Paris-Roubaix: pourquoi la chicane avant la trouée d'Arenberg divise tant le peloton

Tenant du titre sur Paris-Roubaix, Mathieu van der Poel peinait à y croire. Ce mercredi, les organisateurs de la course ont validé l'ajout d'une chicane à l'entrée de la célèbre trouée d'Arenberg, située à 95 kilomètres de l'arrivée. "C'est une blague?", a lancé le champion du monde, vainqueur dimanche dernier du Tour des Flandres et encore grand favori de "l'Enfer du Nord".
Sans doute le secteur pavé le plus redouté de Paris-Roubaix, la trouée d'Arenberg s'aborde généralement à haute vitesse, entre 60 et 70km/h. Les chutes y sont fréquentes et l'idée est de diviser la vitesse par deux, histoire d'éviter un nouveau carnage. Ces dernières semaines, les coureurs ont été "traumatisés" par de multiples chutes, à l'image de celle de Wout van Aert lors d'A Travers la Flandre.
La demande initiale vient même du CPA, un syndicat de coureurs. "Lorsque nous avons donné aux coureurs le choix entre un passage direct à Arenberg ou une des trois options, ils en ont voulu une des trois", a fait savoir l'ancien coureur Adam Hansen, désormais à la tête du CPA, tentant ensuite de balayer les critiques. "Les coureurs seront toujours mécontents. Nous ne pourrons pas tous les satisfaire. Mais malheureusement, c'est la meilleure ou la pire des situations."
"Est-ce que les fans veulent voir des cyclistes complètement couvert de sang?"
Sur les réseaux sociaux, les réactions ont été multiples. Le clan de la Visma-Lease a Bike, toujours marqué par le forfait de leur leader annoncé Wout Van Aert, a défendu l'idée. Vainqueur de Paris-Roubaix en 2022 et désormais au sein de l'équipe néerlandaise, Dylan van Baarle a réagi avec deux smileys en forme de prière, comme pour valider cette option. Son coéquipier Matteo Jorgenson a lui partagé une photo d'un coureur blessé et en sang dans cette trouée d'Arenberg. "Est-ce ça que les fans veulent voir ? Des cyclistes complètement couverts de sang après avoir glissé la tête la première à 80 km/h sur des pavés pointus dans une forêt ? Je préfère encore quelques virages et des gars qui glissent sur la chaussée..."
Manager de la Visma-Lease a Bike, Richard Plugge félicitait lui aussi la solution portée par le CPA et Adam Hansen: "Les discussions au sein de SafeR (un dispositif de sécurité lancé après le décès en juin dernier de Gino Mäder, NDLR) nous aident, unis, à amener la sécurité de notre sport à un niveau supérieur." "J'y suis favorable", abonde aussi Julien Jurdie dans un entretien à l'AFP. "Cette trouée fait peur à tout le monde. On arrive à grande vitesse et tout le monde veut être dans les 20 premiers. C'est une vraie guerre du placement. Quand tu es coureur, tu fermes les yeux et tu fais une prière", a déclaré l'un des directeurs sportifs de la formation Decathlon-AG2R La Mondiale.
Des risques de chutes malgré tout mais sur le goudron
La décision aura également des conséquences sportives. "La relance dans la trouée, on risque de s'en rappeler", a lui commenté le Français Alexis Renard, mettent en avant que le secteur n'en sera que plus difficile. Victorieux à deux reprises sur cette course, en 1985 et 1991, Marc Madiot estime de son côté que l'intention des organisations est "louable". Le patron de la Groupama-FDJ craint toutefois que cette solution "dans l'urgence" crée d'autres problèmes, avec a minima un "embouteillage" voire "un château de cartes".
Lors de la reconnaissance avec les médias ce mardi, Thierry Gouvenou, le directeur de Paris-Roubaix, avait confié qu'il avait averti les coureurs des risques liés à cette potentielle chicane. "Ils préféraient freiner fort au risque de chuter sur le goudron plutôt que d'entrer sur la trouée à 60 km/h", notait l'ancien coureur, qui travaille depuis plusieurs années avec ASO, l'organisateur de plusieurs courses dont le Tour de France et Paris-Roubaix.
La guerre de placement à l'amorce de la trouée d'Arenberg, l'un des secteurs stratégiques de la course, devrait donc être encore très importante malgré ce changement. "Si tu veux être à l'avant, il faut être placé au bon endroit au bon moment. Sinon tu n'existes pas, ta course est morte. Oui j'emploie des termes assez forts comme agressivité", a assumé Julien Jurdie. "Je mets la musique de Rocky dans le bus. Mais le cyclisme est un combat. Il faut garder sa place, on n'a aucun cadeau à faire. Je ne vais pas dire aux mecs: 'Restez à l'arrière, comme ça on est sûrs de ne pas tomber, et on verra après.'"
L'évolution du matériel dans le viseur
"Pour l'instant, on demande aux organisateurs de mettre des pansements sur ce problème mais à long terme, il va falloir réfléchir à la réglementation du matériel et peut-être aussi au comportement des coureurs", ajoutait encore Thierry Gouvenou toutefois favorable à cette chicane. "J'ai couru ici douze fois, et douze fois je suis arrivé devant la trouée d'Arenberg en me demandant comment j'allais en ressortir."
Marc Madiot rejoint lui aussi l'avis de Thierry Gouvenou sur cette évolution du cyclisme et la tendance récente des grosses chutes. "Le vélo n'est plus adapté à la circulation moderne sur la voie publique, c'est tout", a tranché le manager. "D'un côté, on fait tout ce qu'il faut pour ralentir la circulation, par mesure de sécurité, par rapport aux véhicules, par rapport au vélo, aux motos, etc. Et nous, les coureurs cyclistes et la course cycliste, on va de plus en vite avec un niveau moyen du peloton qui est de plus en plus élevé. Donc à un moment ça passe plus."
Pour Madiot, il faut également "ralentir l'évolution au niveau du matériel" en premier lieu mais aussi "limiter les interactions avec les oreillettes". "Qu'est-ce qu'on va dire tous dimanche quand on va être à l'approche d'Aremberg? Qu'est-ce qu'on va dire dans les oreillettes? On va donc tous dire la même chose : 'remontez, soyez placés, faut virer en tête'. Et là, ça risque de créer le danger malgré la chicane." Toutefois, Marc Madiot est fataliste sur le fait que l'Union cycliste internationale revienne en arrière sur de tels sujets, qui reviennent très régulièrement au cœur des débats.