que tu fais? Ce n’est pas sérieux’. Mon père lui répond qu’il ne nous a pas prévenus. Lui dit que si. On se demande s’il ne nous balade pas parce que son propre fils n’a pas été convoqué... Bref, ça finit en dialogue de sourds. Moi, je suis tellement pressé d’aller à Clairefontaine que je rassemble rapidement mes affaires, sauf que je n’ai pas mon bulletin scolaire. Et je n’ai pas encore de carte d’identité, j’ai juste une attestation prouvant que j’ai fait ma demande."

"Au moment de l’appel, on s’est levés en même temps avec Mbappé"

Arrivé dans les Yvelines, Youka comprend vite que son maigre dossier va lui porter préjudice: "Avant même de jouer, je savais que c’était mort vu que je n’avais pas mes papiers et que c’était très important pour eux. Je l’ai bien senti quand j’ai déposé mon dossier au bureau. Ils se sont dit que je n’étais pas sérieux." Lors de cette journée de détection au QG des Bleus, Kilian Lopes-Sadio croise un autre jeune qui porte le même prénom: Kylian Mbappé. "Au moment de l’appel, on s’est levés en même temps", s’amuse-t-il en y repensant. "Mbappé était dans l’équipe des chasubles gris. Il était grave à l’aise, il rigolait beaucoup, je pense qu’il savait qu’il était déjà pris."

Après une journée d’exercices et de matchs, la mauvaise nouvelle se confirme pour Youka: il n’intègrera pas le célèbre pôle espoirs des Yvelines. "Ça m’a mis un coup au moral. J’ai ressenti de l’injustice, parce que si mon coach m’avait prévenu avant, j’aurais pu avoir les papiers demandés…" De retour en U15 à Montereau, il rejoint ensuite le club de Fontainebleau en U17, où il côtoie Christopher Nkunku, qu’il avait déjà affronté lorsqu’il était à l’AS Marolles. "Il avait un an de plus que moi. Il était trop fort, vraiment trop fort", se souvient Youka. "Son père l’entraînait dur. Il était petit mais il était archi gainé. Il était complet, il savait tout faire. Je me rappelle qu’il avait mis deux coups-francs lors d’un tournoi à Auxerre."

La Coupe de Paris avec Fontainebleau

Près du château de Fontainebleau et de sa vaste forêt connue pour ses sites d’escalade, il rencontre aussi Tanguy Kouassi, de quatre ans son cadet. "Il montait parfois avec nous tellement il était fort à l’entraînement". Au sein d’une génération talentueuse, Kilian hérite du surnom "Youka" en référence à ses têtes sur corner, car il crie "caillou" dans la surface pour inciter le tireur à viser sa zone.

Il remporte le championnat de DHR et s’offre une épopée inoubliable en Coupe de Paris. Après avoir gagné à Créteil en quarts de finale (0-1), Fontainebleau s’impose en demie au Camp des Loges face au PSG (1-2) et arrache la finale aux tirs au but contre les U17 nationaux de Bois-Colombes, après avoir été mené 2-0.

Son équipe enchaîne en raflant plusieurs autres tournois. La possibilité de percer devient palpable. "A ce moment-là, tout change. On pense tous qu’on va signer, parce qu’il y a des clubs sur nous." Auxerre et Toulouse se manifestent auprès de Kilian Sadio-Lopes, mais les contacts n’aboutissent pas. Il poursuit en U19 à Fontainebleau et dispute la Coupe Gambardella.

Une grosse semaine de tests à Sheffield United

Le temps passe et les recruteurs se font de plus en plus rares autour de lui. Après un bref retour à Moissy-Cramayel, Youka accepte de partir dans le sud de la France pour signer à Cagnes-sur-Mer, en DH. Il débarque dans les Alpes-Maritimes en cours de saison avec l’objectif de monter en National 3. Sur la côte méditerranéenne, il s’installe dans une maison mise à disposition par le club avec deux autres joueurs. Son adaptation est bonne, ses performances aussi. Cagnes-sur-Mer décroche au printemps 2016 son accession en N3.

Youka est tout juste majeur. Un agent prénommé Philippe, qu’il a rencontré à Moissy, lui propose alors de faire des tests à Sheffield United, qui évolue en Championship. "L’encadrement de Cagnes-sur-Mer ne voulait pas me laisser y aller parce que la préparation estivale allait arriver, donc j’ai inventé une excuse en disant que j’avais un événement familial là-bas", glisse-t-il. Après une grosse semaine dans le nord de l’Angleterre, il conclut son escale chez les Blades par un match très moyen. Les dirigeants anglais choisissent de ne pas le retenir. "Je n’avais peut-être pas le niveau attendu", admet-il.

Le chanteur Youka lors de son passage à Sheffield United
Le chanteur Youka lors de son passage à Sheffield United © DR

Confronté au racisme à Aviles

En retraversant la Manche, il tente de revenir à Cagnes-sur-Mer, mais le club lui ferme la porte, échaudé par son mensonge. Youka rentre en région parisienne, un peu perturbé par ses échecs successifs. "Je pensais devenir footballeur, mais à chaque fois que j’ai tenu le truc dans ma main, il y a toujours eu quelque chose pour que ça ne marche pas. Ça a créé une grande frustration. A ce moment-là, j’en ai marre de faire le vagabond, de partir et de revenir, de voir la tête de mes parents qui me disent que ce n’est pas grave..."

Le Mée-sur-Seine, un club de son secteur qui vient de monter en National 3, l’invite à suivre sa préparation estivale. Mais son agent lui propose de partir au Real Aviles, une équipe de troisième division basée dans les Asturies, au nord de l’Espagne. Et sur la côte Atlantique, c’est vite la douche froide. "J’ai senti beaucoup de racisme dans la ville. En arrivant, je suis avec un renoi et un rebeu. On sort d’un bus pour aller voir le stade et une dame nous demande ce qu’on fait ici. On lui explique que c’est pour le foot et elle nous répond en gros ‘Cassez-vous’. L’accueil relou quoi. Sur le coup, je me dis que ça peut arriver, qu’il y a des racistes partout..."

Un rebond dans les Baléares

Avec ses deux potes de France, Youka commence les entraînements à Aviles et délivre une passe décisive dès sa première apparition. Dans la foulée, il dispute plusieurs autres matchs et inscrit deux buts. Mais il n'est pas à l’aise au quotidien. "Dans les vestiaires, les Espagnols ne nous parlent pas trop. Je sens qu’on est un peu mis à l’écart. Je ne sais pas si c’est parce qu’on est nouveaux ou français, mais on est mis de côté avec les autres renois de l’équipe. Je me sens mal dans cette ambiance et ma santé mentale, c’est la chose la plus importante. Si je ne suis pas bien quelque part, je ne reste pas."

Kilian Lopes-Sadio s’ouvre au directeur sportif du Real Aviles et demande à rejoindre un autre club. Il est envoyé au CF Soller de Majorque, dans les Baléares, en troisième division également. Dans un décor somptueux, il retrouve trois autres Français sur place, avec un contrat comprenant un salaire fixe de 1500 euros et des primes de match. L’accueil est légèrement meilleur que dans les Asturies, mais il se retrouve à nouveau isolé avec les autres joueurs issus de l’Hexagone. Malgré ce contexte peu épanouissant, il prend ses marques et répond présent en match.

Le chanteur Youka (au centre) lors de son passage au Real Aviles
Le chanteur Youka (au centre) lors de son passage au Real Aviles © DR

"Vous ne parlez pas espagnol donc il faut que vous partiez"

Mais au bout de deux mois, tout bascule subitement. "Un jour, on arrive à l’entraînement et on voit le président avec tous les joueurs espagnols. Ils nous demandent de rester en dehors du vestiaire. Ils se mettent à parler entre eux, le président a l’air énervé, on l’entend crier. Au bout d’un moment, ils nous demandent de rentrer dans le vestiaire mais ils nous regardent un peu comme des chiens. L’atmosphère est tendue. Pendant l’entraînement, les joueurs changent de comportement, on voit qu’ils ne veulent pas nous faire de passes. On trouve ça chelou. A la fin de la séance, le coach, qui parle un peu français, vient nous voir et nous dit: ‘Je vous aime bien mais vous ne parlez pas assez espagnol donc il faut que vous partiez ce soir’."

Le temps de digérer l’info, Youka et ses collègues protestent en expliquant qu’ils n’ont pas les moyens de rentrer si rapidement. "On est déboussolés. J’essaie d’appeler mon agent mais il ne répond pas. Lorsqu’on arrive à la maison d’hôte dans laquelle on logeait, ils nous disent de faire nos valises et de partir dès que possible. On se demande ce qu’on a fait de mal. On n’a pas d’explications. Ils nous menacent d’appeler les flics si on ne bouge pas. On fait nos affaires mais on a la rage. J’envoie un message au président en l’insultant, je lui dis qu’il n’est pas carré. Je lui demande de nous payer parce qu’ils ne nous ont pas versé nos salaires, mais il ne répond pas. C’est la galère!"

Paris truqués et agents escrocs

L’un des Français, Mamadou, partage l’argent dont il dispose pour payer un repas et le taxi jusqu’à l’aéroport. "J’appelle mes parents en pleurs. J’étais super mal", confie Youka. "Ils me prennent un billet pour rentrer à Paris. Je dors à l’aéroport en attendant le vol. J’harcèle mon agent, mais aucune réponse. Une fois rentré en France, j’apprends que Soller de Majorque a fait des magouilles liées à des paris sportifs. Les joueurs faisaient exprès de perdre certains matchs. En fait, ils nous avaient appelé pour les aider à se maintenir et quand ça a été le cas, ils nous ont demandé de partir direct. Et on s’est rendu compte qu’on n’était pas protégés dans nos contrats, on s’est fait berner. On a appris plus tard que cet agent qui s’appelait Philippe était un escroc. Ils étaient plusieurs, il bossait avec un certain Ousmane, qui a fait des histoires à beaucoup de gens, notamment dans un club de Belgique."

Après ce cauchemar, Youka se détourne de sa grande passion. "A ce moment-là, je suis totalement dégoûté du foot. Dans la foulée, je pars un peu vrille. Je traîne à Melun, je fais quelques bêtises. J’ai besoin d’une échappatoire." Le footballeur déçu a alors 20 ans. Il bosse à JD Sports et Foot Locker. Le FC Versailles 78, qui évolue en N3, lui fait une proposition mais il n’a plus la motivation pour enchaîner les longs trajets. Kilian Lopes-Sadio tente de revenir au Mée, près de chez lui, mais le coach le rembarre. "Il me dit: ‘Au lieu de rester dans un club qui te voulait, tu as préféré aller partout et tu te retrouves nulle part’. Ça me pique quand il dit ça, parce que c’est réel."

Fran Garcia l’invite à Bernabeu pour un match du Real Madrid

Au crépuscule de sa courte carrière, Youka, qui écrivait déjà des sons en marge des entraînements, se lance pleinement dans la musique et se fait connaître en posant certains morceaux sur Instagram. Après quelques collaborations avec des artistes espagnols, il sympathise avec Fran Garcia, le latéral gauche du Real Madrid, qui compte deux sélections avec la Roja. "Ça s’est fait naturellement. Il a partagé un de mes sons, du coup, on s’est parlé. Je lui ai dit que j’avais joué au poste de latéral comme lui. Je pense que ça l’a touché."

En mai dernier, le défenseur merengue l’invite à Bernabeu avec l’un de ses amis pour assister à la demi-finale retour de Coupe du Roi face à la Real Sociedad (4-4 et qualification du Real). Alors qu’il s’attend à prendre place en tribune, Youka se retrouve dans une loge ultra-privée. "On est avec la famille de Mbappé, les proches de Bellingham, le père de Rodrygo. On se dit: ‘C’est une dinguerie’. A la fin du match, je vois passer tous les joueurs du Real. Fran Garcia nous offre des maillots et il appelle Kylian en lui demandant de venir faire une photo avec nous. Pareil pour Modric, on parle avec lui, c’est un gars archi gentil, qui ne paye pas de mine. Franchement, c’était un rêve de vivre ça. A la base, le Bernabeu, on le voit sur Fifa nous (rires)."

Le chanteur Youka (à gauche) avec Fran Garcia lors d'un match entre le Real Madrid et la Real Sociedad, en avril 2025 à Bernabeu
Le chanteur Youka (à gauche) avec Fran Garcia lors d'un match entre le Real Madrid et la Real Sociedad, en avril 2025 à Bernabeu © DR

Lamine Yamal a repris l’un de ses sons

Youka est également branché avec d’autres footballeurs, comme Samuel Aghehowa, l’attaquant espagnol de Porto (21 ans): "Il me suit sur Insta et il m’envoie pas mal de messages. Il m’a invité à venir au Portugal voir un match." Lamine Yamal a repris son morceau Allo en feat avec Jungeli en partageant la célébration de l’un de ses buts face au Real Madrid. Paul Pogba s’est aussi filmé en train de chanter ses paroles en faisant du golf. Hakan Çalhanoglu, le milieu de terrain de l’Inter, a relayé le son Chill en story.

Après un petit retour à Fontainebleau et un passage à Savigny-le-Temple, Youka s’est mis à fond dans le padel: "Je suis accroc. J’ai une licence et tout carrément. J’ai laissé de côté un peu le foot." Toujours attentif à l’actualité du ballon rond, l’ancien espoir du 77 soutient aujourd’hui le Real Madrid, tout en appréciant le PSG. Dans les années à venir, il aimerait faire de la prévention auprès des apprentis footballeurs, en partageant son histoire. Pour éviter que d’autres vivent les mêmes déboires que lui. Sans la possibilité de se rattraper au micro...

https://twitter.com/AlexJaquin Alexandre Jaquin Journaliste RMC Sport