Tour de France: Vingegaard, le poissonnier devenu maillot jaune

Le visage poupin de Jonas Vingegaard (25 ans) a soudain muté. En attaquant à quatre kilomètres de l’arrivée du terrible col du Granon mercredi, le Danois s’est transformé en prédateur avant de tenir sa proie quelques dizaines de minutes plus tard: le maillot jaune du Tour de France. Il l’étrennera pour la première fois de sa carrière, ce jeudi, pour une nouvelle explication explosive avec Tadej Pogacar, sur trois cols hors catégorie, dont celui de l’Alpe d’Huez où se situe l’arrivée. Comme l’année dernière, celui dont la prononciation du nom est encore incertaine (Vingor?, Vignegod?) a été promu leader de son équipe néerlandaise Jumbo-Visma après la chute de Primoz Roglic, numéro 1.
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En 2021, le Slovène avait abandonné laissant les rênes à son jeune équipier, alors méconnu du grand public. Vingegaard avait assumé et pris la deuxième place sur les Champs Elysées à la surprise générale. Car, contrairement au précoce Tadej Pogacar ou à Egan Bernal, vainqueur du Tour de l’Avenir, le Danois n’a pas vraiment marqué les esprits dans les catégories jeunes. Une victoire lors du prologue du Val d’Aoste en 2018, une anonyme 60e place lors des Mondiaux juniors la même année et c’est à peu près tout. Son physique chétif (et abimé par une fracture de la hanche en 2017) passait inaperçu.
D’un caractère timide et humble, Vingegaard a laissé mûrir son potentiel au sein de l’équipe amateur ColoQuick en travaillant en parallèle comme poissonnier au port de Hantsholm.
La vidéo le montrant en train de ranger des poissons en caisse avant de les recouvrir de glace est devenue virale l’année dernière au moment de terminer sur le podium du Tour. Il ne devait initialement même pas prendre le départ de cette édition avant de profiter de la mise en retrait de Tom Dumoulin. "Mais, même nous au Danemark, nous ne le connaissions pas avant le départ, avait confié au Parisien son compatriote Michael Rasmussen, ancien maillot jaune banni du Tour de France 2007. Il n’est pas présent sur les réseaux sociaux (il a un compte Instagram où il est peu actif, ndlr), il a une personnalité très discrète et jusque-là, nous n’avions pas de raisons de nous intéresser à lui. Je peux vous dire que ça a changé: il est une rock star au Danemark. Les gens veulent tout savoir de lui."
Il s’en est bien rendu compte lors du grand départ à Copenhague où il a été acclamé par la foule. Il avait alors laissé affleuré une grande émotion. Ce fut encore le cas mercredi à l’arrivée où il a aussitôt partagé son exploit au téléphone avec sa compagne, Trine. Le coureur devrait encore recevoir une ovation monstre dans l’Alpe d’Huez, ce jeudi, où des centaines de fans néerlandais seront massés pour accompagner bruyamment le patron de l’équipe des Pays-Bas.
Habitué des Alpes depuis son enfance
Jonas Vingegaard Rasmussen, de son nom complet (sans rapport avec Michael Rasmussen), a rejoint la formation en 2019 alors que les dirigeants avaient sollicité ColoQuick (son équipe) pour un autre coureur. Le natif de Hillerslev, dans le nord du pays où le vent souffle fort, a confirmé les espoirs placés en lui quelques mois plus tard avec une victoire d’étape et la prise de contrôle du Tour de Pologne la veille de l’arrivée. Rattrapé par la pression, il avait laissé filer la victoire finale le lendemain (2e du général derrière Pavel Sivakov).
Trois ans plus tard, le sommet est encore plus élevé mais Vingegaard est solidement entouré par une équipe de costauds, dont Primoz Roglic, son ami et leader déclassé qui s’est remarquablement mis à son service mercredi. Comme il l’a montré au Ventoux l’année dernière ou mercredi dans le désormais mythique Granon, Vingegaard n’est pas effrayé quand les pourcentages augmentent. Un comble pour un Danois plus habitué aux routes plates, sur lesquelles son physique frêle était mis à rude épreuve.
Contrairement aux apparences, les cols sont un terrain de jeu bien connu depuis son jeune âge. Son père Claus, constructeur de fermes d’élevage de saumons en Norvège, lui a fait découvrir les Alpes et ses cols lors de vacances en famille. Il y avait notamment grimpé le Granon, où il a signé mercredi sa plus belle victoire. La huitième seulement de sa carrière.
"Sur la dernière montée, je me suis dit que si je n'essayais pas, je n’allais pas gagner, a-t-il sobrement commenté après son coup de force. Bien sur une deuxième place au général est un bon résultat mais je l’ai fait l’an dernier. J’aimerais au moins essayer de jouer la victoire cette année. C’est ce que j’ai fait aujourd’hui. Maintenant j’ai le maillot jaune et je vais continuer à me battre pour le garder à Paris." Le poupin a sorti les crocs.