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UFC: Arman Tsarukyan, la quête furieuse d'un acharné

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Dans la catégorie la plus dense et la plus relevée de l'UFC, il est l'un des plus dangereux mais celui dont on parle le moins. Plus jeune membre du top 10 des -70 kg et prospect en pleine ascension, Arman Tsarukyan défie Beneil Dariush, à l'UFC Austin (1h dans la nuit de samedi à dimanche, en direct sur RMC Sport 2), dans un choc qui promet des étincelles. Une étape de plus dans la quête ultime de l'Arméno-Russe afin de se rapprocher d'un combat pour la ceinture détenue par un homme qui l'obsède : Islam Makhachev.

À l'heure où certains décident de se murer dans le silence pour mieux laisser parler leurs coups une fois dans la cage, lui a choisi d'embrasser la voie de ceux qui s'épanchent sans retenue. Quitte, parfois, à ce que ses récits confinent aux légendes urbaines invérifiables. Il y a d'abord cette anecdote dans laquelle Arman Tsarukyan assure s'être battu avec un membre du FSB (Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie) pour défendre une fille qui venait se faire frapper. Le combattant arménien aurait demandé à l'agresseur de s'excuser, ce qui l'a refusé. Obligé d'en venir aux mains et se rendant compte que l'assaillant était rodé aux techniques de combat, il a été contraint de le soumettre avec un étranglement pour le mettre hors d'état de nuire.

Il y a, aussi, ce souvenir de jeunesse qui prête à sourire. À 12 ans, Tsarukyan se serait battu avec quinze militaires touvains, peuple turc de Sibérie installé dans la république de Touva. Alors qu'il participait à la construction de sa future maison avec quarante ouvriers, il est parti dans une supérette avec l'un d'eux pour acheter de la bière avant que celui-ci ne se fasse attaquer par des membres des forces armées. L'échauffourée a finalement tourné court quand le reste des ouvriers ont débarqué en guise de renforts. "On les a tous éteint", relatera-t-il, fier et plein d'aplomb. Galéjades ou réalité un brin trop romancée, le temps a depuis filé. Et, quinze ans plus tard, Arman Tsarukyan continue de se montrer toujours aussi prolixe. Avec un seul nom lancinant sur les lèvres : Islam Makhachev.

La Russie terre d'opportunités et échec au hockey

"Le seul qui peut le battre ? C'est moi." Bavard, donc, grande gueule et drapé d'orgueil, aussi. Des traits de personnalité non négligeables pour exister chez les légers (-70 kg), l'actuelle catégorie la plus dense et relevée de l'UFC que survole le protégé de Khabib Nurmagomedov. En 2019, leur destin respectif s'était croisé pour accoucher d'un combat de très haute volée remporté par Makhachev. C'était alors le baptême du feu d'Arman Tsarukyan dans l'organisation reine de MMA. Il n'a rien oublié de cette première rencontre. Comme il n'a rien oublié de ce qu'il l'a construit jusqu'ici. Son histoire prend sa source en Géorgie, à Akhalkalaki, d'où son surnom désormais « Akhalkalakets ». Un village modeste aux confins de l'Arménie ne comptant à peine que « cent maisons ». La communauté arménienne y est notamment nombreuse et réputée pour se consacrer au commerce de l'asphalte. Fils de parents arméniens, il n'a que trois ans quand la figure paternelle choisit d'emmener la famille à Khabarovsk, la plus grande ville de l'Extrême-Orient russe, afin de lui offrir une meilleure vie.

Là-bas, Arman Tsarukyan se découvre à lui-même. "Je ne sais pas pourquoi mais quand j'étais gamin, j'ai toujours aimé le sport et peu importe la discipline, expliquait-il, il y a un an à ESPN MMA. J'ai joué au football, du basket, j'ai fait du vélo. Dans les sports de combat, j'ai commencé par le karaté. Il y avait une école de lutte libre près de ma maison, un sport que mon père a pratiqué. Je gagnais chaque compétition mais j'étais seul alors un ancien camarade de classe m'a proposé de faire du hockey. Mon père m'a tout donné car c'est un sport onéreux. J'y ai joué pendant dix ans sans percer, j'ai peut-être l'impression d'avoir perdu dix ans de ma vie..." Entrepreneur dans le BTP, Nairi Tsarukyan tente alors d'initier sa progéniture au monde des affaires. En vain. Trois mois après, l'actuel challenger n°8 pour la ceinture des légers renonce. Pour se lancer en MMA et "faire quelque chose" de sa vie. Avant de se rendre qu'il possédait un talent inné pour les sports de combat.

Poutine et rêve de la Douma

La Russie est indissociable de la trajectoire de l'athlète de 27 ans : "C'est presque mon pays. J'y vis depuis plus de 22 ans. Je parle et j'écris mieux russe qu'arménien. Je me suis entraîné en Russie, j'ai été à l'école et ai été diplômé là-bas." À plusieurs reprises, Tsarukyan a rencontré Vladimir Poutine et a même combattu lors d'un tournoi à la Sambo-70 (école qui fabrique les futurs champions du pays, ndlr) en l'honneur du chef d'État russe. Une photo avec celui-ci lui a permis, un jour, de convaincre un agent de circulation qui ne souhaitait pas le laisser se rendre à un endroit malgré une lettre de la Douma d'État, la chambre basse de l'Assemblée fédérale de la fédération de Russie. Un lieu où il se verrait bien d'ailleurs exercer après sa carrière dans l'octogone. "Si je recroise Poutine, je lui demanderais de m'emmener à la Douma. J'aimerais travailler plus tard dans les agences gouvernementales en relation avec le sport. Peut-être que j'irai au ministère des Sports, nous verrons...", se plaisait-il à rêver en 2020.

"J'aime l'Arménie, mais l'Arménie ne m'aime pas"

Une terre d'adoption qu'il n'a toutefois pas manqué d'égratigner. Fidèle à sa réputation de loquace et de grande gueule, Arman Tsaryukan dresse un portrait sans complaisance de la Russie. : "Là où j'ai grandi, à Khabarovsk, c'est une ville très dure, détaille le combattant dans The Sevan Podcast. Si tu as des bijoux ou une montre, c'est mieux d'avoir un flingue ou un couteau sur toi car on peut t'agresser. En Russie, il doit y avoir au maximum dix bonnes villes, le reste sont des villes pourries où les gens travaillent pour 300 dollars. Ils vivent juste pour survivre, rien d'autre. Se rendre en vacances à Moscou, c'est le mieux qu'ils puissent obtenir." Même constat péremptoire lorsqu'on l'interroge sur l'état du MMA russe. "95% des combattants russes sont dopés", assure celui qui a dénoncé le "divertissement" des événements de l'Absolute Championship Akhmat (ACA) en raison de ce fléau endémique.

S'il possède un passeport russe, « Akhalkalakets » entretient une relation obscure avec l'Arménie qui ne lui a toujours pas accordé la citoyenneté. "Je suis 100% Arménien de par mon père et ma mère. J'aime l'Arménie mais l'Arménie ne m'aime pas, martèle-t-il sur sa chaîne officielle YouTube. Ils ne veulent pas me donner de passeport mais je continue de représenter l'Arménie pour mes proches et parce que c'est mon pays." À chaque victoire à l'UFC, c'est le drapeau arménien qu'il arbore fièrement dans la cage. Sans oublier de retourner au pays plusieurs fois par an pour rendre visite à ses grands-parents – lesquels avaient par ailleurs fui le génocide – et une partie de sa famille qui y résident toujours.

KO traumatisant et mariage à la diète

Devenu l'un des prospects les plus dangereux des -70 kg, l'enfant d'Akhalkalaki (1m70) a avancé à pas feutrés. Patiemment. Et en apprenant. Lors de sa deuxième représentation en MMA en 2015, devant son public de Khabarovsk, il prend une leçon brutale en pleine face du haut de ses dix-huit ans. Un KO foudroyant après trente secondes. "Un tel souvenir vous marque, relatait le principal intéressé à MatchTV, il y a quatre ans. Même maintenant, quand je retombe sur la vidéo, je ne peux pas la regarder. Sans cette défaite, je ne serais peut-être pas là où je suis désormais. J'ai décidé de continuer, et un an plus tard, je me suis vengé du gars contre qui j'avais perdu." De la Russie jusqu'à la Chine en passant par la Corée du Sud, la route se trace sans accroc (12 victoires dont 4 par KO et 5 par soumission). Jusqu'à sa rencontre avec Makhachev, qui ne figurait alors même pas dans le Top 15.

Une entrée en scène dans la plus prestigieuse des ligues de MMA au monde que l'Arménien a effectué avec une préparation écourtée de quatre semaines. Quand l'UFC lui propose le combat, il affiche 86,5 kilos sur la balance et se trouve en pleine préparation de son mariage. "Deux semaines avant le combat, je me suis marié. Tout le monde était heureux et moi je devais manger des tomates, des concombres... Mais qu'importe, j'avais un objectif et c'était de signer à l'UFC. J'étais déçu de perdre, mes coaches m'ont dit que j'avais fait un beau combat. Mais je ne veux pas faire de beaux combats, je veux les gagner." Ce qu'il a fait par la suite en étalant toutes ses qualités en lutte, grappling, ground and pound et en laissant entrevoir une nette marge de progression en striking. Olivier Aubin-Mercier (actuel champion au PFL), Joel Alvarez, Davi Ramos, Matt Frevola – l'homme foudroyé par Benoît Saint Denis à l'UFC 295 – Christos Giagos, Damir Ismagulov et le dernier en date en juin dernier Joaquim Silva y sont passés lors des quatre dernières années. Seule légère ombre au tableau, son revers contre Mateusz Gamrot pour son premier main event en cinq rounds. Un duel acharné que pléthore d'observateurs ont attribué en faveur de Tsarukyan en dépit du verdict rendu.

"Makhachev fait la même merde à chaque combat"

Le reste de la division la plus concurrentielle du circuit ne l'effraie pas. À coup de punchlines où son assurance et sa suffisance affleurent, le challenger n°8 (23 combats, 20 victoires, 3 défaites) étrille ses homologues. Charles Oliveira ? "C'est un cadeau. Je vais l’écraser facilement parce que son style est le meilleur style pour moi." Michael Chandler? "Le plus faible QI combat de la catégorie." Dustin Poirier et Justin Gaethje? "Ils devraient prendre leur retraite ou on devrait les retirer du top 15, ils ne s’affrontent qu’entre eux !" Son prochain adversaire, le chevronné Beneil Dariush (4e de la catégorie, 22-5-1), a subi un coup d'arrêt abrupt depuis son KO expéditif reçu par « do Bronx » en juin dernier, mais constitue un test d'envergure qui doit le rapprocher pour briguer la couronne. "Si je veux me battre pour le titre, je dois le finir. Je dois performer et le mettre KO", a-t-il promis récemment.

En attendant de recroiser la route de celui qui l'obsède. Celui qui s'érige comme un épouvantail intouchable, insubmersible, inébranlable. Comme sa dernière masterclass face à Alexander Volkanovski a pu l'attester. "La première fois, vous m'avez donné quatre semaines pour affronter Islam Makhachev. Accordez-moi huit semaines et je vais le fracasser", l'a-t-il call out après son succès contre Silva. À vingt-sept ans, Arman Tsarukyan incarne à la fois le présent et le futur des lightweights. Il patiente, encore, mais il est déjà prêt pour le sommet le plus incandescent de sa carrière : "Tout le monde a peur d'Islam, mais je peux le battre. Au premier combat, tout le monde a dit qu'il allait me briser mais il n'a rien fait à part des take downs, il a zéro punch. Je n'avais pas autant d'expérience, maintenant je suis différent. Il est désormais à son prime, moi non. Je me développe et m'améliore chaque jour alors que lui a toujours le même gameplan. Il ne progresse plus, il fait la même merde à chaque combat. Ce n'est pas le meilleur, je suis le meilleur." Ce jour fatidique pour le prouver arrivera peut-être bientôt. Et, cette fois, la légende ne sera pas urbaine mais enfin connue de tous.

Romain Duchateau Journaliste RMC Sport