Coupe du monde 2022: pourquoi les Argentins aiment chambrer jusqu’à l’excès

Malgré un triplé de Kylian Mbappé, l’équipe de France a perdu contre l’Argentine en finale de la Coupe du monde 2022 (3-3, 2 tab à 4). Et si certains supporters des Bleus ont essayé de passer à autre chose, difficile à faire tant Emiliano Martinez a célébré son titre de champion du monde.
A grand renfort de chambrages, entre prises de parole moqueuses, de poupée à l’effigie de Mbappé et gestes obscènes, le gardien de l’Albiceleste s’est attiré de nombreuses critiques en France. D’une manière plus générale, les festivités à Buenos Aires ont parfois donné naissance à des polémiques à cause de piques voire d’insultes trop marquées à l’encontre de l’attaquant français ou de la France.
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Un chambrage lié à la culture sportive en Argentine
En France, le parcours des Bleus au Mondial a été salué par près de 50 000 personnes pour les attendre sur la place de la Concorde au moment de leur retour en France. Après le sacre de l’Abiceleste au Qatar, environ 5 millions d’Argentins les attendaient dans les rues de Buenos Aires. C’est dire si dans l’esprit de tout un pays, cette victoire 36 ans après le titre obtenu par Diego Maradona a dépassé la sphère sportive.
Attendus à la Casa Rosada pour y saluer la foule depuis le balcon, les protégés de Lionel Scaloni n’ont finalement jamais atteint le palais présidentiel ni même l’obélisque de la place du 9 mai. Leur bus à impériale a été bloqué par l’affluence massive et les joueurs ont même été évacués en hélico.
Ancien joueur de rugby du XV de France, Denis Charvet a croisé à plusieurs reprises les Pumas ou des joueurs argentins pendant sa carrière. Le membre de la Dream Team RMC Sport n’a pas manqué de rappeler que le chambrage faisait partie de la culture sportive de tout le pays après la défaite des Bleus contre l’Albiceleste.
"J’ai l’impression que l’on oublie la nature de cette nation, de ce pays-là. On les connait, on appelle ça des gauchos, a souligné l’ancien rugbyman dans le Super Moscato Show sur RMC. Ce sont des mecs qui ont le sang chaud, ce sont des mecs qui sont nés comme ça. C’est leur personnalité."
Une célébration obscène finalement habituelle
Aussi bien parmi les acteurs du foot tricolore qu’auprès de certains élus, le comportement de 'Dibu' Martinez ne passe pas. On lui reproche volontiers son exubérance. Pourtant plusieurs gestes du gardien n’ont pas semblé particulièrement nouveaux aux fans de foot.
Son geste obscène, en mettant en scène son anatomie n’est pas si éloigné de la célébration "cojones" réalisée par Diego Simeone ou Cristiano Ronaldo voilà quelques saisons lors d’un duel en Ligue des champions en 2019. Pour les footballeurs, c’est une manière d’exprimer sa virilité et de montrer à l’adversaire qui domine.

Une minute de silence pas réservée à Mbappé
Parmi les séquences qui ont suscité l’indignation, la vidéo devenue des Argentins demandant une minute de silence pour Kylian Mbappé dans leur vestiaire a probablement fait l’objet d’une surinterprétation. Non cette scène n’est pas une première…bien au contraire. C’est dans la tradition du foot argentin de fêter une victoire avec la "mort" psychologique de l’adversaire.
"Et de rappeler que l’histoire de la minute de silence est une tradition en Argentine et se chante à chaque victoire importante…", a ainsi souligné le média spécialisé Lucarne Opposée dans un message posté sur les réseaux sociaux quand la polémique a commencé à monter. Tuer l’adversaire sur le terrain et saluer sa mort ensuite, cela fait partie de la culture des ultras en Argentine.
Idem pour les cercueils ou les croix flanqués du drapeau bleu-blanc-rouge dans les rues de Buenos Aires. Un phénomène que l’on a parfois pu voir en France lors de matchs de Ligue 1 et notamment lors d’un derby corse en avril 2014. Officiellement relégué en L2 après sa défaite contre Bastia (2-1), l’AC Ajaccio avait été moqué par les supporters bastiais qui avaient exhibé un cercueil dans l’une des tribunes de Furiani.
"La minute de silence, Georges Quirino nous a expliqué que c’était un peu comme 'mais y sont où'. C’est un chambrage qui existe en Argentine pour plein d’autres clubs et plein d’autres joueurs, a de son côté rappelé Kevin Diaz dans l’After Foot sur RMC ce mercredi. La minute de silence, ce n’est pas contre notre joueur, c’est juste qu’ils le font quand ils battent n’importe qu’elle équipe. A un moment, il faut aussi que nous remettions les choses dans leur contexte pour dire que l’on a chambré et que l’on s’est fait chambrer. On peut juger que ce n’est pas très fin mais cela fait partie du jeu."
Des insultes parfois tolérées mais qui peuvent virer au racisme
Autre tradition dans le monde des supporters, notamment en Amérique latine, les insultes. Même en France, les insultes contre les joueurs adverses voire l’arbitre sont légion et ont même donné lieu à une intervention de l’ancienne ministre des Sports Roxana Maracineanu lorsqu’elles ont pris un caractère homophobe en Ligue 1. En ce qui concerne la France et Kylian Mbappé et les stars de la sélection tricolore, c’est surtout la portée raciste de certaines injures qui a entraîné des critiques. Mais là encore, malgré les dérives, condamnables, de certains fans c’est aussi le rapport à l’insulte en Argentine qui en est la cause.
"Ce n’est pas qu’ils ont été trop loin les Argentins. C’est que leur culture n’est pas compatible avec la nôtre. Sur les insultes, c’est l’histoire de Sergio Ramos qui prend un carton avec le PSG parce qu’il lâche une insulte en espagnol, a encore insisté Kevin Diaz sur RMC dans l’After Foot. Mais c’est une insulte trop forte à entendre pour un Français, et c’est très bien. La culture c’est important, la culture latine et sud-américaine a l’insulte beaucoup trop facile. Forcément quand tu vois cela après avoir perdu une finale de Coupe du monde, tu es heurté."
Un constat également fait par le spécialiste de la culture sportive en Argentine Fabien Archambault auprès du journal Le Parisien après les chambrages de l’Albiceleste. Le football permettrait parfois à certains supporters de légitimer des comportements qui seraient considérés comme déviants ou illégaux en-dehors du sport.
"Nous, on peut interpréter cela comme du mauvais goût, de la vulgarité voire du racisme, a décrypté cet historien du sport. En Argentine, tant que cela reste dans le cadre du football, c’est toléré et même le public argentin attend cela."
Alejo Schapire, dans un billet pour le site Ko-fi, essaye de faire la distinction entre racisme et folkore lié au foot. Plutôt que du racisme ou de l’homophobie dans certaines attaques portées contre Kylian Mbappé par ce qui reste une minorité de supporters sur les cinq millions présents mardi à Buenos Aires, il faut y voir des fans cherchent n’importe quel moyen de critiquer un joueur adverse.
"Les supporters s’accrochent à ce qu’ils peuvent, a ainsi estimé le journaliste. Si le rival est chauve, il sera moqué pour sa calvitie. Si un joueur sort avec quelqu’un à la réputation d’une 'fille facile' on lui criera que pendant qu’il joue elle le trompe." En s’en prenant aux origines de certains joueurs de l’équipe de France, les supporters argentins veulent avant tout les destabiliser pour qu’ils ne brillent pas contre leur équipe. Après avoir tant craint Kylian Mbappé, finalement auteur d’un triplé pendant la finale du Mondial, les supporters argentins ont presque exorcisé cette peur après la victoire de l’Albiceleste. Problème, même dans le contexte sportif, cela reste du racisme.