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JO 2022: Tess Ledeux, l’or de la maturité au bout d’un saut unique?

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Engagée en finale du Big Air (la nuit prochaine à partir de 3h), nouvelle épreuve olympique du ski freestyle, Tess Ledeux représente une grosse chance de titre pour la délégation française avec son nouveau saut inédit chez les femmes. Un statut assumé sans pression par celle qui avait connu une grosse déception il y a quatre ans à Pyeongchang mais qui a mûri sur tous les plans depuis et qui sera également en lice pour l'or en slopestyle.

Elle y est. Et elle savoure. "J’étais très stressée de ne pas passer. J’ai beaucoup travaillé pour des sauts durs en finale et j’avais l’angoisse de ne pas pouvoir les montrer. Savoir que je vais pouvoir les essayer, c’est un gros soulagement." Deuxième des qualifications ce lundi à Pékin, Tess Ledeux sera en quête d’or olympique la nuit prochaine sur le tremplin du Big Air, discipline du ski freestyle qui fait ses débuts aux JO et dont la Française a été championne du monde en 2019. En tête de la Coupe du monde de la spécialité, victorieuse des récentes X-Games à Aspen (Colorado), la Plagnarde est "armée pour faire des choses super" dixit son coach Greg Guenet.

Elle possède même l’arme atomique: un double cork 1620 déjà claqué sur la neige des X-Games, une première pour une femme. On laisse l’intéressée expliquer. "C’est un saut où je passe deux fois la tête en bas vers l’arrière et je fais quatre tours et demi sur moi-même." Vous n’avez toujours pas compris? Guenet, qui la connaît "depuis sa naissance" mais "travaille vraiment avec elle depuis 2017", complète: "Tess s’élance de face, elle fait comme un double saut périlleux vers l’arrière désaxé, elle y ajoute 1620 degrés de rotation sur elle-même, donc quatre tours et demi de vrille en quelque sorte, et elle pose en marché arrière." "J’attrape aussi mon ski sur le côté, un grab assez facile pour l’instant car je suis encore dans l’apprentissage de mon saut", conclut son élève, "fière" de passer une telle figure.

Ce saut la place dans une autre dimension. "Elle ouvre une voie pour les autres filles, pointe son coach. Dans les sports extrêmes, les femmes progressent beaucoup plus prudemment que les garçons, ce qui explique que ces derniers ont une avance dans la technique. Mais il y a encore des garçons qui gagnent des X-Games et des Coupes du Monde en faisant ce saut. L’écart se réduit depuis quelques années en partie grâce à Tess car elle a souvent ouvert la voie aux grosses rotations. Ça inspire les autres." Essayé pour la première fois sur l’airbag (structure avec un ballon gonflable à la réception pour permettre aux athlètes de tester leurs figures sans risque) il y a un an, posé pour la première fois sur la neige en octobre avant de l’envoyer pour la première fois en compétition à Aspen, il résulte d’un "long travail" de répétition à l’entraînement même s’il est "venu assez facilement pour (elle)": "J’ai essayé et j’ai capté que ça pouvait marcher".

"Dans ma tête, ce n'est plus la même chose"

De quoi vite dépasser le double cork 1440 – quatre tours sur elle-même au lieu des quatre et demi de Ledeux – sorti en novembre par la star chinoise Eileen Gu, une de ses principales concurrentes à Pékin (qui peut rafler une médaille sur les trois épreuves du ski freestyle). Et rêver en grand à l’or. "C’est une énorme chance de titre et ça va être un beau combat car il y a un gros niveau chez les filles mais Tess est vraiment en capacité de gagner, analyse Marie Martinod, double médaillée olympique en halfpipe et consultante RMC Sport. Si elle gagne, vu le niveau en face, ce sera monstrueux." "Passionnée, déterminée, intelligente, ambitieuse, sensible, rigolote", description signée par son coach, Tess Ledeux ne fait pas une montagne de son statut de favorite. Son corps vrille dans les airs mais sa tête reste bien en place quand il faut évoquer l’objectif dans une discipline où la moindre erreur peut être fatale.

"Il y a un peu de pression car c’est une compétition qui me tient à cœur mais je l’aborde avec de la sérénité. Il peut tout se passer aux JO. L’erreur est humaine et rien n’est gagné. J’ai tout à faire. J’ai des ambitions mais je suis venue ici en essayant d’être le plus positive possible, de kiffer tous les moments et d’être le moins stressée possible." Le résultat, aussi, d’un travail sur elle pour oublier une frustration, celle de Pyeongchang, en 2018, quand la plus jeune athlète de la délégation française (seize ans) avait échoué à la quinzième place des qualifications du slopestyle, épreuve dont elle était devenue championne du monde un an plus tôt. Après la Corée, elle avait abandonné les skis quelques mois. Quatre ans plus tard, la déception est rangée dans sa malle à (mauvais) souvenirs.

Tess Ledeux a désormais vingt ans. Et le temps, jalonné de bons moments mais aussi de terribles épreuves comme la perte de son père début 2021, a fait son œuvre. "Toute ma vie a un peu changé, raconte-t-elle. En 2018, j’étais lycéenne, encore une ado, je vivais chez ma maman. Aujourd’hui, je me suis un peu émancipée, j’ai mon appartement. Et au niveau des compétitions, j’ai aussi beaucoup évolué, beaucoup mûri, j’ai pris beaucoup d’expérience. Dans ma tête, ce n’est pas du tout la même chose. Je suis plus sereine. A l’époque, je faisais des compétitions à haut niveau depuis seulement un an, je découvrais un peu ce monde-là et c’était beaucoup pour moi. Là, je vis une expérience totalement différente. Si on m’avait dit il y a quatre ans que j’arriverais dans ces conditions-là aux prochains JO, j’aurais signé direct."

"Quand on passe de seize à vingt ans, c’est une énorme différence, confirme son coach. C’est devenu une femme, une athlète plus performance, une personne qui a vécu, ce qui compte beaucoup car un sportif grandit dans la technique mais aussi dans les expériences de vie. Elle a eu des hauts et des bas mais tout ça l’a sans doute rendu plus forte." Celle qui a "envie de faire progresser le freestyle féminin" sait que son saut inédit, répété avec succès lors des entraînements olympiques et qu’elle dit maîtriser "encore un peu mieux" que lors des X-Games, "peut marquer de gros points": "Ça me met un peu en confiance mais ça ne me met pas de pression car on est dix à pouvoir jouer une médaille et qu’il faudra juste être forte le jour J. Il ne s’est encore rien passé. Je vais juste donner le meilleur de moi-même et essayer de poser mes figures. Je n’ai rien à perdre mais tout à gagner."

La cousine du porte-drapeau tricolore (et médaillé de bronze olympique en halfpipe) Kevin Rolland – qui s’est beaucoup entraînée avec les garçons au sein d’un collectif France où elle est l’une des rares femmes du ski freestyle – pourra aussi viser très haut sur le slopestyle, épreuve dont elle a gagné le petit globe en 2020-21, saison où elle avait également remporté le gros globe général Park & Pipe, mais aussi la médaille d’or aux derniers X-Games pour un doublé qui avait fait du bruit. Et si la déçue de Pyeongchang s’offrait un nouveau doublé historique à Pékin?

Alexandre Herbinet avec Valentin Jamin (à Pékin)