Blagues, Scrabble et progression fulgurante... Qui est Amandine Mengin, l'étoile montante du biathlon français

Gérard Dumaine peut avoir le sourire. Le président de la Bressaude Omnisport égraine avec fierté les résultats de la section biathlon. Outre Paula Botet, qui a signé sa première victoire en Coupe du monde à l’occasion du sprint à Oberhof en janvier, une autre pensionnaire du club de la Bresse a explosé cette saison: Amandine Mengin.
À 20 ans, la biathlète issue du massif des Vosges réalise un hiver 2024-2025 de haute volée, qui a débuté très tôt dans le Sud-Tyrol, à Ridnaun. “L’objectif de la saison était de partir en Junior Cup aux sélections de décembre. J'ai pris ma sélection, à partir de là, j'étais inatteignable. J'étais contente, j'avais fait le plus dur, puisque le plus dur, c'est de quitter la France”, confie-t-elle, non sans une pointe d’émotion dans la voix. Car Amandine Mengin revient de loin.
Si le biathlon est arrivé dans sa vie en partie grâce à son père, entraîneur dans le club de la Bresse, la jeune fille a pu découvrir plusieurs disciplines au ski club, notamment le combiné. Un sport rapidement abandonné à cause - ou grâce - à sa sœur. “On faisait du combiné toutes les deux et elle a commencé à me battre avec un peu trop de persistance, donc j'ai mis le clignotant.”
Direction: le stade de biathlon, carabine en main, avec cinq cibles à blanchir à 50m de distance. Des conditions radicalement opposées à celles connues dans sa plus tendre enfance. “Avec papa, on tirait à cinq mètres avec la carabine à plomb dans le garage parce que j’étais encore petite. C'était fun”, se souvient-elle.
Deux ans en enfer
Séduite par la “polyvalence” du biathlon, par les nombreux axes de progression “au niveau de la forme physique” et de la “précision au tir”, inspirée par les frangins Fourcade (Martin et Simon), dont elle ne manquait aucune course, Amandine Mengin se lance dans l’aventure, avec un mot d’ordre en tête: prendre du plaisir. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu pour la biathlète, qui obtient “des résultats médiocres” au niveau national pendant deux hivers (2022-2023 et 2023-2024) après pourtant des premières courses internationales au Festival olympique d’hiver de la jeunesse européenne à Vuokatto, où elle a notamment obtenu la médaille de bronze de l’individuel en 2022, à 16 ans. Une période “horrible” où elle s’est “beaucoup trop remise en question” à l’époque.
“Tu ne sais pas ce que tu fous là avec les résultats que tu fais. Tu veux prendre des sélections internationales. Ils prenaient les cinq premiers et toi, tu es 30e. Tu ne comprends pas comment c’est possible d’être aussi loin, pourquoi ça ne s’aligne pas. Quand tu passes deux ans à te remettre en question en te disant ‘quand je tire bien je ne skie pas vite, quand je skie vite je ne tire pas bien’, c'est très long comme saison”, se remémore-t-elle. Le travail avec son préparateur mental, qu’elle côtoie depuis quatre ans désormais, lui a notamment permis de relativiser et de se recentrer sur ses objectifs à plus court terme plutôt que se projeter et se “défoncer le moral”.
"Tu rames… Quand ça va un peu mieux, tu fais un bon week-end, mais tu te reprends un saut d'eau glacée sur la tête le week-end d'après. Ce sont des montagnes russes. Tu pleures un bon coup, tu acceptes, tu repleures un bon coup et tu repars. C'est un cercle vicieux", explique-t-elle.
Ce tourbillon, Amandine Mengin va finalement le quitter au début de cet hiver, grâce notamment “à une force de caractère impressionnante”, selon sa maman Brigitte. “Initialement, elle n’a pas trop confiance en elle, mais elle a beaucoup bossé dessus. Je trouve qu'elle est assez dure avec elle-même quand elle fait des courses qui sont tout à fait bonnes.”
Des fleurs à gogo
Après avoir conquis le titre de championne de France U22, c’est donc à Ridnaun (Italie) que la biathlète écrit le premier chapitre d’une belle histoire. 4e de l’individuel d’ouverture, elle accroche son premier podium sur le sprint (3e), puis confirme à Goms (Suisse) la semaine suivante: 5e du sprint et 2e de la mass start 60. “Je me disais que si je faisais des top 20, ce serait bien. Quand je suis rentrée en France, je voulais passer un bon Noël.”
Leader du général chez les Juniors fin décembre, elle gagne sa place en IBU Cup, l’échelon inférieur à la Coupe du monde, pour l’étape d’Arber (Allemagne) début janvier. “Un autre niveau”, selon Amandine Mengin, qui voulait profiter de l’occasion pour “se faire plaisir” sans avoir de pression. “Ça t'arrive maintenant, c'est inespéré, ça t'arrivera peut-être plus jamais. Tu découvres le truc parce que ça va être incroyable. Du coup, j'y allais vraiment sans aucun objectif, pas de pression sur une réussite particulière et ça change tout, il n'y a pas photo.”
"Je me disais: 'qu’est-ce que je fais là?'", sourit-elle.
Libérée de son objectif déjà atteint, la Vosgienne va pourtant faire encore plus fort, en remportant sa première victoire en IBU Cup dès sa première course, sur le sprint, avec un 10/10 à la clé. “Pour moi, un top 30 c’était déjà bien. Un top 10, c’était le champagne”, savoure-t-elle. Ce top 10, elle ne l’a pourtant presque jamais quitté de tout l’hiver.
En 24 courses, Amandine Mengin n’a terminé qu’à trois reprises hors du top 6. De quoi avoir une belle collection de bouquets (les six premiers biathlètes participent à une cérémonie des fleurs, ndlr)... et de médailles, à l’occasion des Mondiaux jeunes/juniors à Östersund (Suède) puisque la licenciée de la Bressaude est repartie avec quatre breloques en cinq courses: deux en individuelles (le bronze sur le sprint et l’argent sur l’individuel - en plus du petit globe de la spécialité chez les juniors), mais surtout le titre avec le relais féminin.
“Cette année, je me suis révélée en ski. Je me suis retrouvé une santé. Ça va beaucoup plus vite, du coup je me fais tellement plus plaisir”, confirme-t-elle. Une rapidité sur les skis qui n’impacte pas non plus ses statistiques de tir, sa valeur sûre depuis le début de sa carrière (92% de réussite au couché, 83% sur le debout).
“J'ai déjà fait mieux. Mais pour des stats internationales, c'est plutôt très bien”, analyse-t-elle.
Cap sur Oslo
Meilleure biathlète féminine sur ces championnats du monde, Amandine Mengin a obtenu un quota nominatif pour la dernière étape de la Coupe du monde, à Oslo (Norvège). Une arrivée dans la cour des grandes que la principale intéressée n’appréhende pas du tout. “La seule chose à laquelle je pense, c'est de participer à la poursuite. Je suis là-bas pour découvrir, mais si je fais qu'un sprint, c'est triste. Un sprint-poursuite, c'est déjà plus fun”, avoue la biathlète, qui doit terminer dans les 60 premières du sprint ce vendredi (16h15) pour être alignée sur la poursuite du lendemain.
Mais surtout, elle sera en très bonne compagnie avec huit autres Françaises: les cadres de l’équipe (Lou Jeanmonnot, Julia Simon, Océane Michelon, Jeanne Richard, Justine Braisaz-Bouchet), accompagnées par Sophie Chauveau, Paula Botet et Camille Bened, vainqueure du globe de l’IBU Cup. “Je m’estime tellement chanceuse d'être dans les neuf qui vont courir à Oslo. Je pense que c'est la seule fois où ça se présentera de pouvoir avoir ce quota nominatif.”
Et même si le stress monte, Amandine Mengin a sa méthode bien à elle pour se détendre. “J'aime bien faire des blagues. En général, les plus drôles que je fais, ce sont les blagues dans l'aire de départ quand je suis un peu stressée. Il n'y en a pas beaucoup qui rigolent parce qu’elles sont dans leur bulle mais parfois j'ai des bonnes copines à côté de moi qui rigolent donc je les aime bien dans ces moments-là.”
Dans le temple du biathlon, elle pourra également compter sur le soutien de ses parents, qui feront le voyage pour l’occasion. “Elle nous a dit que nous étions fous, que ce n'était pas la peine de venir parce que nous ne nous verrons pas et que c’était mieux de suivre les courses à la télé”, révèle sa maman, “ravie” de voir sa fille s'épanouir au plus haut niveau et en autonomie, même si cette dernière se tourne parfois vers sa mère pour régler quelques démarches administratives.
Car à 20 ans, Amandine Mengin a encore une marge de progression énorme. Et pour y arriver, la licenciée du club de la Bresse a fait le choix de s’installer dans un appartement à Chambéry. Étudiante en STAPS à Grenoble où elle bénéficie d’un emploi du temps aménagé, la biathlète alterne entre les révisions pour les partiels et les entraînements en Savoie plutôt que dans ses Vosges natales.
“Le premier argument, c’est la neige. On ne va pas se cacher, il ne va y avoir qu’un mois de bonnes conditions dans les Vosges alors qu’à La Féclaz, on est sûrs de pouvoir skier et tirer toute l’année. Être pensionnaire d’un club comme La Bresse (quelque 230 membres pour la section sports d’hiver, parmi lesquels Delphine Claudel et Léonie Perry), cela a ses avantages mais aussi ses inconvénients. On n'est pas gâtés par les subventions, on n'a pas les infrastructures nécessaires pour faire un travail 100 % performant. Donc c'est aussi beaucoup d'adaptation d'être dans les Vosges.”
L’avenir s’écrit en bleu
La Bressaude en est consciente: il faut mettre le maximum de son côté pour faire sa place au cœur d’un collectif qui brille à tous les étages lors des deux dernières saisons et où les places sont chères. “C'est presque inquiétant. On le sait, en tant que filles françaises qui font du biathlon, on n'a pas le droit à l'erreur. Tu fais une saison un peu en dessous de ce que tu voulais, c'est mort, il y en a quatre qui te sont passées devant et pour les rattraper, il va falloir charbonner. Quand on se projette, c'est angoissant parce qu'il y a tellement de gens alors que devant, elles ne sont pas encore prêtes de prendre leur retraite (les plus “âgées” Julia Simon et Justine Braisaz-Bouchet n'ont que 28 ans, ndlr). Il y aura forcément des Françaises devant, mais qui? C'est ça, la question.”
"Il n'y a que six places en Coupe du Monde et ça va bouchonner. C'est celle qui va s'accrocher le plus longtemps qui va gagner. Tu espères juste que ce n'est pas toi qui craquera la première", soupire-t-elle.
Alors quand il faut se projeter, Amandine Mengin n’est pas le genre de personne à se définir des objectifs chiffrés ou des évènements à cibler. “Mon rêve est de réussir ce que j'entreprends, c'est tout. Et puis, je peux entreprendre plein de choses” sur un pas de tir ou peut-être un jour dans une salle de classe remplie d’élèves autre que sa sœur pour leur donner les “petits tips de la vie” en tant que professeure des écoles.
Après une saison quoi qu’il arrive réussie, la biathlète de 20 ans pourra continuer à se faire plaisir avec un bon bouquin, un échange entre copines ou une bonne partie de Scrabble avec sa grand-mère. Toujours avec ce sourire qui ne la quitte jamais. Parce que le plus important reste de profiter de la vie.