"C'est vrai que j'aime les gros matchs": les confidences de Bruno Genesio à RMC Sport avant le PSG et Dortmund

Bruno Genesio, à votre arrivée à Lille, on a l'impression que la transition s'est faite tranquillement. Il y a eu Paulo Fonseca, qui était très apprécié, dont le jeu était reconnu. Vous êtes arrivé et il y a une sorte de continuité, et même d'évolution dans le jeu…
Oui, tout à fait. Ma volonté était de m'appuyer sur ce qui avait été fait de très bien par Paulo en termes de jeu et de résultats, parce que les deux sont liés très souvent. Mais aussi d'apporter une approche et des choses différentes dans le jeu de l'équipe, parce que chaque entraîneur a une vision et une philosophie différentes, même s'il y a parfois des points communs. C'était le cas. Effectivement, je me suis appuyé sur les choses qui avaient bien fonctionné et que j'appréciais dans le jeu de l'équipe dirigée par Paulo. Et puis j'ai progressivement amené quelques modifications sur ce que je souhaitais voir de mon équipe.
Les joueurs ont vite adhéré, ça se ressent. Dès le départ. Il y a cette rampe de lancement avec les barrages de Ligue des champions. Le championnat n'a pas démarré, vous faites les barrages et on sent déjà quelque chose.
Il y a plusieurs choses qui permettent d'avoir l'adhésion d'un groupe. La première, évidemment, ce sont les résultats, parce que c'est aussi ce qui permet d'amener un ciment au groupe, entre les joueurs et le staff. Mais il y a aussi la constitution de l'effectif qui est très importante. Et j'ai la chance d'avoir un groupe composé de très bons joueurs, parce que c'est quand même ce qui est le plus important pour un entraîneur. Mais aussi de très bons garçons qui mettent en avant le collectif avant leurs objectifs personnels. Et ça, je pense que c'est très important dans le foot d'aujourd'hui. Ça n'empêche pas les frustrations de ceux qui ne jouent pas ou qui jouent moins, parfois même des colères. Mais ça reste toujours dans le respect du collectif. Et je pense que ces deux points-là ont permis d'avoir l'adhésion du groupe assez vite.
Revenons sur les barrages de Ligue des champions. Démarrer par ça, ce n'est pas un cadeau. Parce qu'il y a une attente forte...
D'autant plus que le président parle souvent de la cicatrice du dernier match contre Nice (2-2, 34e journée de Ligue 1 en 2023-2024). Avant ce match, le Losc est en Champions League. Jusqu'à la 93e ou 94e, le Losc est en Champions League directement. Et à la 94e ou 95e, le Losc n'est plus qualifié directement en Champions League. Donc c'est une grosse déception à ce moment-là. Il y a beaucoup de frustration. Le président parle souvent de cicatrice. Les gens sont à la fois satisfaits de faire une bonne saison, mais très, très déçus de ne pas faire la Champions League. Donc il y a ce fameux barrage, qui, historiquement, ne réussit pas trop aux clubs français, avec des matchs couperets très vite. Donc, il faut être prêts très vite, à la fois physiquement et mentalement. Et puis il y a toujours cette épée de Damoclès de se qualifier ou pas. Donc c'est vraiment un mois d'août qui était très, très important. On a réussi à le faire avec de la qualité et aussi quelques souffrances, notamment le match retour à Prague (défaite 2-1). Mais je pense que ça aussi, ça a contribué à nous souder tous ensemble.
On parle souvent aussi du management. Il y a eu le match aller contre Paris où vous avez sanctionné des joueurs. On se rend compte qu'il n'y a pas de rancœur de ces joueurs. Pourtant, vous vous privez de bons joueurs. Il y avait David, il y avait Meunier, il y avait Cabella... Et ça, c'est quelque chose qui n'est pas courant. Mais vous l'avez souvent dit, c'est une question d'honnêteté par rapport au groupe. Ça a été aussi un moment clé dans la saison?
J’aurais préféré que ça se passe autrement parce que lorsque vous jouez Paris et que vous vous privez de joueurs expérimentés et de votre meilleur buteur, ce n'est pas la meilleure manière d'aborder ce genre de match. Mais ce qui est important, c'est de prévenir les joueurs. C'est-à-dire que lorsque je suis arrivé, j'ai exposé ce que je souhaitais faire en termes de jeu, mais aussi ce que je souhaitais faire en termes de discipline. Parce que j'estime que lorsqu'on est en groupe, il y a une discipline, il y a un minimum de règles à respecter. Je n'en ai pas beaucoup, j'en ai très peu de règles. Mais il y en a certaines qui peuvent m'amener à prendre des décisions qui ne me font pas plaisir du tout. Parce que se priver de trois joueurs la veille du match contre Paris, ce n'est pas ce qui m'a le plus animé. Mais je crois que c'est indispensable pour avoir un équilibre, pour avoir une discipline de groupe qu’on va retrouver à la fois en dehors du terrain mais surtout sur le terrain.
Je pense que c'est aussi pour ça que chez les joueurs, même si sur le moment ils m’en ont certainement voulu et étaient très déçus, il n'y a pas de rancune. Il n'y en a pas de leur part, et il n'y en a pas de la mienne non plus. Je leur dis souvent que je ne suis pas là pour sanctionner, punir. J'ai affaire à des grands garçons, à des gens adultes, responsables. Simplement, il y a quelques règles non négociables, qui pour moi sont très importantes dans l'équilibre d'un groupe et qui font qu'on a aussi des résultats parfois grâce à ça.
Est-ce qu'aujourd'hui, le rôle d'entraîneur, c'est plus de management quand on a une expérience comme la vôtre? On est plus dans le management et on délègue plus à son staff ?
Chacun a un fonctionnement différent je pense. Le management est une part très importante de notre métier aujourd'hui, avec les effectifs qui sont de plus en plus nombreux, avec des joueurs qui ont un ego de plus en plus développé - et c'est normal, il en faut pour réussir au très haut niveau. Après, déléguer, c'est aussi avoir confiance en son staff et leur montrer qu'on a confiance en eux. Sinon, ça ne sert à rien d'avoir des gens qui travaillent pour vous. Il faut aussi garder une légitimité d'entraîneur, parce que les joueurs sont aussi des spécialistes de leur métier et ils vous jugent bien sûr sur votre management, mais aussi sur ce que vous proposez et sur ce que vous êtes capable de démontrer dans le domaine du jeu. Donc c'est aussi important d'avoir cette partie-là. C’est un mélange des deux. Les joueurs, ce qu'on leur demande, c'est de jouer au football, mais ça reste aussi des êtres humains, avec leur sensibilité, avec parfois des problèmes que tout le monde peut rencontrer dans la vie. C'est donc important qu'ils se sentent soutenus, qu'ils sentent qu'il y a quelqu'un qui s'intéresse à eux.
Souvent, on entend parler de Carlo Ancelotti, parce que vous l’avez rencontré lors d’un stage pour votre formation d'entraîneur. S'il y a un exemple à suivre, quelqu'un dont vous aimez vraiment le style, c'est bien lui?
Oui, j'adore son style. D’abord, il a toujours beaucoup de retenue, que ce soit dans la victoire comme dans la défaite. C'est quelqu'un que je sais aussi très proche de ses joueurs dans le management, mais avec une autorité naturelle lorsqu'il faut l'avoir. Et puis c'est quelqu'un qui est tactiquement capable de faire des choses. Parce que lorsque vous gagnez autant de titres, c'est qu'il n'y a pas seulement l'aspect management, il y a aussi l'autre aspect du jeu. Donc, c'est vraiment un entraîneur que j'apprécie. Il y en a d'autres. J'aime beaucoup aussi Pep Guardiola sur sa façon de voir le jeu et de ce qu'il amène au football. J'ai beaucoup aimé Jürgen Klopp. J'ai adoré Arrigo Sacchi, même si c'est beaucoup plus vieux, j'étais gamin à l'époque. Ce sont des gens qui ont un peu révolutionné le football.
La Coupe d'Europe, c'est une sacrée vitrine quand même. ll y a eu Manchester City avec Lyon, les qualifications avec Rennes... Et avec Lille, vous battez le Real, vous battez l'Atlético. Ce qu'on dit, c'est que vous aimez les gros matchs et vous êtes joueur. Est-ce que c'est vrai?
Oui, c'est vrai. Parfois, il faudrait que j’arrive à être plus performant contre les équipes moins fortes, parce que cette année, on a perdu trop de points contre des équipes mal classées. Mais c'est vrai que j'aime les gros matchs. Je crois que tout le monde aime les gros matchs. La Champions League, c'est pour moi le plus haut niveau qui existe dans le football, dans tous les domaines. Forcément, on aime tous participer à ce genre de compétition quand on est entraîneur ou joueur.
Pour le côté "joueur", je vis mon métier avec une vision du jeu. J'ai envie que mon équipe soit active, proactive, quel que soit l'adversaire. Évidemment, on doit tenir compte des forces de l'adversaire, mais j'ai aussi envie que mon équipe ait confiance en ses forces, en ses moyens, et qu'elle essaie, même face à des équipes plus fortes, d'imposer son jeu. Peut-être que c'est ce que j'arrive à transmettre dans ces grands matchs, la confiance, l'envie d'imposer des choses. Même si c'est parfois difficile parce que l'adversaire ne vous permet pas de le faire. C'est vrai que j'aime que mon équipe joue, quel que soit l'adversaire.
À Lyon, les débuts sont durs médiatiquement. Est-ce que la Coupe d'Europe a permis d'avoir un autre regard sur vous?
Je pense que ce qui permet d'avoir un autre regard, c'est la régularité dans les performances. Ça fait maintenant une petite dizaine d'années que je suis entraîneur numéro un, que mes équipes se sont qualifiées à chaque fois en Coupe d'Europe. On a fait des performances à Lyon en faisant une demi-finale d'Europa League, même si c'est une grosse déception, un gros regret de ma carrière de ne pas être allé en finale cette année-là. Mais c'est quand même une demi-finale. Cette année, on fait un parcours avec Lille qui est très intéressant. On avait fait un parcours très honorable avec Rennes. Donc forcément, je pense que c'est à la fois l'exposition médiatique qui est supérieure lorsqu'on joue la Coupe d'Europe, mais aussi peut-être la régularité dans le temps qui fait que je suis perçu différemment.
Il y a ce surnom de Pep Genesio. Au début, ce n’était pas trop drôle. Et aujourd'hui, ça passe mieux. Et en plus, il y a les résultats. Vous avez quand même battu Guardiola, Ancelotti, Simeone, Mourinho…
Au début, je pense que c'était vraiment péjoratif ce surnom. Et vous savez qui l'a inventé ou sorti en premier (Daniel Riolo dans l’After Foot sur RMC, NDLR). Aujourd'hui, lorsque je l'entends, ça a une connotation qui est beaucoup plus positive dans la bouche des gens. Certains de mes amis m'appellent Pep parfois. Donc je sais qu'il y a un côté beaucoup plus affectueux que moqueur, comme ça pouvait être le cas au tout début. Donc, ça ne me gêne pas. C'est plutôt drôle même.
Vous allez peut-être devenir le premier entraîneur à emmener le Losc en quart de finale de la Ligue des champions. On imagine que ça doit faire partie des objectifs…
Ce n'est pas un objectif personnel. C'est avant tout une aventure humaine. Je l'ai dit lorsqu'on a commencé cette compétition aux joueurs au mois d'août, avec le match contre le Fener. C'était une aventure humaine qui commençait et il fallait la maintenir et la faire perdurer le plus longtemps possible. Donc aujourd'hui, on est en huitième de finale. C'est déjà un petit exploit d'être qualifié directement et d'avoir fini septième du classement, surtout compte tenu de notre tirage, qui était certainement un des plus forts avec celui du PSG. Et maintenant, oui, on a envie de continuer cette aventure humaine. Il y a Dortmund sur notre route, qui est le finaliste de la dernière Champions League, une équipe expérimentée dans cette compétition, qui a un nouvel entraîneur et qui a retrouvé un nouvel élan. Donc ça ne va pas être simple, mais je pense qu'on a 50% de chance de se qualifier. On aura un match retour ici avec notre public, donc on a toutes nos chances. Maintenant, il faudra être très fort pour atteindre les quarts de finales. Mais on le sait: lorsque vous arrivez dans les huit meilleures équipes européennes, forcément, vous devez battre de grandes équipes pour y parvenir.
Quand on performe comme ça en Coupe d'Europe face à des grands noms, est-ce qu'on peut considérer que vous faites partie des meilleurs entraîneurs français? Est-ce qu'on vous sollicite à travers l'Europe?
Non, pour l'instant, il n'y a pas de sollicitations autres que de faire ce que j'ai à faire jusqu'à la fin de saison. Mais ce qui est un peu différent, c'est que je ressens un regard différent de la part des gens du foot, des supporters ou même de certains joueurs. C'est peut-être ça qui a le plus changé avec cette campagne européenne. Mais pour l'instant, il n'y a rien d'autre.
L'aspect humain, c'est important. On le voit. Vous avez été dans le kop des supporters lillois. Tout le monde le dit, vous êtes humainement quelqu'un de très agréable, qui tient à cette humanité dans ce milieu du foot où c'est de moins en moins évident. C'est un milieu particulier quand même…
Je ne sais pas si c'est un milieu particulier, mais lorsque vous gérez 25 joueurs, une vingtaine de personnes dans votre staff et que vous avez des relations avec votre président ou avec les supporters, il y a forcément une relation humaine qui s'instaure et qui s'installe. Donc je ne vois pas mon métier autrement qu'avec cet aspect humain, cet aspect du management, cet aspect de valorisation, cet aspect d'avoir de la considération pour les gens avec qui je travaille, pour les gens que je dirige. Parfois, c'est associé à ce qui me gêne, c'est associé à ce qu'on appelle la gentillesse, "trop gentil"... Mais ce n'est pas du tout ça. Je sais aussi être dur si j'ai besoin d'être dur, mais toujours en respectant les hommes. Je pense que c'est essentiel dans notre métier, mais c'est aussi essentiel dans ma vie. Je pense que ça fait partie aussi de mon éducation.
Je reviens sur tout à l'heure quand on parlait de Carlo (Ancelotti). Lorsque j'ai eu la chance de le voir pendant 15 jours au Real Madrid, c'est aussi ce que j'ai ressenti chez lui et ce qu'il m'a traduit. En dehors de notre métier d'entraîneur, de faire des choix, des choix qui satisfont certains, qui ne satisfont pas d'autres, parce qu'on ne peut pas faire que des heureux dans notre métier, ce qui est très important, c'est l'honnêteté, c'est la justesse. Et c'est de montrer à tout le monde qu'il y a une considération. Ceux qui jouent, ceux qui jouent moins, ceux qui sont blessés, ceux qui sont sur le terrain, ceux qui sont en dehors du terrain et qui chacun amène une pierre à l'édifice, parce que chacun est important.
Nabil Bentaleb, c'est aussi un événement qui a été une grande première en France. Comment vous l’avez vécu de l'intérieur? Parce qu'il y avait du doute, ça pouvait ne pas se faire. Vivre ça, on imagine qu'il doit y avoir une fierté, de l'émotion, un petit mélange de tout?
Beaucoup d'émotions, surtout. Parce que la fierté, c'est surtout Nabil et sa famille qui doivent l'avoir. Déjà, la première chose, c'est que sa vie était en danger et que le plus important, c'était qu'il se réveille. Et après ça, ça a été un combat de tous les jours pour rejouer au football en France, ce qui n'était jamais arrivé dans son cas. Donc forcément, il y a eu des moments de doute, des moments de joie, puis de nouveau des moments de doute, puis des moments d'émotion très fortes. Pour lui, pour nous, certainement pour sa famille, pour tout le monde. Parce que ce qu'on a vécu à Rennes, à la fois son entrée en jeu et le fait qu'il marque le premier but de ce match, c'est ce qui nous réconcilie aussi avec le football et qui montre que dans le football, malgré l'image qu'on peut avoir, une image qui peut parfois être négative, on voit qu'il y a aussi encore ce côté passion, d'émotion et humain qui existe. Je l'ai dit et je le redis: c'est certainement un événement qui, quoi qu'il arrive dans le futur, nous liera tous à vie. Je pense que chacun d'entre nous se rappellera ce moment-là, qu'il soit à Lille ou ailleurs dans le futur.
Pour terminer, votre président est très content de votre travail, parce que les résultats sont là. Est-ce que vous voyez rester longtemps dans le Nord, à Lille? Tout le monde, les supporters, n'ont envie qu'une chose, c'est de voir Bruno Genesio très longtemps…
J'ai eu la chance de faire trois ans et demi à Lyon, trois ans à Rennes, deux ans en Chine. C'est un peu aussi ce qui me caractérise. Après, dans une carrière d'entraîneur, c'est difficile de se projeter. Aujourd'hui, on a de bons résultats. Mais il reste encore trois mois. On ne sait pas ce qui va se passer d'ici là. On ne sait pas ce qui se passera au mois de juin. J'ai un contrat encore jusqu'en 2026 avec le Losc. Ce qui est sûr, c'est que je vis aujourd'hui une de mes meilleures saisons en termes de résultats, mais aussi en termes de relations avec mon groupe. Mais c'était déjà le cas à Rennes, ça l'était aussi à Lyon. C'est un peu le point commun de toutes mes expériences d'entraîneur numéro un. Forcément, on a envie que ça dure, mais on a déjà envie que ça dure jusqu'à la fin de saison pour faire le mieux possible et puis on verra après.