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"Garçon charmant" ou grand méchant du Tour de France: Nils Politt, le soldat de Tadej Pogacar en pleine polémique

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Cible de critiques pour son attitude vis-à-vis de certains coureurs lors de la 16e étape du Tour de France, Nils Politt est l'un des éléments les plus précieux de la garde rapprochée de Tadej Pogacar. Une machine à rouler longtemps tournée vers les classiques, qui a mis ses ambitions personnelles de côté en rejoignant UAE.

Il est l'homme qui a fait sortir Thomas Voeckler de son habituelle réserve. Et qui a déclenché une petite tempête dans le peloton, au point de pousser son leader Tadej Pogacar à monter au front. Pour avoir joué au tueur d'échappées lors de la 16e étape du Tour de France menant au sommet du Ventoux, mardi, Nils Politt s'est soudainement retrouvé sur le banc des accusés. En cause: sa façon de mettre au pas le Colombien de Movistar, Einer Rubio, vite calmé au moment où il cherchait à s'extirper du peloton. Ou son entêtement à rouler sur Alexandre Delettre (TotalEnergies), qui du haut de sa… 57e place au classement général représentait un danger a priori peu évident pour UAE. Consultant pour France Télévisions, Voeckler a dénoncé le comportement "détestable" de Politt.

Au micro de RMC Sport, Jean-René Bernaudeau, ancien mentor de Voeckler et historique manager de TotalEnergies, a lui aussi sorti la sulfateuse: "Les gros veulent écraser les petits. (…) Je n'accepte pas ça. C'est de l'indécence. Chez moi, ça n'arriverait jamais. C'est une mauvaise éducation. Ils sont arrogants avec ceux qui veulent vivre tout simplement."

Des reproches qui ont eu le don d'irriter un Pogacar toujours prompt à défendre ses troupes. "On ne cherche pas à être arrogants, on essaie juste de se rendre la course la plus facile possible pour gagner. Certains feraient mieux de se taire, ça sonnera super arrogant mais bon", a répliqué le Slovène mercredi à l'arrivée à Valence, quand Politt a pointé du doigt pour sa défense des coureurs qui auraient profité d'une "pause toilettes" de Pogacar pour attaquer.

Un géant révélé sur Paris-Roubaix et le Tour 2021

Largement commentée, la séquence a projeté la lumière sur un coureur davantage habitué à l'ombre. Engagé à 31 ans sur son neuvième Tour, Politt est l'un des anges gardiens du maillot jaune, chargé de le protéger sur le plat, d'essorer le peloton quand il le faut ou de décider du sort d'une échappée. Débauché par UAE en 2024, le golgoth allemand (80kg pour 1,92m) n'a pas toujours eu ce rôle de super-équipier. Il a d'abord mis ses grands segments au service de ses ambitions personnelles sur les classiques, avec comme principal fait de gloire sa deuxième place obtenue derrière Philippe Gilbert à Paris-Roubaix en 2019. Souvent placé, mais (très) rarement gagnant - à l'image de son sprint perdu face au roublard Jérôme Cousin lors de Paris-Nice en 2018 - l'ex-pistard a eu droit à son jour de gloire à l'été 2021. Avec sa victoire lors de la 12e étape du Tour de France, en terres nîmoises, au bout d'une… longue échappée.

Excellent rouleur, spécialiste du chrono, un temps poisson pilote pour Alexander Kristoff et Marcel Kittel chez Katusha, Politt a aussi appris aux côtés de Peter Sagan dans les rangs de Bora, avant de dire oui à UAE pour intégrer la garde rapprochée de Pogacar. Une signature qui s'était accompagnée de critiques épicées, ses anciens dirigeants lui reprochant de ne jamais avoir justifié son (gros) salaire. "Nils est quelqu'un de très sympathique, mais il était trop cher pour nous. Il avait de meilleurs résultats chez Katusha", avait lâché au moment de son départ Ralph Denk, patron de Red Bull-Bora Hansgrohe, avant de légèrement rétropédaler.

Chez UAE, personne n'est là pour se plaindre du travail abattu par le dossard numéro 4 du Tour. Au contraire, la seule évocation de son nom suffit à déclencher une litanie de superlatifs. "Nils est vraiment important", confirme à RMC Sport Joxean Fernandez Matxin, directeur sportif de la formation émiratie.

"Un garçon avec beaucoup d'humour"

"Mardi, par exemple, il était seul à contrôler la course pendant de longues minutes et à gérer l'échappée. Il montre chaque jour à quel point il est essentiel pour nous. C'est un privilège de l'avoir dans l'équipe. Il a un niveau exceptionnel, il est très professionnel. Nous l'apprécions énormément. C'est l'un des meilleurs coureurs au monde et nous avons cette chance qu'il soit avec nous. Il mérite tout notre respect et notre reconnaissance." Les mêmes compliments appuyés reviennent de la part de Mauro Gianetti, manager du Team UAE: "Nils est un diesel, comme il se définit lui-même. C'est très important d'avoir un coureur comme lui, un grand gabarit qui fait du super boulot sur des kilomètres et des kilomètres. Cette équipe s'est bâtie lors des stages en altitude. Nils, comme les autres coureurs de l'équipe, ne sont pas des simples coéquipiers pour Tadej : ce sont ses meilleurs copains, c'est ce qui leur permet de donner toujours un petit quelque chose en plus."

Ceux qui le connaissent bien l'assurent, désigner Politt comme un simple aboyeur en chef ou voir en lui le grand méchant de ce Tour serait faire fausse route. "J'ai le souvenir d'un garçon charmant, avec beaucoup d'humour", appuie le Français Lionel Marie, qui fut son directeur sportif chez Israel Start-Up Nation en 2020. "Il n'est pas du tout arrogant. Il aime faire son travail avec le sourire. Il avait toujours un mot sympathique pour ses coéquipiers, les membres du staff… Les critiques de Voeckler et Bernaudeau? Chaque équipe a sa tactique, et ça peut aller à l'encontre de la tactique d'une autre équipe. Et puis avec la fatigue, le stress… ça peut se tendre, tout est multiplié par 100 sur le Tour", poursuit-il, pas surpris de la trajectoire empruntée par son ancien coureur, passé maître dans l'art de produire des efforts relativement longs.

"Avec UAE, il sait que les talents sont au service d'autres talents. Lui est tellement talentueux qu'il pourrait être leader dans d'autres équipes. Il a un tel moteur ! Mais je pense qu'il prend beaucoup de plaisir à aider Pogacar parce que c'est un super professionnel. C'est un gars qui est capable de mener un peloton pendant 100 kilomètres, de prendre le vent pleine face sans se plaindre pour imposer le rythme qu'on lui demande."

Un "phénomène", dixit Lionel Marie, que le grand public a véritablement découvert l'an dernier, au détour d'une scène visionnée des centaines milliers de fois sur les réseaux sociaux à l'occasion de la course en ligne des Jeux olympiques de Paris. Pris d'une envie pressante, Politt, toutes dents blanches dehors, avait posé son vélo en plein Montmartre pour débouler dans un café afin de satisfaire ce besoin naturel, avant de repartir sous l'ovation d'une foule en délire.

Liste noire et éloges de Pogacar

"C'est un très bon gars", étaye Jérôme Pineau, consultant pour RMC sur le Tour. "Je le connais parce que j'avais tenté de le recruter quand j'étais manager général (de B&B Hotels), on avait échangé à ce moment-là. Pour moi, qu'il aille chercher des gars qui veulent s'échapper sur une étape cochée par Pogacar, c'est assez logique. C'est trop facile de lui tomber dessus. À l'époque où Thomas Voeckler avait le maillot jaune, chez Jean-René Bernaudeau, ses coéquipiers avaient la même consigne de filtrer les échappées", dit-il. Questionné à ce sujet, Alexandre Delettre n'a d'ailleurs pas voulu polémiquer: "Politt a fait son boulot d'équipier en allant me chercher. Je ne pense pas que c'était personnel." Pas sûr effectivement que le Gardois figure sur la mystérieuse "liste noire" d'UAE. Ces derniers jours, des rumeurs ont ressurgi autour de ces noms qui seraient dans le viseur des derniers vainqueurs du Tour.

Avec des bons de sortie possiblement accordés ou refusés à la tête du client. Politt en avait lui-même parlé dans le podcast Schlag & Fertig il y a un an : "Dans le peloton, on a des amis et des coureurs qu'on n'apprécie pas vraiment. Dans notre bus d'équipe, il y a aussi une liste d'amis et une liste noire. Et tu ne veux pas figurer sur cette liste."

Mythe ou réalité, cette "liste noire" n'a pas arrangé l'image d'un Politt également épinglé sur ce Tour par les médias espagnols pour avoir sévèrement rabroué le jeune talent Iván Romeo lors de la 16e étape. Pas de quoi atténuer la confiance que porte en lui Pogacar, qui répétait en début de Tour son admiration pour son infatigable lieutenant, rebaptisé... "la girafe" en interne.

"Quand ça compte vraiment, il montre toujours qu'il est l'un des meilleurs équipiers au monde. Si ce n'est le meilleur. Je suis très content de l'avoir. Et puis il est très intelligent. Il peut te dire directement en face ce qu'il veut et ce qu'il pense être le mieux", appuyait le maillot jaune à l'issue de la première semaine. Orphelin de João Almeida et entouré de soldats qui commencent à tirer la langue (Marc Soler, Tim Wellens, Pavel Sivakov, Jhonatan Narvaez…), l'ogre de Komenda aura bien besoin d'un Politt au sommet de sa forme pour s'éviter toute déconvenue avant les Champs-Élysées. Quitte à s'attirer une nouvelle salve de critiques.

Rodolphe Ryo, à Vif