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Pourquoi les coureurs français galèrent-ils autant sur Paris-Roubaix?

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Seul un miracle pourrait permettre à Frédéric Guesdon, dernier vainqueur tricolore de l'Enfer du Nord il y a vingt-huit ans, d'avoir enfin un successeur ce dimanche. Tournés vers d'autres terrains de jeu, les coureurs français donneraient presque l'impression de bouder les pavés. Et de délaisser celle que certains osent désormais présenter comme une... "classique flamande".

Il est question d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Emmanuel Macron encore étudiant sur les bancs du lycée Henri-IV. Aucune étoile sur le maillot des Bleus du foot. Ricky Martin, Madonna et les Spice Girls à fond dans l'autoradio de la Renault Clio. Le raz-de-marée des "101 Dalmatiens" au box-office. L'avènement du Minitel et l'invasion des Tamagotchi dans les cours de récré. Et au milieu de tout ça, le triomphe sorti de nulle part d'un Français de 25 ans sur les pavés de Paris-Roubaix. Vraiment une autre époque.

Nous sommes le 13 avril 1997 lorsque Frédéric Guesdon, poulain de Marc Madiot à la Française des Jeux, envoie valser les pronostics pour s'adjuger au culot la Reine des Classiques devant une nuée de cadors. Depuis, aucun hériter n'a daigné se présenter pour prendre la succession du Breton. Pas un seul sourire bleu-blanc-rouge sur la plus haute marche du podium.

Frédéric Guesdon remporte Paris-Roubaix, le 13/04/1997
Frédéric Guesdon remporte Paris-Roubaix, le 13/04/1997 © Iso Sport / Icon Sport

Il y a bien eu le numéro de Sébastien Turgot en 2012, premier des humains derrière l'ogre Tom Boonen, et une poignée d'accessits ici et là avec une collection de sixièmes places pour Arnaud Démare (2017), Florian Sénéchal (2019), Christophe Laporte (2021) et autres Adrien Petit (2022). Damien Gaudin avait aussi eu le mérite d'obtenir un top 5 en 2013, l'année du troisième sacre de Fabian Cancellara en terre nordiste. Pas de quoi pour autant sabrer le champagne, ou autre chose de plus local. À moins d'une immense surprise, il n'y aura pas non plus besoin de sortir les confettis ce dimanche tant aucun Tricolore ne semble en mesure de titiller Mathieu van der Poel, Tadej Pogacar et la short-list de favoris amenés à se livrer bataille sur les 259km entre Compiègne et le Vélodrome. "À court terme, ça me paraît impossible d'imaginer un Français gagner Paris-Roubaix, sauf scénario assez improbable qui verrait une échappée s'imposer", embraye notre consultant Jérôme Pineau, qui avait profité de ses dernières années dans le peloton pour s'aventurer sur le Carrefour de l'Arbre et la Trouée d'Arenberg.

La Belgique et les Pays-Bas au-dessus du lot

"Sincèrement, sans vouloir trop plomber l'ambiance, je ne vois pas de qui pourrait venir une éventuelle surprise." Pas même d'un Christophe Laporte, fauché par un virus en ce début d'année mais capable de gros coups quand la poisse l'oublie ? "Il faudrait déjà qu'il puisse retrouver son tout meilleur niveau." D'accord, alors quid d'un Valentin Madouas, anciennement deuxième du Tour des Flandres (2022) et pas le plus gauche sur les pavés à l'image de sa quatrième place accrochée à Roubaix chez les juniors (2014) ? "Il a beaucoup de talent mais se trouve trop léger pour l'instant pour y obtenir un beau résultat. C'est dommage..." Et peut-être le symbole d'un amour pour le moins contenu des coureurs français vis-à-vis de l'Enfer du Nord. Un "je t'aime moi non plus" illustré par une statistique : ils ne seront que 20 au départ sur 175 engagés. Contre 35 Belges.

Au XXIe siècle, les ressortissants du Plat pays ont levé les bras à neuf reprises en vingt-trois éditions. Les Pays-Bas ne sont pas si loin avec cinq succès au compteur, et même un trois à la suite avec la victoire de Dylan van Baarle en 2022 suivie du doublé de Mathieu van der Poel. Preuve que le vélo s'est internationalisé, Paris-Roubaix a aussi couronné ces dix dernières années un Australien (Mathew Hayman en 2016), un Slovaque (Peter Sagan en 2018) et même un bizuth italien (Sonny Colbrelli en 2021). "Il faut être honnête : nos coureurs n'ont sans doute pas la même passion pour cette course. Ou alors ils se mettent trop de barrières. Bien sûr, ce n'est pas fait pour des crevettes comme Lenny Martinez ou Paul Seixas, mais d'autres devraient oser y aller", appuie Jérôme Pineau.

"Attention, il y en a toujours quelques-uns qui en sont fous, notamment ceux qui viennent du Nord, et qui essaient d'entretenir une culture flandrienne. Mais ce n'est pas comparable avec les Belges et les Néerlandais, qui sont à peu près tous bercés par le Tour des Flandres et Paris-Roubaix. Eux rêvent tous les jours de Roubaix, ça les fascine sans leur faire peur. Tous ne sont pas forcément doués sur les pavés, mais ils ont envie de s'y frotter puis d'y retourner. Ils ont autant cet amour de Roubaix que ce côté guerrier nécessaire pour aller au bout. Nous on forme plutôt des profils de puncheurs qui passent bien les côtes et que l'on retrouve sur les Ardennaises." Avec une certaine réussite. Car si Liège-Bastogne-Liège nous échappe depuis 1980 et le chef-d'œuvre sous la neige de Bernard Hinault, Julian Alaphilippe a longtemps flirté avec la Doyenne (deuxième en 2015 et 2021). Il s'est en prime offert trois fois la Flèche Wallonne, une classique où 50% du top 10 était français l'an dernier en haut du Mur de Huy.

Panne d'intérêt et pression du Tour de France

Sans oublier l'Amstel Gold Race, là encore draguée par une palanquée de Frenchies. "On a largement ce qu'il faut en magasin pour espérer chaque année de belles campagnes sur les Ardennaises. Mais on a besoin en même temps de jeunes qui gardent de l'intérêt pour les Flandriennes pour être prêts à répondre présent quand ceux qui dominent tout aujourd'hui arrêteront. Il y aura des opportunités à saisir, y compris sur Paris-Roubaix. Un Van der Poel (30 ans) ne sera pas éternel...", étaye l'ex-coureur et aujourd'hui consultant pour RMC, Jérôme Coppel.

"C'est un problème de culture. Nos espoirs ne font pas suffisamment de courses de ce type, comme ils ne font pas suffisamment de contre-la-montre. Chez nous, on a très tôt le regard tourné vers le Tour de France et la montagne, ça écrase tout le reste. J’ai le souvenir de coureurs qui mettaient de côté leur passion pour les Flandriennes pour travailler différemment et tenter d'avoir une sélection pour le Tour..."
Frédéric Moncassin sur les pavés de Paris-Roubaix, le 12/04/1998
Frédéric Moncassin sur les pavés de Paris-Roubaix, le 12/04/1998 © AFP

Trois fois dans le top 10 de Paris-Roubaix, et héros malheureux de l'édition 1997, Frédéric Moncassin ne dit pas autre chose. Le verbe haut, l'ancien routier-sprinteur pointe l'importance démesurée accordée au Tour, à l'inverse de cette logique propre à la Belgique ou aux Pays-Bas, où l'on chérit plus que tout les courses d'un jour. "Dans les équipes françaises, on pense surtout au Tour. Il y a tellement de pression sportive, économique, médiatique... Paris-Roubaix, ça passe bien après. On n'en a presque rien à branler, on ne pousse pas les jeunes à y aller. C'est un vrai souci. Le coureur français n'est pas éduqué au combat, pas éduqué à batailler sur des pavés et des routes pourries, sous la pluie ou dans le froid. Les Belges et les Néerlandais, eux, vivent pour ça. Je suis sûr que là-bas même les enfants, quand ils vont à l'école en vélo, s'amusent avec le vent à créer des bordures", sourit le Toulousain. Tout en prenant soin de rappeler que la Belgique mène 57 à 28 contre la France au palmarès de l'Enfer du Nord depuis sa naissance en 1896.

"C'est une course flamande en France"

"Roubaix, ça demande de la force physique, de la stratégie, de l'adresse, du flair, des prises de risques, du bluff... Des couilles, aussi, comme peut en avoir Tadej Pogacar en venant concurrencer Mathieu van der Poel sur son terrain", ajoute Moncassin. "Il faut pouvoir partir à la guerre à chaque secteur pavé. Ce n'est pas trop notre truc. C'est pour ça que je dis que Paris-Roubaix se court en France, mais qu'en réalité c'est une classique flamande !"

Le langage fleuri en moins, Marc Madiot, double vainqueur de Paris-Roubaix (1985, 1991) et désormais manager de la formation Groupama-FDJ, acquiesce sur le dernier point : "On est sur un modèle flamand, un cyclisme âpre, rugueux et assez violent, ce qui fait qu'on est plus sur un schéma flamand que français. C'est la Belgique qui s'exporte dans le Nord. Côté flamand, il y a une énorme attirance pour le Tour des Flandres et Roubaix. Côté français, ce n'est pas forcément Roubaix qui vient en premier. En France, on pense plus au Tour. Roubaix, c'est une course flamande en France."

Ce ne sont pas les milliers de supporters belges campés le long des trente secteurs pavés, dans une ambiance mêlant parfums de bières et crépitements des barbecues, qui oseront le contredire. Leur obsession ? Voir le règne du voisin néerlandais prendre fin et enfin regoûter à la victoire, six ans après le bijou de Philippe Gilbert. Côté français, il sera a priori difficile de faire pire que l'an dernier quand le premier représentant national, en l'occurrence Christophe Laporte, s'était classé à une modeste 25e place, à plus de six minutes de Mathieu van der Poel. Une autre raison d'être optimiste à l'avenir ? Citons l'émergence de Paul Magnier, gamin né en 2004 mais que son équipe compare déjà à Tom Boonen, aussi bien pour son potentiel dingue que pour son appétence pour les courses de forcenés. Amoindri par une série de chutes et focalisé sur le Giro, le zébulon de la Soudal-Quick Step ne sera pas de la partie ce dimanche. Qu'il se rassure, le cyclisme français et Frédéric Guesdon ont pris l'habitude de patienter.

https://twitter.com/rodolpheryo Rodolphe Ryo Journaliste RMC Sport