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40 ans d'une interminable attente: quand reverra-t-on un Français gagner le Tour de France?

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Un brin cocardier, le public français n'en peut plus d'attendre un héritier à Bernard Hinault, dernier tricolore à avoir remporté le Tour de France en 1985. Ce ne sera toujours pas pour cette année, mais qu'importe: avec ses performances cette saison, Paul Seixas (18 ans) a pris date pour l’avenir et relancé la machine à fantasmes.

Poser la question à Bernard Hinault, c’est aussitôt redescendre sur terre. Et se manger un coup de froid aussi brutal qu’une attaque de Tadej Pogacar. "Reverra-t-on bientôt un Français gagner le Tour de France? Non. On n’a pas encore le bon coureur, celui avec des aptitudes physiques hors normes. Et si tu n’as pas ça, tu ne peux pas gagner. Il faut quelqu’un qui ne soit pas fait comme les autres, avec quelque chose d’inné au départ et y ajouter le travail. Aujourd’hui, on a des 750cm3 et les autres ce sont des 1000cm3", martelait encore le "Blaireau" le mois dernier depuis les Côtes-d'Armor et son fief d’Yffiniac, où le peloton du Tour passera le 11 juillet à l’occasion de la 7e étape.

"Pour gagner, il faudrait que tous les autres tombent", insistait-il sans vraiment d’ironie, histoire de bien déprimer un public cocardier qui n’en peut plus d’attendre un vainqueur bleu-blanc-rouge depuis 1985 et l’ultime couronnement de son idole bretonne. Le rêve ne sera même pas permis cet été, à moins d’un séisme ou d’une épidémie collective qui viendrait décimer à la fois les rangs d’UAE TeamEmirates, Visma-Lease a Bike et d’à peu près toutes les autres formations pour profiter à un Guillaume Martin-Guyonnet, tricolore le mieux placé au classement général en 2024 (13e à… 44 minutes de Pogacar).

>>> La 1re étape du Tour de France 2025 en direct

Des Français tournés vers les victoires d'étapes

Après avoir plus ou moins cru aux chances de Laurent Jalabert, Richard Virenque, Thomas Voeckler, Jean-Christophe Péraud, Romain Bardet, Thibaut Pinot ou Julian Alaphilippe, la France du vélo se demande bien si elle refrissonera un jour en écoutant la Marseillaise sur les Champs-Élysées. Un podium n’étant même pas envisageable cette année, pas plus qu’un hypothétique top 5 ou une épopée en jaune, il faudra se satisfaire de miettes et se réfugier derrière des victoires d’étapes, en priant pour que l’ogre venu de Slovénie retarde le plus possible sa moisson.

Avec une ribambelle de puncheurs-baroudeurs au départ (Romain Grégoire, Kévin Vauquelin, Louis Barré, Bastien Tronchon, etc.), les cartouches ne manqueront pas côté tricolore, notamment au cours d’une première semaine annoncée piégeuse à souhait dans le nord et l’ouest du pays. Mais c’est pour un autre coureur que les fans français ont aujourd’hui les yeux de l’amour, au point de se laisser aller à une douce enflammade. Avec l’espoir secret qu’il soit l’élu. En affichant à 18 ans des temps de passage jamais vus en France voire à l’international, Paul Seixas est venu d’un seul coup réactiver la machine à fantasmes.

Le rêve Seixas (mais pas pour tout de suite)

À un âge où Pogacar évoluait en troisième division, et même s’il faut toujours se méfier du jeu des comparaisons, le Lyonnais aux frisettes et à la bouille juvénile n’en finit plus de sauter les classes. Avec une délicieuse décontraction. Propulsé dans le grand bain en 2025 sans passer par la case espoirs, le joyau de Decathlon AG2R La Mondiale, champion du monde juniors du contre-la-montre, sait à peu près tout faire.

Sa 8e place obtenue en juin sur le Critérium du Dauphiné, au bout d’une semaine épatante, l’a encore fait passer dans une autre dimension. Celle où on ne s’interdit plus rien, celle où on doit composer avec la lourde pancarte de l’héritier potentiel. "Sans lui mettre trop de pression, on est totalement en droit de rêver et d’espérer avec Paul", appuie Jérôme Coppel, 13e du Tour 2011 et actuel consultant pour RMC.

"Il suffit de regarder ce qu’il montre depuis plusieurs mois pour comprendre qu’il fait partie d’une classe à part. On a tous cru en Pinot, qui avait physiquement les jambes pour gagner le Tour mais qui n’en a jamais fait son objectif ultime, alors que Paul semble prêt pour ça dans sa tête. Évidemment, ce sera difficile tant que Pogacar sera là. Personne n’évolue dans la même cour que lui. Mais il va avoir 27 ans (le 21 septembre), on a compris qu’il commençait à se lasser de certaines courses, peut-être qu’il sera tenté de faire l’impasse sur le Tour à l’avenir pour explorer d’autres choses. Pourquoi ne pas rêver à quelque chose de très grand pour Paul dans un horizon de cinq ans?"

"Paul a le profil pour être le génie qu'on attend"

Pour préserver son diamant, et lui éviter la machine à laver d’une course qui ne pardonne rien, son équipe a préféré ne pas l’aligner cette année sur le Tour. La Vuelta ne sera pas non plus à son programme. Pas question de brûler les étapes, répond-t-on en interne. "C’est un garçon qui a découvert le haut niveau seulement pendant la période Covid, qui était encore avec les juniors l’année dernière et qui roulait au maximum 20h par semaine. Il n’est pas prêt physiquement pour un Grand Tour. On prend aussi en compte le volet psychologique et on ne veut pas dégrader sa courbe de progression", justifie Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance chez Decathlon AG2R La Mondiale.

Pas d’épreuve de trois semaines, donc, mais un menu estival composé du Tour de l’Ain et du Tour de l’Avenir, où l’emballement autour du bonhomme devrait encore grimper en cas de gros résultats. "Paul a le profil pour être cette pépite, ce génie qu’on attend depuis si longtemps. Il a tout ce qu’il faut : des qualités rares de grimpeur et de rouleur, une tête bien faite et un plan de carrière. Il n’y a pas de raison qu’il n’y arrive pas. Ce qui m’impressionne le plus, c’est sa maturité comme sa façon d’aborder son métier. On ne dirait pas qu’il a 18 ans", observe Jérôme Pineau, ex-coureur et manager d’équipe, qui n’oublie pas non plus dans la discussion Lenny Martinez et ses 21 bougies.

Lui sera bien au départ de Lille, ce samedi, pour son deuxième Tour de France. Sans ambition au général mais avec carte blanche chez Bahrain-Victorious, alors qu’il a déjà levé les bras cette année sur Paris-Nice, le Tour de Romandie et le Dauphiné. "Je mets plus d’espoir sur Paul que sur Lenny pour gagner le Tour dans quelques années", nuance Jérôme Coppel, car "Lenny est sans doute un meilleur grimpeur intrinsèquement mais Paul se place mieux, roule mieux et semble déjà plus complet". S’il voit Seixas intégrer le cercle des "deux-trois meilleurs coureurs du monde dans pas très longtemps", Marc Madiot a trop d’expérience pour ne pas mettre un léger recul-frein.

Une concurrence étrangère bien présente

"On a le droit d’y croire, il est dans le haut du panier mais il n’est pas tout seul. Il y a une concurrence extrêmement puissante. On voit arriver des coureurs de plus en plus jeunes sur le devant de la scène, c’est aussi lié à l’évolution de la formation, la détection et la planification des jeunes talents. Il y a de grands talents au Danemark, en Norvège, en Belgique, en Espagne ou au Mexique avec Isaac Del Toro (récent 2e du Giro à 21 ans, ndlr)", resitue le manager de Groupama-FDJ.

On l’a compris, Hinault ferme également la porte à toute euphorie, même embryonnaire : "Seixas? Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l’avoir tué. Déjà, il faut qu'il gère bien ses capacités physiques. Il a fait un super Dauphiné, mais il faut voir… Est-ce qu'il va progresser? Est-ce qu'il va continuer à être aussi bon? Il n'y a pas d'âge, mais il faut être prêt mentalement et physiquement." Coincée en salle d’attente depuis 40 ans, la France peut bien attendre encore un peu.

Rodolphe Ryo, avec Maria Azé et Kévin Morand