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Tour de France 2025: "Ça fait partie du show", d'où vient le trash-talking entre Pogacar et les Visma de Vingegaard ?

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Entre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, les relations apparaissent de plus en plus tendues depuis le début du Tour de France. Une bascule avait déjà été opérée l'été dernier, mais un cap a encore été passé, avec des attaques de plus en plus frontales du Slovène.

Déjà dix jours de course et toujours les mêmes questions en tête : la grande explication espérée (ou fantasmée) entre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard aura-t-elle lieu ? Verra-t-on ne serait-ce qu'un début de bagarre d'ici aux Champs-Élysées ou faudra-t-il se contenter d'un règne slovène sans la moindre rébellion danoise ? Pour avoir droit à un peu de popcorn, et se satisfaire d'autre chose que des quelques pétards allumés ici et là par les frelons néerlandais, comme lundi dans le Massif central, le mieux reste encore de regarder ce qui se trame en coulisses.

Car depuis le départ de Lille, la tension est palpable dans les rangs des UAE Emirates et des Visma-lease a bike. Avec des piques de plus en plus appuyées de chaque côté, dans le prolongement d'un Tour 2024 qui avait déjà dessiné une bascule dans cette rivalité entre deux champions aux personnalités bien différentes et dont la relation paraît moins amicale que par le passé, malgré le respect sincère qu'ils disent se porter.

Un cap avait même été franchi sur la folle étape des chemins blancs, quand Pogacar avait jugé bon de lâcher un "Fuck you !" à Vingegaard, lui reprochant de ne pas vouloir le relayer. Accusé en prime de "manquer de couilles" par Remco Evenepoel, le double vainqueur du Tour (2022 et 2023) ne s'était pas démonté en répliquant avoir couru "intelligemment".

Déjà plusieurs pics de tension

"Ce n'était pas très sympa mais dans le feu de l'action, on dit parfois des choses qu'on regrette après. Il y a eu beaucoup de tension l'année dernière entre UAE et Visma", s'est depuis défendu Pogacar, qui n'a pourtant pas pu s'empêcher de remettre une pièce dans la machine cette année. Voire plusieurs. D'abord en s'agaçant de la tactique de ses meilleurs ennemis, qui ont selon lui tout fait lors de la 6e étape pour lui laisser le poids du maillot jaune en roulant sur Mathieu Van der Poel dans le final. "Ils ont voulu faire je ne sais pas trop quoi", s'est agacé le champion du monde.

"Peut-être qu'ils avaient des informations sur le fait que Mathieu perdait du temps à l'avant et qu'il était en difficulté. Peut-être qu'ils voulaient que je garde le maillot jaune. Mais au final Mathieu l'a récupéré pour une seconde, alors chapeau à lui." Réponse implacable de Vingegaard : "Pogacar peut penser ce qu'il veut. On a le droit d'avoir notre stratégie et eux la leur. Il se peut qu'on ne comprenne pas toujours ce que fait l'autre équipe, mais c'est le cyclisme." Une autre bisbille a eu lieu jeudi lorsque Tim Wellens, un des anges-gardiens de Pogacar, a préféré porter le maillot de champion de Belgique, comme le règlement l'y autorise, et non le maillot à pois, qui est revenu pour une journée sur les épaules de Vingegaard.

Or sur la tunique de meilleur grimpeur figure le nom d'une société de paris sportifs, ce qui est interdit par la loi néerlandaise. Suffisant pour créer un début de malaise chez Visma qui a dû se résoudre à du bricolage en collant un bout de scotch noir. Autre épisode en date de cette guéguerre : le "ravito gate". Vendredi, Pogacar a été vu en train de légèrement pousser Matteo Jorgenson, premier soldat de Vingegaard, dans une zone de ravitaillement. "J'ai clairement indiqué mon intention d'aller récupérer un bidon auprès de mon soigneur positionné vingt mètres après celui de Visma", s'est justifié l'homme aux 101 victoires en carrière.

Pogacar dégaine à tout-va

"Mais, ils (les coureurs de Visma) ont décidé de me dépasser par la droite et je n'avais alors d'autre moyen que de le pousser un peu si je voulais prendre un bidon. Ils font ça tout le temps, à te passer devant dans la zone de ravitaillement comme s'ils étaient les seuls à avoir des bidons. Il faut savoir être patient et respecter tout le monde." La contre-attaque est venue de Grischa Niermann, directeur sportif de Visma : "Plus de respect ? C'est pareil pour lui. Matteo voulait prendre un bidon et Tadej aussi. Peut-être devrions-nous dire à nos soigneurs de se tenir un peu plus éloignés les uns des autres. Matteo a aussi raté son bidon, c'est dommage."

Sur un registre décidément très offensif dans ses prises de parole, Pogacar a remis ça lundi à l'issue d'une journée passée en mode gestion à contenir les banderilles placées par les lieutenants de Vingegaard. "Les Visma étaient un peu agaçants avec toutes leurs attaques, alors j'ai décidé de faire une meilleure attaque", a-t-il froidement lancé à l'arrivée, par ailleurs tout heureux d'avoir refilé le maillot jaune à Ben Healy pour se décharger des lourdes contraintes protocolaires et médiatiques. Mais alors comment expliquer toutes ces sorties au lance-flammes d'un Pogacar dont la communication commence à en irriter certains, en particulier depuis le dernier Dauphiné ?

"C'est de bonne guerre, on retrouve aussi ça dans le football, en boxe, etc. C'est pour essayer d'intimider l'adversaire, même si au final c'est sur le terrain qu'on s'explique vraiment. Ça donne des bagarres de toute beauté entre les Visma et Pogacar", observe, en témoin privilégié, le manager de Cofidis, Cédric Vasseur. "C'est à l'image de ce qui se passe dans la société, des réseaux sociaux, de ce monde moderne (sourire). Sans faire le vieux con, je trouve que c'est mieux de rester en dehors de tout ça et de garder son sang-froid, même s'il m'arrive aussi d'avoir une petite phrase sanglante", embraye au micro de RMC Sport Philippe Mauduit, directeur course de Groupama-FDJ, qui voit à travers ces luttes verbales la preuve que le cyclisme est à son tour devenu "un show".

Une rivalité nécessaire pour "le show" ?

"Oui, ça fait partie du show, il n'y a plus de show sans ça et on le voit dans tous les sports : le foot, le rugby, la Formule 1… donc pourquoi pas dans le vélo ? Je pense aussi que les coureurs y sont pour beaucoup, comme l'image que développent les équipes. Les leaders du peloton ont moins de freins et moins de limites qu'il y a quelques années", estime Mauduit. Lui met également en avant le rôle possiblement joué par "le public qui s'est considérablement rajeuni" et qui se réjouit de ces rivalités.

"Le vélo évolue dans ce sens, ça fait quelques années que les équipes ont des fans. Maintenant, on encourage d'abord le coureur qu'on aime un peu plus, l'équipe qu'on aime un peu plus, et ensuite on encourage tout le monde. C'est la beauté de ce sport. Il faut que ce soit toujours joli et loyal", nous confiait ce week-end le manager du Team UAE, Mauro Gianetti, tout en prenant soin de dédramatiser l'épisode du ravitaillement Pogacar-Jorgenson.

"C'est lié à la course. Vous savez, tout le monde est stressé. Quand ça roule toute la journée à 50km/h, avec la chaleur… quand tu vois une bouteille d'eau, tu ne vois rien d'autre. C'est normal, tout le monde avait soif et voulait quelque chose de frais à ce moment-là. C'est la course. Le plus important, c'est qu'on a une jolie bataille entre deux équipes depuis des années. Ça stimule tout le monde, ça pousse à être meilleur. C'est très stimulant", retenait le dirigeant suisse, comme pour recentrer le débat autour du sportif. Et rappeler qu'il reste 11 étapes à Pogacar et Vingegaard pour lâcher pour de bon leurs coups. En course, cette fois.

Rodolphe Ryo, à Toulouse