Le chaos jusqu'au bout: manifestations, course interrompue, engrenage politique... récit de trois semaines apocalyptiques sur le Tour d’Espagne

Cette Vuelta 2025 restera - tristement - dans les annales. Si Jonas Vingegaard a montré sa supériorité sur le plan sportif en remportant son premier Tour d’Espagne, les trois semaines de course ont été rythmées par des manifestations pro-palestiniennes quasi quotidiennes. Si les quatre premiers jours de course disputés en Italie puis en France ont été relativement calmes, la situation s’est envenimée dès le transfert en Espagne.
27 août (5e étape): la formation Israel-Premier Tech dans le viseur
Lors du contre-la-montre autour de Figueres, plusieurs personnes portant des banderoles et des drapeaux palestiniens ont fait irruption à Figueras, au début de parcours du contre-la-montre par équipes, pour barrer la route des cyclistes de l'équipe israélienne, créée par le milliardaire israélo-canadien Sylvan Adams. Certains coureurs ont été contraints de ralentir pour éviter un accident, mais aucune chute n'a été signalée.
3 septembre (11e étape): pas de vainqueur à Bilbao, IPT ne veut pas se retirer
La première décision forte de la Vuelta a été prise à Bilbao, lorsqu’aucun vainqueur n’a été prononcé - et l’étape raccourcie de 3 kilomètres - alors que des manifestants pro-palestiniens étaient massés près de la ligne d'arrivée. Lors d'un premier passage du peloton sur la ligne d'arrivée, de nombreux manifestants pro-Palestine, dont certains tentaient de forcer les barrières, étaient massés le long de l'ultime ligne droite, encadrés par les forces de l'ordre. Avant le départ de l'étape, plusieurs coureurs avaient pointé les risques pour leur sécurité au lendemain de la chute de Simone Petilli, provoquée lors d'une manifestation.
Dans le viseur des manifestants, la formation Israël-Premier Tech a formellement refusé de se retirer de la Vuelta, comme l'a suggéré le directeur technique de l'épreuve et le ministre des Affaires étrangères espagnol, José Manuel Albares. Dans le même temps, l’UCI a rappelé que le cyclisme "ne doit en aucun cas être instrumentalisé comme un outil de sanction" et a exprimé "toute sa solidarité et son soutien aux équipes et à leur personnel ainsi qu’aux coureurs, qui doivent pouvoir exercer leur métier et leur passion dans des conditions de sécurité et de sérénité optimales".
5 septembre (13e étape): les manifestants sévissent en haute montagne
Juste avant la terrible montée de l’Angliru, plusieurs manifestants pro-palestiniens ont bloqué les hommes de tête juste avant la montée finale. Bob Jungels, Nicolas Vinokourov et Jefferson Alveiro Cepeda ont pu repartir après un long moment de flottement et à la suite de l’intervention des forces de l’ordre.
6 septembre (14e étape): la mention Israël retirée des maillots
L’équipe a simplement décidé de retirer la mention de l'État hébreux sur les maillots "pour privilégier la sécurité" de ses coureurs et de "l'ensemble du peloton", même si les coureurs ont répété à plusieurs reprises leur peur pour leur sécurité.
7 septembre (15e étape): un coureur chute… et abandonne deux jours plus tard
Entre A Veiga/Vegadeo et Monforte de Lemos, un manifestant pro-palestinien a provoqué la chute d'un coureur à 55 kilomètres de l'arrivée. Présent dans le groupe de poursuivants, Javier Romo est tombé à cause d'un homme qui était sur le bas-côté avec un drapeau de la Palestine et qui a surgi proche de la route. La présence de cet individu a causé un petit chaos, puisqu'un officier de police a traversé la chaussée devant les coureurs pour tenter de contrôler le manifestant, provoquant une vague dans le peloton qui a conduit à la chute de Javi Romo, qui a finalement abandonné deux jours plus tard.
9 septembre (16e étape): Bernal s’impose au milieu de la campagne… sans s’en rendre compte
La 16e étape entre Poio et Castro de Herville n'est pas arrivée au sommet. En raison d'une "grande manifestation à 3 kilomètres de l'arrivée", la direction de course a annoncé au tout dernier moment que "le vainqueur de l'étape sera désigné à 8 kilomètres de l'arrivée". La victoire s'est donc jouée bien plus tôt que prévu entre Egan Bernal et Mikel Landa au milieu de la campagne espagnole. Au lieu d'une belle arrivée face au public, le vainqueur a été désigné avant même l'arche des 8 kilomètres. À ce jeu, c'est le Colombien qui a coupé une ligne tracée à la va-vite, devant le coureur espagnol. Scène cocasse, les deux hommes semblaient confus et ont continué à sprinter jusqu'à l'arche, sans réaliser que la partie était déjà terminée.
9 septembre (16e étape): le patron de Vuelta assure que la course ira au bout malgré les manifestations pro-Palestine
Sous pression, le patron de la Vuelta, Javier Guillén, a affirmé sa volonté de voir la Vuelta aller à son terme à Madrid, le 14 septembre ."Aucun plan B n'est envisagé pour arriver à Madrid, ni remplacer l'étape de Madrid", a clairement indiqué le directeur de la Vuelta après l’arrivée de la 16e étape. "Non, en aucun cas. En aucun cas. Un débat dont vous êtes tous témoins, dans lequel nous n'avons jamais voulu entrer. Nous avons des règles, ces règles doivent être respectées, et je pense que ce n'est pas seulement la Vuelta qui doit les respecter, mais nous tous. On ne peut pas couper les étapes, on ne peut pas bloquer le passage des cyclistes, c'est illégal. Nous sommes un sport, et le sport sert à unir."
10 septembre (17e étape): les coureurs sortent du silence
La 17e étape aurait pu ne jamais partir vers l’Alto de El Morredero. Plusieurs hypothèses ont été mises sur la table lors d’une réunion entre les coureurs, parmi lesquelles celle de ne pas prendre le départ de la 17e étape, ou à l'inverse de la terminer coûte que coûte. Finalement, à la majorité, le peloton de la Vuelta a opté pour une solution intermédiaire, en décidant de s'élancer mais en prévenant que le moindre incident lié aux manifestations entraînerait un arrêt de l'étape. "On a décidé que s'il y avait un incident, on tenterait de neutraliser la course et ce serait terminé, avait expliqué Jack Haig, coureur de Bahrain-Victorious.
11 septembre (18e étape): le chrono raccourci à Valladolid
Le tracé du contre-la-montre autour de Valladolid a été raccourci, passant de 27,7km à seulement 12,2km, “dans le but d'assurer une meilleure protection de l'étape”, rapportait l’organisation. Lors de l’étape, deux manifestants ont été interpellés par des policiers après avoir enjambé les barrières de sécurité encadrant le parcours du contre-la-montre, où des dizaines de militants propalestiniens s'étaient massés pour protester contre la participation de la formation Israel-Premier Tech.
14 septembre (21e étape): une fin de Vuelta en eau de boudin, la classe politique s’en mêle
Malgré un dispositif de sécurité renforcé (1.100 policiers pour l'ultime étape et l'arrivée à Madrid dimanche, soit le plus important déploiement de ce type depuis le sommet de l'OTAN à Madrid en 2022), la dernière étape de la Vuelta n’est pas allée à son terme, les coureurs ayant mis pied à terre pour évaluer la situation, à environ 56 km de l'arrivée et aucun vainqueur n’a été désigné. Et pour cause: des milliers de manifestants ont pénétré sur le parcours de la course dans divers points du centre-ville de Madrid avant le passage des coureurs.
Leader du classement général, le Danois Jonas Vingegaard a remporté cette 80e édition de la Vuelta mais n’est pas monté sur le podium protocolaire. "Ce ne sera pas une victoire marquante, elle ne restera pas dans les annales et on ne pourra pas la comparer à d'autres Vuelta de par le fait que ces étapes ont été amputées, c'était des étapes très importantes", a confié l’ancien coureur et consultant RMC Sport Jérôme Pineau.
Le volet sportif dans le rétroviseur, l’affaire a rapidement pris une tournure politique. Le chef du Parti populaire (PP, opposition de droite) a accusé dimanche le gouvernement espagnol du socialiste Pedro Sanchez d'être responsable de la "honte internationale" infligée à l'Espagne en raison de l'interruption définitive du Tour d'Espagne.
"Le gouvernement a non seulement permis, mais aussi encouragé l'interruption de La Vuelta, provoquant ainsi une honte internationale relayée dans le monde entier", a écrit sur le réseau social X Alberto Nunez Feijoo après la fin chaotique de la course. Le maire de Madrid, José Luis Martínez-Almeida, s'est lui aussi exprimé sur les incidents qui ont conduit à l'arrêt définitif de la Vuelta: "C'est une des soirées les plus tristes dont je me souviens à Madrid", a-t-il déclaré à Radio Marca. "La violence de ceux qui se disent pacifiques a mis des coureurs à terre. Ils (les manifestants) sont venus avec des punaises et du verre. Ils sont violents et ils ont été encouragés par les déclarations, comme celle du Premier ministre ce matin." Les prochains jours devraient encore